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Le Vieux Continent doit jeter des ponts avec la plus grande superpuissance scientifique du monde : la Chine.

La Chine, l’Europe et Mario Draghi*

La croissance spectaculaire de la Chine nous apprend que si on le veut, on peut changer les choses, et assez rapidement.

Regardons quelques chiffres concernant la recherche et l’innovation. Il y a quelques mois, The Economist publiait un article intitulé "La Chine est devenue une superpuissance scientifique" : la Chine a en effet dépassé les États-Unis et l’ensemble de l’Union européenne en ce qui concerne le nombre d’articles scientifiques à fort impact produits chaque année, et la croissance a été incroyablement rapide : "En 2003, l’Amérique a produit 20 fois plus d’articles à fort impact que la Chine, en 2013, 4 fois plus, et dans la dernière analyse de données, qui porte sur les articles de 2022, la Chine a dépassé à la fois l’Amérique et l’ensemble de l’Union européenne".

La Chine est désormais un importateur net de scientifiques : "Depuis la fin des années 2000, les scientifiques qui reviennent dans le pays sont plus nombreux que ceux qui le quittent" ; en outre, en 2020, les universités chinoises délivraient sept fois plus de diplômes d’ingénieur que les États-Unis. D’ici 2025, les universités chinoises devraient produire presque deux fois plus de doctorats en sciences et technologies que les États-Unis.

Tout cela grâce au fait que "les dépenses de la Chine en matière de recherche et de développement ont été multipliées par 16 depuis 2000" (Economist) et ne montrent aucun signe d’arrêt, alors que les dépenses américaines, comme celles de l’Europe, ont pratiquement stagné. Dans son rapport, Mario Draghi constate cette lacune, mais au lieu de proposer de revitaliser l’ensemble du système de recherche, il recommande de cultiver uniquement l’excellence : une recette ancienne et infructueuse qui a déjà été appliquée en Italie et en Europe et qui a conduit à la centralisation des ressources et du pouvoir dans quelques pôles selon la logique du ruissellement, laissant une grande partie du système universitaire à l’abandon et étouffant le développement d’idées nouvelles.

Tout cela est très clair depuis trop longtemps pour quiconque ne porte pas un regard idéologique néolibéral, et dans notre pays, la responsabilité en incombe certainement à une classe d’affaires embarrassante qui a dicté l’ordre du jour à une classe politique encore pire. Nous nous souvenons de la célèbre justification de Silvio Berlusconi pour les coupes budgétaires dans les universités en 2008 : "Pourquoi devons-nous payer un scientifique si nous fabriquons les plus belles chaussures du monde ?" Et rappelons-nous aussi que Mario Draghi, pour qui personne n’a voté, a été le moteur politique de la transformation de notre pays d’une puissance industrielle dans les années 1990 en une économie basée sur le tourisme, en suivant le conseil du professeur Luigi Zingales de Chicago selon lequel l’Italie n’a pas d’avenir dans l’université et la recherche, mais a un énorme avenir dans le tourisme. Cela ressemblait à une plaisanterie, mais c’était un programme politique qui a été réalisé.

Douze ans plus tard, cette rhétorique a franchi les frontières nationales et le Wall Street Journal a récemment consacré un article au "nouveau moteur économique de l’Europe" : les touristes américains. Il s’agit d’une économie basée sur le tourisme de masse qui connaît actuellement une phase de développement, en particulier dans le sud de l’Europe.

Cependant, il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat de l’Université de Chicago pour savoir que le tourisme est un secteur caractérisé par des emplois à faible valeur ajoutée, souvent précaires et non protégés, qui ne requièrent pas de diplôme ou de spécialisation importante. A l’inverse, une économie orientée vers le tourisme, d’une part, profite aux rentes et, d’autre part, conduit à une subordination technologique et scientifique. Tel est l’avenir que la gérontocratie au pouvoir, dont Draghi est le champion, a préparé pour notre pays et pour l’Europe. Il faut au contraire développer les forces intellectuelles et culturelles du Vieux Continent en renforçant le système universitaire dans son ensemble et en cherchant à jeter des ponts même avec la plus grande superpuissance scientifique du monde, à savoir la Chine.

Francesco Sylos LABINI

*Mario Draghi est l’ancien président de la Banque centrale européenne. Il a été président du Conseil des ministres d’Italie du 13 février 2021 au 22 octobre 2022.

PS : cet article a été supprimé de Facebook

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Francesco Sylos Labini est physicien et directeur de recherche au Centre de recherche Enrico Fermi à Rome. Il est l’un des fondateurs du blog "Return on Academic Research and School" (Roars), l’un des plus importants forums italiens de discussion sur la recherche et les politiques d’enseignement supérieur. Il rédige des éditoriaux pour divers journaux italiens et a contribué à plusieurs revues en ligne et sites web avec des articles sur la diffusion de la science et les politiques scientifiques. Outre ses publications professionnelles, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’enseignement supérieur et la recherche universitaire en Italie et à l’étranger. Il est le fils de l’économiste Paolo Sylos Labini et veille à son héritage documentaire.

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