Mesure-t-on bien assez la place de plus en plus grande que prend la machine dans nos vies aujourd’hui et les conséquences de cette « intrusion » ?
(Je n’aborderai pas ici le formatage de la pensée, ni le flicage de nos vies par GAFA...Google, Amazon, Face Book et Apple).
J’avais relevé, il y a quelque temps déjà que « Humanis » avait écrit à ses ressortissants (ma mère, 92 ans) pour leur faire savoir que, pour des raisons d’économie et de protection de l’environnement, il ne leur serait plus adressé d’attestation papier du montant total annuel de ce qui leur était versé au titre de leur retraite, que ce montant serait directement déclaré aux impôts et imprimé sur leurs déclarations de revenus/ que s’ils voulaient consulter, il leur faudrait alors consulter leur compte personnel sur l’ordinateur, etc. etc.
Insidieusement, sournoisement mais sûrement on rend indispensable quelque chose qui n’est pas – encore – obligatoire de par la loi (la possession d’un ordinateur) : formalités administratives, actes publics, parapublics, mais aussi actes de la vie privée. « On » nous oblige à passer à l’ordinateur, comme on nous oblige à passer au téléphone portable en supprimant les cabines téléphoniques dans les villes.
Ceux qui cassent les services publics – et veulent bâtir l’« e » administration pour avoir moins de fonctionnaires à payer et réduire ainsi la dépense publique… Agriculteurs obligés de s’équiper en informatique pour faire leur télédéclaration dans le cadre de la P.A.C. (Politique Agricole commune). Moi-même, auteur de ces lignes, combien de fois n’ai-je pas plaidé la cause des administrés face à des directions d’administration qui voulaient régler tous les problèmes des gens en les renvoyant à la consultation d’écrans : légifrance, code machin, etc. L’administration, vous savez… Tapez un, tapez deux, et si vous avez le bonheur d’avoir encore quelqu’un au bout du fil, vous découvrirez que c’est à Paris, quand ce n’est pas à l’autre bout du monde, que se trouve l’interlocuteur que vous appelez pour un problème de boites aux lettres cassée en Province !… (authentique).
Suivi de paiement de prestation par l’assurance maladie (AMELI ou Assurance Maladie En LIgne), suivi de retrait de points du permis de conduire, suivi de procédure engagée devant un tribunal avec un numéro codé (Sagace pour le Tribunal administratif), jusqu’à la Poste qui vous demande de préparer vos affranchissements chez vous, avec votre « machine », etc. etc.
Ceux qui s’engouffrent dans le filon : courrier électronique, toutes démarches et gestes de la vie quotidienne et privée : photographies sur appareil numérique et exploitation de ces photos sur l’ordinateur, consultation de catalogue, suivi de commande, paiement électronique, etc.
Sauf que… sauf que ? Combien de gens savent maîtriser cette technique, de surcroît en perpétuelle évolution ?
Une lettre d’un lecteur de La Décroissance publiée dans ce périodique au mois de mai 2016 nous apprenait que « … seules les personnes de moins de quarante ans ont reçu une formation aux NTIC au collège et les plus de soixante ans ont pu mener, pour la plupart, toute leur vie professionnelle sans les utiliser. »
D’où la fracture sociale, d’où les laissés pour compte, d’où les beaux jours des « hot-lines », d’où les beaux jours de toutes ces boîtes et sociétés qui profitent des méconnaissances, de l’ignorance d’un grand nombre de « consommateurs » pour leur refiler des abonnements incompréhensibles, surfacturés, et des services, des outils surdimensionnés* – mais bien onéreux – par rapport à leurs besoins…
D’où, peut-être aussi la responsabilité de la société, de l’école, du service public d’éducation nationale, de l’éducation permanente…
De nouveaux fronts à ouvrir, de nouveaux combats à mener pour garder des espaces d’humanité ainsi que la maîtrise de nos vies et destins.
* Voir François de Closets et Bruno Lussato : L’imposture informatique ».