C’est Noël avant l’heure. Faute de pouvoir placer la tête d’Alfonso Cano sous son sapin, le président Juan Manuel Santos se contentera de deux cadeaux : la mort de Muammar Kadhafi et le renoncement à la lutte armée par l’organisation séparatiste basque ETA. « Kadhafi est tombé. Un autre soutient des narco-terroristes des Farc est tombé » [1] souligne-t-il. Pour preuve le voici qui présente les archives trouvées dans l’ordinateur de Raul Reyes (abattu en 2008). Les mêmes preuves qualifiées « d’illégales » par la Cour Suprême de Justice de Colombie car ayant pu subir des modifications après leur obtention, ce qui est confirmé par la propre expertise d’Interpol [2]. Ainsi, toujours selon ces preuves (nulles), Santos a affirmé que la guérilla avait sollicité au colonel Kadhafi, à l’époque, un prêt de 100 millions de dollars à rembourser en 5 ans [3]. Dans la même veine, le journal El tiempo a relayé en avril un article du Washington Post qui relevait l’existence de femmes tireuses d’élites, membres des Farc, aux côtés du dirigeant libyen. Celles-ci recevant une indemnité financière s’élevant à 1.000 dollars par jour [4] ! Une information reposant sur « aucune preuve convaincante puisque aucun guérillero n’a été capturé ou tué dans ce pays » est obligé de reconnaître le quotidien [5].
De façon paradoxale il semble que la collaboration des services secrets britanniques (M16) et américains (CIA) avec Muammar Kadhafi ait été à l’ordre du jour lors de la "guerre contre le terrorisme" durant le début des années 2000. La mise en lumières des archives des services d’intelligence libyens (on est loin de l’ordinateur de Reyes) a montré l’entente qui existait entre ces organisations. Les uns informant le régime sur les agissements de l’opposition en Libye en échange de prise en charge de prisonniers supposés membres d’Al Qaeda et de l’interrogatoire de ces derniers [6]. Certes, aujourd’hui les services spéciaux en question soutiennent et participent activement auprès des rebelles libyens [7], particulièrement les Britanniques ; mais tout comme les mercenaires de Kadhafi « ne seraient pas dans le pays pour des raisons idéologiques mais seulement pour la juteuse rétribution » [8] il serait étonnant que des fonctionnaires anglais et nord-américains combattent en Libye par amour pour la liberté.
Le même jour où le dirigeant libyen était abattu le groupe indépendantiste basque Euzkadi Ta Askatasuna (ETA) annonçait officiellement l’arrêt de la lutte armée. « Pourvu que les FARC suivent cet exemple » postait Santos sur son compte Twitter en réponse à cette annonce [9]. Il est évident qu’un groupe armé ayant été actif durant 43 années possède d’inévitables similitudes avec les insurgés colombiens, actifs depuis maintenant presque un demi-siècle. Les différences ? ETA avait récemment subit d’importants revers militaires et policiers qui l’avait sévèrement amputés et affaiblit. Les FARC, bien qu’ayant souffert d’importants coups depuis quelques années, ont démontré leur capacité à tenir à distance l’offensive militaire de l’état colombien. Le 10 octobre une embuscade de la guérilla tue sept soldats dans la région du Cauca [10]. Le vendredi 21 octobre, dans le sud du pays, une attaque des insurgés tue dix soldats [11]tout comme le lendemain, dans la région d’Arauca (nord de la Colombie) élevant le bilan à 20 morts du côté militaire en 48 heures [12]. Reconnaissant des « failles » dans le protocole de sécurité, le président de la république s’est engagé à renforcer celui-ci afin d’éviter ce genre de pertes tout en essuyant des critiques lui reprochant un manque de fermeté dont ne souffrait pas le précédent mandataire, Alvaro Uribe [13]. A cela s’ajoute que la cause idéologique d’ETA possède un important relai politique au sein de la société civile basque, et que tout comme la guérilla colombienne, l’abandon des armes ne se veut qu’à condition d’une solution du conflit par d’autres moyens que la violence. Les FARC, depuis l’expérience de l’Union Patriotique, ne considèrent pas la situation favorable au développement du jeu démocratique sans l’appui des armes.
Signant un article d’opinion dans Elespectador.com titré "Eta, Gadafi y las Farc" , le journaliste Hector Abad Foncialince l’annonce : « Tôt ou tard les FARC vont devoir annoncé qu’elles renoncent aux enlèvements, aux actes terroristes et à la lutte armée (...) Leur alliance dissimulée avec Chavez, les armes qu’elles ont reçu de la Libye, les liens et l’aide mutuelle qu’elles ont entretenu avec la bande d’ETA, fait plus notoire leur aveuglement (...) Comme ETA elles devront accepter leur défaite. Ou affronter un destin comme Kadhafi. Les corps ensanglantés et exhibés de façon grotesque de Reyes et Jojoy, si ressemblants au colonel libyen, l’annoncent ainsi » [14].
Vu sous un autre angle, la chute de Muammar Kadhafi, résultat d’une intervention militaire orchestrée par une coalition d’armées étrangères, avec le concours de différents services spéciaux occidentaux, ne risque que de conforter ceux qui voient dans la lutte armée le seul moyen de tenir tête aux ambitions impériales des puissances de l’argent. Isolées ? Les FARC le sont de la grande partie de la population colombienne depuis longtemps et ne survivent que grâce aux soutiens locaux de populations rurales dans les zones de conflit. Au niveau international le propre président Chavez s’est désormais résolu à livrer à Bogota les guérilleros présents sur son territoire. Que reste-t-il donc aux femmes et aux hommes d’Alfonso Cano ?
Sur leur site internet, à propos de la mort de Kadhafi, le combattant Gabriel Angel écrit ceci : « La mort de Kadhafi est douloureuse. Bien que l’on dise et reconnaisse qu’il n’était plus l’homme d’antan, bien qu’on le montre comme un inconséquent et même ingénu dans ses dernières années. Bien qu’il ait été traité de traître par beaucoup. Il aurait pu se rendre, il aurait pu invoquer en sa faveur je ne sais quel compromis ou fait. Il aurait pu se renier. Mais il s’est abstenu (...) A la place il a pris les armes et il est parti dans le désert » [15]. Certains dans le désert et d’autres dans la jungle, l’auteur semble accepter cette fin que lui promet le journaliste colombien. Peut être que là où Hector Abad Foncialince voit pour résultat un cadavre « grotesque », l’insurgé voit lui « l’honneur » [16].
Loïc Ramirez