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L’OEA et le vol du président de la Bolivie : une innovation technique.

Photo : Conférence de presse du Président Evo Morales à Vienne, 3 juillet 2013 (Note de presse de La Nación, Costa Rica) 

Le 9 juillet dernier, le Conseil Permanent de l’Organisation des Etats Américains a adopté une résolution intitulée : SOLIDARITÉ DES ÉTATS MEMBRES DE L’OEA AVEC LE PRÉSIDENT DE L’ÉTAT PLURINATIONAL DE BOLIVIE, EVO MORALES AYMA,ET LE PEUPLE BOLIVIEN (voir texte officiel en Français reproduit à la fin de cette note). Il s’agit d’une superbe victoire diplomatique de la Bolivie, suite à la situation inédite provoquée par les conditions du vol de retour depuis Moscou du Président de la Bolivie effectué le 2 juillet dernier : le vol officiel d’un chef d’Etat est entouré de certaines garanties que lui reconnaît le droit international public. Refuser le survol de l’espace aérien à un chef d’Etat en vol officiel de la part d’Etats qui (par ailleurs) maintiennent avec lui de bonnes relations diplomatiques, commerciales et politiques mérite des explications qui ont tardé à être données.

LE TEXTE DE LA RESOLUTION ADOPTÉE PAR l’OEA.

Cette résolution mérite mention à part dans la mesure où les représentants de la France, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal, Etats incriminés (dans la mesure où ils ont refusé l’usage de leur espace aérien) ont été écoutés attentivement par les membres de l’OEA. Le texte adopté par l’OEA indique que les représentants des quatre Etats européens ont été peu convaincants. Le communiqué de presse du Secrétariat Général de l’OEA précise dans sa version en Anglais (absence de version en Français au moment de rédiger cette note) : ’ The text, adopted by consensus in a special meeting of the Council convened at the request of Bolivia, Ecuador, Nicaragua and Venezuela, resolves ’to condemn actions that violate the basic rules and principles of international law such as the inviolability of Heads of State,’ and ’to firmly call on the Governments of France, Portugal, Italy and Spain to provide the necessary explanations of the events that took place with the President of the Plurinational State of Bolivia, Evo Morales Ayma, as well as apologies as appropriate

Cette résolution a été adopté après de longs débats et négociations en recourant à la technique du consensus. Il est probable que les diplomates de la Bolivie, aidés par les diplomates de l’Equateur, du Nicaragua et du Venezuela auraient souhaité un texte plus ferme, et que la révision à la baisse du vocabulaire que suppose la technique du consensus ait abouti à la version finalement adoptée. Il demeure que le texte est extrêmement clair sur l’identité des Etats incriminés et exige (en plus des explications de rigueur), des excuses officielles. On lit au point 3 que le Conseil Permanent de l’OEA décide... 3. De lancer un ferme appel aux gouvernements de la France, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne pour qu’ils fournissent les explications nécessaires sur les faits survenus en relation avec le Président de l’État plurinational de Bolivie, Evo Morales Ayma, et pour qu’ils fassent les excuses pertinentes

Depuis le 9 juillet dernier, l’ensemble des Etats membres de l’OEA attend donc de pied ferme des explications et des excuses de la part de la France, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal.

UNE FERMETÉ CURIEUSEMENT REVISITÉE.

La fermeté du texte mérite une nuance pour ce qui a trait aux Etats-Unis et au Canada : en effet, de façon quelque peu surprenante, ce texte a donné lieu à un exercice inédit au sein de l’OEA dans la mesure où la délégation des Etats-Unis et celle du Canada ont adjoint à la fin du texte une note en bas de page indiquant ne « pouvoir se rallier » au consensus obtenu : on négocie un texte pour parvenir à un consensus (évitant par ce biais la menace d’un vote), puis on notifie avec une note en bas de page ne pas s’y rallier. Voilà une façon somme toute plutôt originale (et semble-t-il sans précédent au sein de l’OEA) de réinventer la technique du consensus comme mécanisme d’adoption d’un texte au sein d’une organisation internationale.

