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L’aspiration à l’indépendance : l’Intifada s’étend au-delà de la Palestine (Counterpunch)

Vous vous souvenez de "l’effet domino" qui selon les néoconservateurs devait suivre le renversement des talibans en Afghanistan et celui de Saddam Hussein en Iraq ?
Leur renversement devait entraîner celui d’autres "leaders hostiles d’états voyous" comme ceux d’Iran ou de Syrie qui refusaient de se subordonner aux intérêts israélo-étasuniens au Moyen Orient. L’effet domino n’était pas supposé menacer les régimes "amis" qui régnaient sur l’Egypte, la Tunisie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Yemen, le Barhein et leurs sous-fifres qui étaient fermement alignés sur les USA. Au contraire il avait pour but de remplacer les régimes "réfractaires" du premier type par des "états-clients" du deuxième type qui se plieraient à toutes les exigences géopolitiques des USA dans la région.

A peine dix ans plus tard, cependant, le vent politique a tourné dans la direction opposée au Moyen Orient : Ce ne sont pas les états que les USA ont qualifiés "d’états voyous" qui tombent mais "les états modérés amis des USA" qui s’écroulent. Comment expliquer ce renversement historique ?

Parmi les nombreux facteurs importants qui concourent indubitablement aux saisissantes révoltes sociales du monde arabo-musulman il faut mentionner les difficultés économiques, la dictature et la corruption rampante. Tandis que ces facteurs relativement évidents sont souvent cités, d’autres, d’importance comparable mais moins évidents, sont souvent oubliés. Le facteurs qui sont rarement mentionnés sont : l’aspiration à la souveraineté nationale, la frustration due au brutal traitement réservé aux Palestiniens, et l’outrage que représente la malveillante campagne de diffamation des valeurs culturelles et religieuses du monde arabo-musulman. En d’autres termes, les peuples arabo-musulmans ne sont pas seulement en colère contre la répression gouvernementale, la corruption et les difficultés économiques ; Ils en veulent aussi à leurs leaders à cause de leur inféodation à ou de leur collusion avec l’impérialisme étasunien et le (mini) impérialisme israélien et aussi à cause des attaques insidieuses et offensantes contre leur héritage culturel et religieux.

L’écrasante majorité des populations arabo-musulmanes qui sont se soulevées contre le status quo, se sentent profondément humiliées d’être gouvernées par des tyrans qui se soumettent aux impératifs économiques et géopolitiques de puissances étrangères. Et le cruel traitement infligé aux Palestiniens est tout aussi déshonorant pour eux. La création de l’état israélien qui impose son occupation coloniale par la terreur, le nettoyage ethnique et l’expulsion d’au moins 750 000 Palestiniens de chez eux, et la violence continuelle que ce peuple subit au jour le jour est considérée par les peuples arabo-musulmans comme une violence humiliante exercée contre eux tous.

Les médias corporatistes et les pontifes des médias dominants des USA ont tendance à minimiser ou carrément nier le rôle moteur que l’anti-sionisme/anti-impérialisme joue dans les soulèvements. Par exemple le journaliste du New York Times, Thomas L. Friedman a récemment écrit (dans un article du 16.02.2011) : "L’Egypte a aujourd’hui été réveillée par sa jeunesse d’une manière unique -pas pour lutter contre Israël ou les USA, mais en quête de pouvoir personnel, de dignité et de liberté." Il est clair que M. Friedman doit avoir une définition très étroite de dignité et liberté -comme si ces valeurs universellement chéries n’avait aucun rapport avec la domination d’un gouvernement ou d’un pays étranger.

Le fait demeure toutefois que les aspirations à la souveraineté nationale et le sentiment anti-impérialiste jouent un rôle important dans le soulèvement. Cela explique pourquoi l’agitation a gagné de larges pans de la société. Ce ne sont pas seulement les pauvres ou les classes laborieuses qui rejoignent les jeunes dans la rue sous la pression économique, ce sont aussi les classes moyennes relativement aisées. Des couches professionnelles comme les hommes de loi, les docteurs et les enseignants s’y joignent aussi.

