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L’affaire Lotfi Raissi : comment un Algérien innocent avait été maintenu en prison pour son pseudo-lien avec al Qaïda

L’affaire Lotfi Raissi : comment un Algérien innocent avait été maintenu en prison pour son pseudo-lien avec al Qaïda

Exclusif : un carnet d’adresses avait été cité devant le tribunal pour justifier le maintien en détention du suspect du 11 septembre


Lotfi Raissi. Photograph : Matthew Fearn/PA

Lofti Raissi était sur un tapis de course dans un gymnase de son quartier dans la banlieue ouest de Londres lorsqu’il leva la tête et vit une séquence télévisée du crash du vol 11 d’American Airlines dans la tour Nord du World Trade Centre.

Raissi un pilote Algérien de 27 ans ne pouvait pas savoir que dans quelques jours, il deviendrait la première personne au monde à être arrêtée pour les attentats du 11 septembre 2001 contre new York et le Pentagone, près de Washington.

Après une descente de police chez lui, il sera présenté comme « le chef instructeur » des pirates, chargé d’entraîner les pilotes à précipiter des avions contre les tours jumelles et le Pentagone, et il passera les cinq mois qui suivront dans la prison de haute sécurité de Belmarsh au sud-ouest de Londres dans l’attente d’une extradition vers les Etats Unis.

« Tout est allé si vite, je n’avais pas le temps de penser, » se souvient Raissi qui a maintenant 35 ans. « Je me demandais seulement : comment cela peut-il arriver à un innocent ? »

Jack Straw, le ministre de la justice, doit annoncer sans les semaines à venir si le gouvernement donnera une suite favorable à la bataille de longue haleine de Raissi pour des excuses officielles et une indemnisation.

La décision - un an après que la cour d’appel ait découvert des preuves que les autorités judiciaires avaient « contourné » la loi pour maintenir Raissi en détention - pourrait avoir de grandes conséquences sur la manière dont le Royaume Uni traite les suspects de terrorisme recherchés par des États étrangers.

Une enquête du Guardian a mis en lumière la manière dont Raissi, qui vivait au Royaume Uni pour obtenir un brevet européen de pilotage, a été accusé à tort devant un tribunal d’avoir des liens avec la haute hiérarchie d’al Qaïda. Le rôle que des officiels Britanniques ont joué dans la procédure a été mise à nu dans une correspondance auparavant inédite entre le FBI et les officiels de l’antiterrorisme britannique dans les jours et les semaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre.

La requête du FBI

Quatre jours après les attentats aux États Unis, le FBI adressa une lettre - intitulée Twin Towers Bombing - au sous-directeur de la branche antiterroriste de la police métropolitaine demandant « toute information disponible » sur Raissi.

Les agents fédéraux s’intéressaient à Raissi parce que des dossiers montraient qu’il s’était entraîné dans la même école de pilotage en Arizona - et à peu près à la même époque - que Hani Hanjour, le pirate qui pilotait l’avion qui s’est écrasé dans le Pentagone. C’était une coïncidence, mais Raissi figurait probablement parmi les milliers de personnes innocentes signalées par les services de renseignements du FBI lors de leur pêche aux indices.

La lettre contenait une curieuse référence à un carnet d’adresses que, avait rappelé le FBI à la police britannique, des agents avaient saisi au Royaume Uni pendant une opération qui s’était déroulée un mois plus tôt.

Envoyée par voie diplomatique, cette lettre était cependant rédigée avec prudence, notant que Raissi « pouvait » avoir été impliqué dans le 11 septembre et demandait à la police britannique de le surveiller discrètement. Sur six pages, une seule phrase contenait ces mots inscrits en gras et capitales d’imprimerie : « Le FBI demande que Raissi ne soit pas mis pour le moment en alerte sur l’intérêt des autorités US à son égard. » Cette phrase sous-entendait qu’il ne devait pas être arrêté.

Quelques jours après avoir reçu la lettre, la branche antiterroriste de la police métropolitaine tirait Raissi de son lit dans le village paisible de Coinbrook dans le Berkshire, ainsi que celle qui était sa femme à l’époque, Sonia, une danseuse Française de 25 ans.

