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La bataille pour al-Aqsa vient à peine de commencer (Al Jazeera)

Des centaines de Palestiniens prient dans le quartier de Ras al-Amud, à l’est de Jérusalem, en dehors de la vieille ville, le 28 juillet 2017 - Photo : ActiveStills.org

Malgré l’absence de leadership politique, la manifestation de la mosquée Al-Aqsa du mois dernier a été un succès. Pourquoi ?

Un mois après que les manifestations contre les nouvelles mesures de sécurité israéliennes à la mosquée d’Al-Aqsa ont secoué Jérusalem-Est occupée, la tension entre les résidents palestiniens de la vieille ville et les forces de sécurité israéliennes n’a pas diminué à cause de la politique israélienne de punition collective.

Selon le groupe de défense des droits des prisonniers Addameer, 425 Palestiniens ont été arrêtés à Jérusalem-Est rien qu’en juillet. La majorité des arrestations a eu lieu au cours de la deuxième moitié du mois qui a suivi la mise en place des mesures de sécurité israéliennes aux entrées de l’esplanade des Mosquées.

Les arrestations se sont poursuivies en août, après le succès de ce qui a été, selon les observateurs, la plus grande manifestation de désobéissance civile de l’histoire récente des Palestiniens qui a forcé Israël à démanteler les portiques de contrôle et les caméras de vidéosurveillance qu’il avait installés, au bout de seulement deux semaines de protestation.

« Ils veulent se venger sur tout notre peuple », a déclaré à Al Jazeera, un résident du quartier Bab al-Hutta dd la vieille ville quand la police des frontières israéliennes a arrêté son voisin un soir du mois d’août.

La bataille des portes

La « Bataille des portes », comme certains habitants de Jérusalem l’appellent, a commencé le 14 juillet lorsque trois citoyens palestiniens d’Israël de la ville d’Umm al-Fahm ont tué deux policiers israéliens à l’entrée de Bab Hutta, juste à l’extérieur de la Mosquée d’al-Aqsa.

Les autorités israéliennes ont d’abord répondu en fermant toute l’esplanade des mosquées pour la première fois depuis 1969, avant d’installer des portiques de contrôle deux jours plus tard.

Conscients que les portiques de contrôle constituaient plus une affirmation du contrôle israélien sur al-Aqsa qu’une mesure de sécurité normale, les Palestiniens ont organisé une manifestation illimitée contre les mesures nouvellement introduites à Jérusalem.

Un officier de police frontalier israélien monte la garde pendant la prière du vendredi dans le quartier de Ras al-Amud à l’extérieur de la vieille ville le 21 juillet 2017 [Lior Mizrahi / Getty Images]

Les manifestations ont été largement pacifiques, et des dizaines de milliers de palestiniens ont participé à des sit-in et à des prières à l’extérieur des portes de l’esplanade. Les sit-in et les prières étaient souvent précédés et suivis de la psalmodie de slogans qui appelaient à la libération de Jérusalem et de la mosquée Al-Aqsa, et qui condamnaient l’occupation israélienne et la complicité des gouvernements arabes avec les forces d’occupation.

Étant donné l’absence de leadership politique, la question qui se pose est de savoir ce qui a fait de ces manifestations, dans lesquelles ont participé de dizaines de milliers de Palestiniens, un succès ?

« Notre seul espace de respiration »

Pour les Palestiniens, l’esplanade des Mosquées est bien plus qu’un simple lieu de culte dans un espace communautaire.

« Al-Aqsa, c’est comme notre propre maison, c’est notre seul espace de respiration », a déclaré Zahra Qaws, une infirmière de la communauté afro-palestinienne de la vieille ville de Jérusalem, à Al Jazeera.

« Nous ne prions pas seulement, là », a expliqué Qaws. « Nous nous rassemblons, nous nous reposons et nous nous détendons là, et nos enfants y jouent aussi. Nous séparer d’al-Aqsa, c’est comme nous enlever nos poumons ».