De même que l’Intifada palestinienne a pour but de mettre fin à l’occupation sioniste de sa terre, de même l’agitation plus large du monde arabo-musulman peut être considérée comme une grande Intifada qui veut mettre fin à la domination impérialiste de leurs gouvernements. Les banderoles et les slogans de la place de la Libération du Caire dirigés non seulement contre Moubarak mais contre les USA et Israël, reflétaient ce sentiment :

"Nous ne sommes pas avec les USA ni avec aucun autre gouvernement. Nous sommes capables de nous débrouiller tout seuls... Nous ne voulons pas que les USA participe à l’instauration d’un régime démocratique en Egypte. Nous refusons toute ingérence étrangère... Nous sommes des égyptiens et nous sommes capables de décider tout seuls de notre sort..." "Je ne crois pas qu’Israël soit un état. Je n’y crois pas. Israël n’est qu’une occupation. Personnellement en tant qu’Egyptien je ne reconnais pas l’existence d’Israël. Et je ne reconnais pas non plus les gouvernements arabes qui traitent ou travaillent avec Israël".

Un si grand désir de ne pas être soumis à des influences étrangères à conduit Graeme Bannerman, l’ancien analyste du Moyen Orient au département d’état étasunien de planning politique à reconnaître ( à la National Public Radio le 27.01.2011) que "L’opinion publique au Moyen Orient était si anti-américaine que n’importe quel changement populaire au Moyen Orient aurait une orientation anti-américaine et en tous cas serait moins bien disposé envers les USA, ce qui nous poserait un sérieux problème."

Un signe révélateur de l’intensité de la colère que ressentent les arabes de la rue en voyant leurs leaders se soumettre aux intérêts israélo-étasuniens et en voyant le brutal traitement que subissent les Palestiniens se manifeste dans le fait que, selon un grand nombre d’enquêtes d’opinion, ils ont plus de respect pour les leaders iraniens qui ne sont ni arabes ni sunnites, que pour leurs propres leaders arabes -parce que contrairement à la plupart des leaders arabes, les leaders iraniens (depuis la révolution de 1979) se sont fermement opposés aux politiques impérialistes et égocentriques dans la région.

Les régimes égyptiens de Hosni Moubarak et de Anwar Sadat (avant lui) étaient spécialement méprisés pour leur servilité aux USA et à Israël. Depuis sa création en 1948 et jusqu’en 1979 aucun état arabe n’avait reconnu Israël en tant qu’état légitime. Mais en 1979, l’Egypte (sous la présidence de Sadat) a rompu les rangs du monde arabo-musulman en signant "l’accord de paix" avec Israël qui a pris le nom d’accord de camp David.

Bien que l’accord ait été officiellement conclu entre Israël et l’Egypte, les USA étaient un intermédiaire clé et le partenaire principal. les USA acceptèrent de fournir à l’Egypte des aides financières et militaires substantielles, d’un montant d’environ 2 milliards par an, en échange de sa reconnaissance d’Israël et de sa soumission aux impératifs économiques et géopolitiques israélo-étasuniens dans la région. Comme l’a dit récemment Alison Weir, reporter et directeur exécutif de "if Americans knew" (si les Américains savaient), en reconnaissant ainsi Israël et en normalisant sa relation avec lui, "l’Egypte a ouvert à d’autres pays la voie de la "normalisation" de leurs relations avec Israël, malgré la situation anormale de la Palestine."

Depuis l’Egypte a été de facto l’allié d’Israël ainsi que la base des intérêts économiques et géopolitiques des USA au Moyen Orient. Elle a ouvert son espace aérien, ses réserves d’eau et son sol aux forces armées étasuniennes. Elle s’est employée à persuader ou forcer les gouvernements et les forces politiques de la région à servir les intérêts israélo-étasuniens. Et elle a servi de contre pouvoir contre des pays comme l’Iran qui s’opposaient aux visées impérialistes des Etasuniens et des Israéliens sur la région. En tant que "partenaire de la paix" avec Israël, l’Egypte a aussi été complice de la politique coloniale israélienne et de la cruelle oppression du peuple palestinien.

Bien que sous influence israélo-étasunienne, Anwar Sadat a reçu le prix Nobel de la Paix (en même temps que le premier ministre Begin d’Israël) pour la "paix" de camp David ; les partisans de la souveraineté nationale de l’Egypte et les défenseurs des droits du peuple palestinien ont considéré cet accord comme une trahison et une capitulation à l’expansionnisme sioniste et à l’impérialisme étasunien.

L’outrage que la trahison de camp David a représenté pour l’Egypte et pour le monde arabo-musulman au sens large, s’est traduit, pense-t-on, par l’assassinat tragique de Anwar Sadat, qui avait signé les grotesques accords de "paix" avec Israël. Voici un texte qui attribue l’assassinat de Sadat à la signature des accords de "paix" :

"Pendant les mois qui ont précédé son assassinat, il était devenu profondément impopulaire au Moyen Orient pour avoir fait la paix avec Israël, ce qui était considéré comme une "trahison" des Palestiniens. Il y avait beaucoup de critiques et de menaces contre lui et sa famille.