Plusieurs heures avant le raid, des journalistes avaient été tuyautés sur la présence de Raissi sur une liste de suspects du FBI, c’est pourquoi son arrestation fit les gros titres dans le monde quand la police informa la presse qu’elle avait capturé un suspect lié au 11 septembre - et, affirmèrent certains, déjoué une attaque terroriste au coeur de Londres.

Au poste de police de Paddington Green, où Raissi était en cours d’interrogatoire, les choses étaient bien moins dramatiques. « Ce qu’ils avaient trouvé avec moi, c’était un profil, » avait expliqué Raissi. « Je suis Algérien, je suis Musulman, je suis instructeur de pilotage et qualifié sur Boeing 737. Il n’y avait rien d’autre. »

La police n’avait pas pu trouver suffisamment d’éléments pour inculper Raissi, mais une demande circonstanciée d’extradition avait été déposée par les autorités des États Unis qui l’accusaient d’avoir renseigné frauduleusement un formulaire de permis de pilotage en omettant de mentionner qu’il avait subi une opération du genou, une allégation dérisoire utilisée à d’autres fins.

"Conspiration d’assassinat’

Assis dans le box des accusés au tribunal de Bow Street lors d’une audience de demande de liberté sous caution le 28 septembre 2001, Raissi avait entendu le procureur affirmer qu’il était en partie responsable du 11 septembre. Soutenant que la liberté sous caution devait lui être refusée, le procureur avait dit au juge que les allégations mineures relatives à sa demande de permis étaient seulement des « charges destinées à le maintenir en rétention. »

Par contre, le procureur représentant officiellement le gouvernement US, avait affirmé que la raison pour laquelle les USA voulaient son extradition était qu’il avait été identifié en tant que « chef instructeur » des pirates derrière les attentats du 11 septembre, une allégation présentée comme étayée par des preuves vidéos et des écoutes de communications.

Le Guardian a obtenu un document de réexamen par les services du procureur du dossier Raissi qui évalue l’action de son personnel et révèle pour la première fois la source des accusations graves.

Un peu avant l’audience, le procureur avait rencontré deux agents du FBI à l’extérieur du tribunal pour être briefé sur Raissi. « Les agents avaient informé le procureur que M. Raissi avait certainement été le chef instructeur, » indique le document.

Au tribunal, le procureur avait déclaré : « Ce que nous disons est que M. Raissi était, en fait, l’instructeur de quatre des pilotes responsables des détournements et celui qui nous intéresse particulièrement est celui qui s’est écrasé contre le Pentagone, Hani Hanjour. Ce n’est pas un secret que nous voulons une accusation pour conspiration en vue d’assassinat. »

C’était la première salve tiré dans les près de cinq mois de comparutions qui suivront devant le tribunal et au cours desquelles le procureur cherchera à maintenir Raissi en détention.

Il affirme avoir été gravement traumatisé par son séjour à la prison de haute sécurité de Belmarsh où détenus et gardiens surent bien vite qu’il était soupçonné par le FBI pour les attentats du 11 septembre.

Après avoir été d’abord placé dans l’aile AA de Belmarsh - l’unité la plus sécurisée qui est un secteur assez sûr de la prison - Raissi fut transféré dans l’aile commune, dont un des gardiens avait affirmé qu’on l’avait « jeté aux chiens. » Raissi devint connu dans la prison sous le sobriquet de « Bin man » d’après Oussama bin Laden, et fut soumis en permanence à des injures racistes et à des menaces sur sa vie. Il a été poignardé deux fois.

Au tribunal, des affirmations selon lesquelles des écoutes téléphoniques le reliaient aux pirates de l’air et qu’il avait sciemment modifié son registre de vol personnel pour dissimuler les heures qu’il avait passées à entraîner Hanjour se sont avérées mensongères. Les registres de l’école de pilotage en Arizona montraient qu’il n’était guère possible qu’il se soit entraîné le même jour que Hanjour et encore moins dans le même avion.

Une vidéo que la police présentait comme montrant Raissi avec Hanjour se révélera être une banale séquence filmée de Raissi avec son cousin.