Il convient de noter que ces deux mêmes Etats avaient exhibé leur isolement au sein de l’OEA en votant contre la résolution qui exigeait une réunion d’urgence des Ministres des Relations Extérieurs de l’OEA à la demande de l’Equateur en août 2012 (et concernant la menace d’une opération commando proférée par la diplomatie britannique pour récupérer Julian Assange, fondateur de l’organisation Wikileaks, réfugié à l’Ambassade de l’Equateur à Londres depuis le mois de juillet 2012). La réunion des Ministres fut un succès pour l’Equateur et nous avions eu l’occasion d’écrire à ce propos que « L’Equateur a pu compter avec la présence de 12 Ministres des Affaires Etrangères (Argentine, Chili, Colombie, Equateur, Haiti, Guyana, Mexique, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay et Venezuela).et d’un Vice Ministre (Guatemala) lors de la Réunion de Consultation des Ministres des Relations Extérieures au sein de l’Organisation des Etats Américains (OEA) le 24 août 2012 (réunion à caractère « extraordinaria » dont la convocation fut l’objet d’un vote, avec trois contre sur 35 à savoir celui des Etats Unis, du Canada et de Trinité et Tobago et 5 abstentions dont celles du Panama et du Honduras). » (Note 1).

Du point de vue politique, ces deux notes en bas de pages des Etats-Unis et du Canada constituent un exercice périlleux dans la mesure où la motivation d’une telle démarche est peu claire : on imagine mal les Etats européens incriminés faire pression sur les Etats-Unis et le Canada afin d’obtenir d’eux une telle « séparation » du consensus adopté par l’ensemble des Etats membres de l’OEA. 

DES EXCUSES FORMELLES EN ATTENTE

Suite à la condamnation (unanime et sans notes en bas de page) par une autre organisation régionale, le MERCORSUR (qui regroupe l’Argentine,le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Vénézuéla) le 12 juillet dernier (voir texte de la résolution), l’Espagne a été la première à faire le pas, en présentant, par l’entremise de son représentant à La Paz, les excuses officielles de l’Espagne le 16 juillet dernier. On lit que l’ambassadeur d’Espagne à La Paz a présenté un texte indiquant que « Lamentamos ese hecho, presentamos nuestras excusas por ese proceder, que no fue adecuado y que al presidente le molestó y le puso en una situación difícil e impropia de un jefe de Estado’. La note fait référence à l’action (inédite) de l’ambassadeur d’Espagne à l’aéroport de Vienne qui tenta le 3 juillet dernier une perquisition de l’intérieur de l’aéronef utilisée par le Président de la Bolivie (voir note de presse). Pour ce qui est des déclarations données à la presse par les autorités françaises dès le 4 juillet (voir note de presse), celles-ci ne semblent pas avoir satisfait les exigences de la Bolivie : la France est traitée au même titre que les trois autres Etats dans le texte de la résolution de l’OEA du 9 juillet dernier. La dernière fois que la France s’est officiellement excusée vis-á-vis d’un autre Etat semblerait remonter à l’affaire du Rainbow Warrior (explosion par deux agents des services secrets français d’un bateau de Greenpeace dans le port d’Auckland en Nouvelle Zélande le 10 juillet 1985) (Note 2). On lit à ce sujet que « les excuses dues par le gouvernement français répondent exactement à la définition de la satisfaction, c’est-à-dire la constatation solennelle du manquement au droit international » (Note 3).

CONCLUSION

Le fait que des organisations régionales de l’Amérique Latine telles que l’UNASUR, L’ALBA, la CELAC, l’OEA et le MERCOSUR aient démontré une solidarité sans faille avec la Bolivie (à l’exception des deux notes en bas de page des Etats-Unis et du Canada dans le cadre de l’OEA) devrait inviter les Etats qui ne l’ont pas encore fait à présenter officiellement leurs excuses à la Bolivie. Les prochains sommets officiels pourraient donner lieu à des situations peu commodes si des excuses formelles ne sont pas présentées à la Bolivie, et l’agenda bilatéral propre de ces quatre Etats avec la Bolivie pourrait même en pâtir.

Nicolas Boeglin

Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica

Note (1) : Nous avions eu l’occasion de préciser dans ces mêmes pages que « . Cf notre article : « Equateur/CIRDI : nouvelle fronde avec probables répercussions régionales  »

Note (2) : Cf. Nguen Quoc Dinh, Dailler P. et Pellet A., Dtoit International Public, Paris, LGDJ, 1999, p. 482. Cf. sur ce point précis CHARPENTIER J, « L’affaire du Rainbow Warrior : le règlemente inter-étatique », AFDI (1985) pp. 673.6885, p. 881.

Note (3) : Cf. CHARPENTIER J, « L’affaire du Rainbow Warrior : le règlemente inter-étatique », 32, AFDI (1986) pp. 873-885, p. 881.