"La plupart des gens n’ont pas été surpris quand il a été assassiné mais les circonstances de sa mort demeurent bizarres. Beaucoup de rapports semblent indiquer que les forces de sécurité égyptiennes savaient à l’avance qu’on allait tenter de tuer Sadat mais elles n’ont pas fait grand chose pour l’empêcher. Certains disent même que les forces de sécurité égyptiennes ont aidé l’assassin présumé. Et certains croient que c’est un scénario plausible parce que l’assassin a réussi à passer à travers plusieurs barrages et inspections de police avant la parade militaire du Caire".

Pendant que le président Reagan se lamentait sur la mort de Sadat en disant : "L’Amérique a perdu un grand ami, le monde a perdu un grand homme d’état et l’humanité a perdu un champion de la paix", Nabil Ramlawi, un officiel palestinien, disait : "Nous nous attendions à ce que le président Sadat finisse ainsi parce que nous sommes sûrs qu’il oeuvrait contre les intérêts de son peuple, des nations arabes et du peuple palestinien."

Mettre fin au calvaire des Palestiniens et leur rendre leurs droits géopolitiques dans les frontières reconnues par la communauté internationale est un but sous-jacent des soulèvements actuels au Moyen Orient et en Afrique du Nord. D’une manière subtile ou latente, l’injustice atroce dont souffre le peuple palestinien semble être la "mère" des griefs arabo-musulmans. dans cette perspective, le soulèvement du monde arabo-musulman peut être vu comme une Intifada qui s’étend au-delà de la Palestine. Sans une solution juste et équitable au problème palestinien, l’agitation continuera à secouer la région, avec ses conséquences catastrophiques potentielles.

Il y a une lueur d’espoir dans ce triste tableau et se serait que le peuple juif se rende compte que son projet sioniste radical d’expansionnisme n’est plus tenable, et que, donc, il se rapproche d’autres individus et organisations juifs (comme les Juifs pour la Justice en Palestine) qui s’en sont déjà rendu compte et qu’ils travaillent ensemble à établir une coexistence pacifique avec leurs cousins historiques dans la région.

Le sionisme radical a besoin, pour réaliser son projet, du soutien des puissances impérialistes. Comme l’ont noté les critiques du sionisme, dont beaucoup sont juifs, c’est une attente ou un espoir très dangereux, parce que le soutien des puissances impérialistes, qui en dernière ressort est lié à leur propres intérêts et calculs économiques et géopolitiques, peut s’interrompre ou leur être retiré d’un seul coup si les équations géopolitiques de la région changent. Comme l’a dit récemment le célèbre penseur juif Uri Avnery :

"Notre futur n’est pas avec l’Europe ou les USA. Notre futur est dans cette région... Ce n’est pas seulement notre politique qui doit changer, mais notre façon de voir les choses, notre orientation géographique. Nous devons comprendre que nous ne sommes pas une tête de pont de quelqu’un qui est au loin, mais que nous faisons partie de la région qui est en ce moment même -enfin !- en train de rejoindre la marche des hommes vers la liberté."

Pour résumer, les griefs longtemps réprimés du monde arabo-musulman n’explosent pas seulement au visage des dictateurs locaux comme Moubarak d’Egypte ou Ben Ali de Tunisie, mais, peut-être plus encore, contre leurs patrons néo-coloniaux et impérialistes de l’étranger. Comme l’a dit récemment le fin analyste Jason Ditz, "le ressentiment dépasse Moubarak et ses sous-fifres, il englobe les USA et Israël." Cela signifie que la révolte représente quelque chose de plus grand que les discours abstraits et creux qui font le buzz sur les libertés individuelles ou les élections bidons jouées d’avance et contrôlées par l’argent - qu’on appelle la démocratie. Elle est le signe de la croissance d’une culture de la résistance contre le néocolonialisme qui a commencée avec la grande révolution d’Iran de 1979.

Ismael Hossein-Zadeh

auteur de "The Political Economy of U.S. Militarism" (Palgrave-Macmillan 2007), enseigne l’économie à Drake University, Des Moines, Iowa.

Pour consulter l’original et les sources :
http://www.counterpunch.org/zadeh02252011.html

Traduction : D. Muselet

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