L’accusation introduisit un nouvel élément de preuve crucial contre Raissi. Cette affirmation s’avéra fausse mais, pendant des mois, la pièce maîtresse du dossier, reliant Raissi à une branche algérienne du réseau al Qaïda.

Cette nouvelle preuve consistait en un carnet d’adresses récupéré au cours d’un raid antiterroriste à Islington, au nord de Londres, plus tôt dans l’année. Le procureur affirmait qu’il appartenait à Abu Doha, soupçonné d’être un haut responsable d’al Qaïda. Il contenait un numéro de téléphone associé à l’adresse de Raissi à Phoenix en Arizona.

La Doha connection

Le FBI présentait Doha comme un dangereux suspect très impliqué dans al Qaïda. Connu sous le surnom du « docteur » , on pensait que Doha avait eu un contact personnel avec Ben Laden dans un camp d’entraînement en Afghanistan et on disait qu’il appartenait à une cellule terroriste algérienne qui préparait des attentats en Europe.

Le connexion avec Doha s’avéra accablante pour Raissi et fut citée par les juges comme motif pour son maintien en détention. Mais deux mois plus tard, l’accusation découvrit que le carnet d’adresses n’appartenait probablement pas à Doha mais à un homme connu sous le nom d’Abdelaziz ou Adam Kermani. Habitué de la moquée de Finsbury park à Londres, Kermani, 36 ans, était un ancien boxeur Algérien poids mouche qui résidait au Royaume Uni depuis 1997. Kermani avait été locataire d’un appartement HLM à Islington pendant quatre ans.

En février 2001, après qu’on ait aperçu des présumés extrémistes Musulmans - dont, pense-t-on, Doha - en visite dans l’appartement, ce dernier avait été investi par la police. Kermani était absent, mais il inquiétait si peu qu’on ne l’a même pas questionné après la descente de police au cours de laquelle les agents avaient saisi un certain nombre de ses effets dont un carnet d’adresses bleu, avec son nom et son N° de dossier d’immigration imprimé sur la couverture.

L’accusation avait dit, à tort, que ce carnet d’adresses appartenait à Doha en se basant sur des informations fournies par les enquêteurs. Mais la branche antiterroriste de la police métropolitaine apportera une « clarification » sur le dossier Raissi et le propriétaire du carnet d’adresses dans une lettre datée du 13 décembre, un peu plus de deux mois après son arrestation.

Les policiers précisèrent aux services du procureur que si « on a souvent affirmé au tribunal » que Raissi était relié à Doha via le carnet d’adresses, les recherches ont établi que ce carnet « pourrait bien ne pas avoir appartenu à Doha, mais plus probablement à M. Abdelaziz Kermani. »

Le lendemain, l’accusation concéda devant le tribunal que le carnet d’adresses n’avait pas été trouvé au domicile de Doha, mais saisi dans l’appartement de Kermani. Mais, et c’est fondamental, au lieu de demander au juge de rejeter le lien avec Doha comme preuve sur laquelle on ne pouvait plus se baser, l’accusation ne retira pas l’allégation selon laquelle le carnet d’adresses prouvait le lien entre Raissi et Doha, maintenant la fausse connexion avec al Qaïda.

Quelques jours plus tard, le FBI envoyait un mémo à Scotland Yard dans lequel il reconnaissait que les investigations avaient établi que le carnet d’adresses « appartenait à Kermani et non à Abu Doha comme on le pensait au début. »

Raissi fut libéré sous caution le 12 février, deux mois après que les services du procureur aient été informés que le carnet d’adresses n’était plus considéré comme appartenant à Doha. Un mois plus tard, un juge de district annulait la procédure d’extradition, observant qu’il n’avait reçu « absolument aucune preuve » reliant Raissi au terrorisme.

Sept années après sa libération, Raissi dit avoir toujours espéré en la justice. « J’ai toujours dit que j’avais confiance en la justice britannique et la cour d’appel a montré que j’avais raison » dit-il. « Je n’ai guère confiance dans les politiciens Britanniques et c’est maintenant à Jack Straw de prouver que j’ai tort. »

traduit de l’anglais par Djazaïri

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