Les plus grands sit-in de protestation contre les portiques de contrôle ont eu lieu à l’extérieur de la porte des Lions et de la porte d’al-Majlis près de l’endroit où vit la communauté afro-palestinienne.

Décrivant l’esplanade des Mosquées comme la seule possibilité de « répit » des familles palestiniennes qui vivent dans la vieille ville et qui souffrent de l’interdiction des forces israéliennes de rénover ou d’agrandir leurs maisons, Qaws a ajouté que lorsque les manifestations ont commencé, les résidents ont toute de suite compris qu’il fallait absolument soutenir les sit-in de toutes les manières possibles.

« Les habitants ont tout de suite instinctivement soutenu les manifestations en apportant de la nourriture, de l’eau et un soutien chaleureux aux manifestants », a-t-elle expliqué, ajoutant qu’elle-même avait aidé à préparer de la nourriture pour les manifestants au début des sit-in.

L’idée de distribuer de la nourriture aux manifestants, dont le nombre augmentait chaque jour, est venue d’un vendeur ambulant appartenant à la communauté afro-palestinienne. Le jeune homme, dont le nom n’est pas divulgué pour des raisons de sécurité, a fait don, aux personnes qui se joignaient aux sit-in, des fruits et des légumes qu’il vend habituellement sur son chariot.

Des résidents de la vieille ville ont poussé la chose un peu plus loin et se sont organisés pour cuisiner de la nourriture et distribuer aux manifestants des aliments et des fruits qu’ils avaient chez eux. Puis il y a eu ensuite de dons d’argent et de repas tout prêts par toutes sortes d’entités palestiniennes (individus, entreprises, organisations de bienfaisance), à mesure que le nombre de manifestants augmentait et dépassait de plus en plus les modestes capacités des résidents de la vieille ville.

Les Palestiniens s’interdisent l’accès à l’esplanade

Mais ce qui a rendu ces sit-in populaires en premier lieu, selon des Palestiniens de Jérusalem-Est, c’est le refus d’entrer sur l’esplanade des Mosquées tant que les nouvelles mesures de sécurité israéliennes seraient encore en place.

Selon plusieurs manifestants interrogés par Al Jazeera, la décision a été prise spontanément par les jeunes gens, dont beaucoup ont refusé de parler aux médias à cause de la répression israélienne qui a suivi le mouvement de protestation.

Cette règle non écrite a été respectée par tous. Omar al-Kiswani, responsable de la mosquée d’Al-Aqsa et de la Fondation islamique (Waqf), a été le premier officiel de la Waqf à refuser, sous la pression populaire, d’entrer sur l’esplanade en empruntant les portiques de contrôle.

« la prière sur l’esplanade nous manque beaucoup » a déclaré, à l’époque, Kiswani aux médias locaux, « mais nous voulons pouvoir y entrer avec dignité et fierté. »

Un moral de fer

Les manifestants ont gardé le moral tout au long des sit-in dans la terrible chaleur de juillet, et même après la répression israélienne. En priant dans les rues ou sur les marches, en s’encourageant mutuellement à la persévérance après les prières, les manifestants sont restés confiants dans le succès de leur mouvement.

La nature pacifique des manifestations a permis aux Palestiniens de tous horizons et de tous âges, y compris aux enfants, aux familles et aux personnes âgées, d’y participer.

Jahad, qui a refusé de donner son nom de famille, a dit à Al Jazeera que l’esplanade des Mosquées n’avait pas seulement une valeur religieuse pour les Palestiniens ; c’est aussi l’épicentre de leur vie.

« C’est pourquoi beaucoup d’entre nous qui ne sommes pas religieux et ne prions généralement pas, nous sommes venus participer aux sit-in », a-t-il déclaré. « Certains de ceux qui étaient là ne savent même pas prier correctement, mais ils ont tenu à venir ».