 

Texte officiel de la Résolution adoptée par le Conseil Permanent de’OEA le 9 juillet 2013 :  

CP/RES. 1017 (1927/13) 

SOLIDARITÉ DES ÉTATS MEMBRES DE L’OEA AVEC LE PRÉSIDENT DE L’ÉTAT PLURINATIONAL DE BOLIVIE, EVO MORALES AYMA, ET LE PEUPLE BOLIVIEN[1 ][2 ] 

(Adopté durant la séance tenue le 9 juillet 2013) 

LE CONSEIL PERMANENT DE L’ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS, 

CONSIDÉRANT : 

Que la Charte de l’Organisation des États Américains établit que “le droit international constitue la norme de conduite des États dans leurs relations mutuelles” ; et que “l’ordre international est basé essentiellement sur le respect de la personnalité, de la souveraineté et de l’indépendance des États ainsi que sur le fidèle accomplissement des obligations découlant des traités et des autres sources du droit international” ; 

Qu’il est fondamental que tous les États respectent strictement les normes et les coutumes qui régissent l’immunité des chefs d’État, ainsi que les normes et règlements du droit international concernant l’utilisation de l’espace aérien pour les survols et les atterrissages ; 

Que le Gouvernement de l’État plurinational de la Bolivie, par le truchement de sa Mission permanente près l’OEA, a fait savoir et dénoncé publiquement que le 2 juillet 2013, l’avion présidentiel immatriculé au FAB-001 qui transportait le Président Evo Morales Ayma vers La Paz, a été forcé de faire un atterrissage d’urgence à Vienne (Autriche), suite à l’annulation, au refus ou au retard des autorisations préalablement émises de survol et d’atterrissage dans les espaces aériens de la France, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne, la sécurité du mandataire bolivien et sa suite et d’autre part, a violé le droit international régissant ces questions, 

Que le Secrétaire général de l’Organisation a exprimé opportunément, par un communiqué de presse, le profond malaise que lui a causé la décision des autorités de divers pays européens qui ont empêché l’utilisation de l’espace aérien par l’avion qui transportait de Moscou à La Paz, le Président de l’État plurinational de Bolivie, Monsieur Evo Morales ; et qu’en même temps, il a demandé aux pays concernés des explications au sujet des motifs qui les avaient portés à prendre cette décision, notamment parce qu’elle mettait en danger la vie du premier mandataire d’un pays membre de l’OEA, 

DÉCIDE : 

1. D’exprimer la solidarité des États membres de l’Organisation des États Américains au Président de l’État plurinational de la Bolivie, Monsieur Evo Morales Ayma. 

2. De condamner les actes qui ont violé les normes et principes de base du droit international, comme par exemple l’inviolabilité des chefs d’État. 

3. De lancer un ferme appel aux gouvernements de la France, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne pour qu’ils fournissent les explications nécessaires sur les faits survenus en relation avec le Président de l’État plurinational de Bolivie, Evo Morales Ayma, et pour qu’ils fassent les excuses pertinentes. 

4. De lancer un appel en faveur de la poursuite d’un dialogue respectueux et constructif entre les parties, conformément au droit international et aux mécanismes de règlement pacifique des différends. 

5. De renouveler la validité intégrale des principes, normes et coutumes internationales qui régissent les relations diplomatiques entre les États et garantissent la coexistence pacifique entre tous les pays qui forment la communauté internationale. 

6. De charger le Secrétaire général de donner suite aux dispositions de la présente résolution. 

NOTES DE BAS DE PAGE

1. Le Canada ne peut se joindre au consensus concernant cette résolution. Le Canada respecte les privilèges et immunités octroyés aux chefs d’État dans le droit international coutumier. Cependant, dans ce cas, il existe des interprétations contradictoires au sujet des faits entourant cet incident. De surcroît, l’octroi ou l’annulation présumée d’une autorisation de survol est une affaire bilatérale indépendante de la question des privilèges et des immunités accordés aux chefs d’État. Avant de soumettre ce point à l’Organisation, les États nommés dans la résolution devraient rechercher un règlement de la question à travers des filières diplomatiques. 

2. Les États-Unis ne peuvent pas se joindre au consensus concernant cette résolution. Les faits pertinents concernant l’incident sous référence ne sont pas clairs et se prêtent à des rapports contradictoires. Il n’est donc pas approprié pour cette Organisation de faire des déclarations les concernant pour le moment. De surcroît, la question de l’octroi ou de l’annulation d’autorisations de survol ou d’atterrissage est une affaire bilatérale entre la Bolivie et les pays concernés. Il est inutile et inapproprié pour l’OEA d’essayer d’intervenir pour le moment.

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