L’Union Européenne peut rencontrer de nouveau l’équivoque bureaucratique de croire qu’une politique commune est, par définition, une politique désirable. Sous la pression de la France de Sarkozy et de l’Italie de Berlusconi, la Commission a préparé un projet de « Directive du Retour » qui sera soumise après-demain à la considération des 27 Etats membres de l’Union Européenne. Dés son approbation, les États membres disposeront d’un instrument, il faut presque dire d’un alibi, pour établir un implacable protocole d’expulsion pour huit millions d’étrangers sans-papiers. Maintenant qu’un « presque rien » se transforme en événement historique, il s’avère surprenant qu’on ne souligne pas la dimension de ce projet !
Jamais jusqu’à présent, en aucun temps ni proche ni éloigné, les pouvoirs publics n’avaient décidé de déporter de leur territoire 8 (huit !) millions de personnes. Si quelque chose mérite la qualification d’historique, même si, ensuite, il faut ajouter celui de frilosité, c’est cette législation élaborée avec le manque de bon sens pointilleux des Commissaires qui se limitent à traduire des ordres politiques en paperasseries administratives.
La « Directive du Retour » commence par réhabiliter la figure juridique de la rétention, une monstruosité du point de vue des principes pénaux démocratiques à laquelle a recouru avec profusion les régimes dictatoriaux. Dans les États de droit, les citoyens, indépendamment de leur nationalité, peuvent seulement être, ou en liberté, ou privés de celle-ci par une décision judiciaire qui doit se conformer aux clauses et aux délais fixés par une loi préexistante. Il n’existe pas ni peut exister rien en dehors de ces conditions. Et, moins encore, une détention administrative, qui est le secret sémantique qui se dissimule sous la retenue massive d’immigrants dans des camps spécifiques pour eux. La Commission, l’embryon supposé d’un Gouvernement de l’Europe unie, de l’Europe de la raison, des valeurs, de l’esprit critique et autres mots ronflants, à ce qu’il semble, ne va pas demain suggérer de mettre un terme à cette pratique, mais de la légaliser, pour ainsi dire, d’un point de vue technique.
La route par laquelle l’Union s’efforcera de donner la prospérité à cette initiative sur l’immigration porte à une conclusion qui ne doit pas se cacher aux citoyens : Dans l’Europe des vingt-sept, il y aura des punitions privatives de liberté qui dérivent des Codes Pénaux des pays membres et d’autres punitions, par contre, que ne seront pas considérées comme punitions, bien qu’elles impliquent aussi la privation de liberté, mais qui seront fixés par une Directive, organisé comme une simples décisions de l’Administration. La situation est pas sans conséquences, puisqu’elle ouvre la route par laquelle la Commission suggère l’abolition de certaines des garanties irrévocables de la Loi, seule norme démocratique pénale qui autorise la réclusion d’un citoyen, la privation de sa liberté, après une résolution des Juges.
Dans le projet de la « Directive de Retour » on dit que les immigrants sans-papiers pourront rester jusqu’à six mois dans les centres d’internement et que ce délai pourra s’étendre pour 12 autres mois, jusqu’à un maximum d’an et demi, dans l’hypothèses "d’un manque de coopération de la personne concernée" ou "de retards dans l’obtention des documents nécessaire de la part des pays tiers". Qu’est-ce que cela signifie ? Dans la première hypothèse, que la détention administrative peut être utilisé comme moyen de pression, ou pour le dire dans toute sa crudité, comme chantage, pour que celui "touché" collabore. Dans la deuxième, qu’un retard administratif des pays tiers peut se transformer en un prolongement de la rétention d’un étranger sans-papiers ; cela sans comparaison avec le droit intérieur, puisqu’il ne permet pas d’estimer la prolongation du temps qu’un étranger peut rester privé de liberté, mais qui autorise rien de moins qu’à le tripler en fonction de quelque chose dont il n’est pas, en outre, responsable. De plus, la « Directive de Retour » prévoit que ces mesures soient appliquées, aussi, aux mineurs qui ne sont pas accompagnés. C’est-à -dire, que des mineurs, sans avoir atteint l’âge pénal, pourront passer jusqu’à 18 mois de réclusion.
Le Gouvernement aura une occasion de présenter, après-demain, la nouvelle politique d’immigration qui était annoncée après les élections. Les "contrats" ou les "compromis d’intégration" proposés par le PP (Parti populaire, droite chrétienne espagnole) sont une plaisanterie, comparés avec ce que ce projet de Directive met en jeu. Il ne conviendra pas d’excuser cette décision au nom du réalisme dans le traitement de l’immigration. Parce que résoudre par l’abolition des garanties juridiques la situation de huit millions de travailleurs étrangers que l’UE prétend déporter ce n’est pas un honorable exemple de réalisme, mais une préférence insensée pour les raccourcis. Même s’il s’agit de raccourcis communs, de politiques communes, celles-là qui stimulent tant l’équivoque bureaucratique dont l’UE ne paraît jamais se sauver.
traduction libre de Pierre Capoue
article de JOSÉ MARà A IDAO paru dans « EL Pais » le 05/05/2008 « La Comisión hará historia » et disponible en version originale à l’adresse :
http://www.elpais.com/articulo/espa...
EN COMPLEMENT :
Non à la directive de la honte ! Appel aux parlementaires européens
Au mois de mai 2008, un projet de directive sur la rétention et l’expulsion des personnes étrangères sera soumis au Parlement européen.
Depuis 1990, la politique européenne conduite par les gouvernements en matière d’immigration et d’asile s’est traduite par une réduction continue des garanties et des protections fondamentales des personnes. L’Europe se transforme en une forteresse cadenassée et met en oeuvre des moyens démesurés pour empêcher l’accès à son territoire et expulser les sans-papiers.
Le projet de directive, s’il était adopté, constituerait une nouvelle régression.
En prévoyant une rétention pouvant atteindre 18 mois pour des personnes dont le seul délit est de vouloir vivre en Europe, il porte en lui une logique inhumaine : la généralisation d’une politique d’enfermement des personnes étrangères qui pourrait ainsi devenir le mode normal de gestion des populations migrantes.
En instaurant une interdiction pour 5 ans de revenir en Europe pour toutes les personnes renvoyées, ce projet de directive stigmatise les sans-papiers et les transforme en délinquants à exclure.
Le projet de directive qui sera présenté au Parlement est le premier dans ce domaine qui fasse l’objet d’une procédure de co-décision avec le Conseil des ministres. Le Parlement a donc enfin la possibilité de mettre un terme à cette politique régressive qui va à l’encontre des valeurs humanistes qui sont à la base du projet européen et qui lui donnent sens.
Les parlementaires européens ont aujourd’hui une responsabilité historique : réagir pour ne pas laisser retomber l’Europe dans les heures sombres de la ségrégation entre nationaux et indésirables par la systématisation des camps et de l’éloignement forcé.
Nous appelons les parlementaires européens à prendre leurs responsabilités et à rejeter ce projet.
Pétition en ligne : http://www.directivedelahonte.org/index.php
Pour en savoir plus :
Réseau Éducation Sans Frontières
http://www.educationsansfrontieres.org/
La CIMADE
http://www.cimade.org/