Les fidèles musulmans palestiniens prient à l’extérieur de la Porte du Lion qui mène à l’esplanade des Mosquées dans la vieille ville de Jérusalem le 26 juillet 2017 [Ahmad Gharabli / AFP]

« Les forces israéliennes nous lançaient des grenades incapacitantes pendant la prière », a déclaré à Al Jazeera, Zinat al-Jallad, qui a été souvent interdit d’entrer sur l’esplanade des Mosquées. « Mais, plus la répression augmentait, plus ils nous battaient, plus il y avait de monde aux sit-in ».

Pas de dirigeants politiques

Selon Bababé Joudeh, qui habite dans le quartier palestinien de Wadi Joz à Jérusalem-Est occupée, une des raisons pour lesquelles les sit-in ont remporté un tel succès est que les manifestants ont refusé d’y accueillir les politiciens palestiniens, par crainte qu’ils ne récupèrent le mouvement pour leur profit politique personnel et qu’ils ne le brisent.

« Ils se sont même mis à psalmodier des slogans contre Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, quand il a publié un communiqué exprimant son soutien aux manifestants », a dit Joudeh à Al Jazeera.

Selon Abdelsattar Qassem, professeur de science politique à l’Université An-Najah à Naplouse, Abbas était rejeté par les manifestants parce que les intérêts de l’Autorité palestinienne « sont profondément entrelacés avec ceux de l’Israël ».

« Même le gel ostensible de la coordination sécuritaire [entre l’AP et Israël] a été considéré comme de la communication à destination du grand public et une tentative de l’AP pour sauver la face », a déclaré M. Qassem, qualifiant le soutien du gouvernement pour les manifestations de « rhétorique ».

Abbas n’a pas été le seul chef arabe contre lequel des slogans ont été psalmodiés. Pendant de nombreuses années, les dirigeants arabes ont utilisé la cause de Jérusalem pour faire oublier leur domination tyrannique et améliorer leur image, tout en se moquant bien du sort des Palestiniens à Jérusalem, et de leur marginalisation croissante sous l’occupation israélienne au fil des décennies. Le roi saoudien Salman, le roi jordanien Abdallah, et le président égyptien Abdel Fattah el-Sisi n’ont pas été épargnés par les manifestants.

Un esprit de résistance extraordinaire

Actuellement, selon Joudeh, des colons juifs, parrainés principalement par des groupes ultra-nationalistes de droite tels que le Mouvement du Mont du Temple, entrent presque tous les jours sur l’esplanade sous la protection de soldats israéliens fortement armée pour procéder à des célébrations religieuses.

Leur présence est considérée comme une provocation par les fidèles palestiniens et comme une tentative pour renverser le statut quo qui, selon un accord signé entre Israël et le gouvernement jordanien après l’occupation israélienne de Jérusalem-Est en 1967, interdit tout culte non-musulman au sein de l’enceinte.

La révolte couve à Jérusalem, selon Joudeh.

« À Jérusalem, la répression [israélienne] des Palestiniens a considérablement augmenté », a-t-elle précisé. « Les arrestations arbitraires, les fouilles au corps, la destruction arbitraire des voitures palestiniennes et les points de contrôle se multiplient. »

Selon Joudeh, malgré les restrictions et les mesures répressives supplémentaires mises en place par les autorités israéliennes, l’esprit de résistance des Palestiniens résidant à Jérusalem-Est occupée n’a jamais été aussi fort.

Les Palestiniens sont loin de se reposer sur leurs lauriers après le succès sans précédent de leurs manifestations de protestation.

« La mobilisation populaire a permis de faire échouer la tentative d’Israël d’élargir son contrôle sur Al-Aqsa », a déclaré Al-Jallad, qui n’a toujours pas le droit d’entrer sur l’esplanade des Mosquées malgré l’absence d’un arrêté officiel contre elle.

« Mais nous devons voir ce succès comme le début d’un nouveau combat. Les efforts des autorités israéliennes pour judaïser la ville ne s’arrêteront pas, et nous devons profiter de notre victoire pour intensifier la résistance. »

Linah Alsaafin et Budour Hassan

Traduction : Dominique Muselet

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