Jean-Marc Rouillan raconte les tortures subies.

Jean-Marc ROUILLAN

Jean-Marc Rouillan raconte les tortures subies le 18 mai à la centrale deMoulins-Yzeure, juste avant son transfert à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.

Lundi 17 mai. Au rez-de-chaussée devant la télé, la question de la torture tomba sur le tapis après quelques images volées à Abou Ghraib. Nabil, Fati, José... se remémorèrent les brutalités et les humiliations subies avant d’atterrir à Moulins et d’autres cas dont ils connaissaient les malheureux protagonistes. Rien d’exceptionnel. De nos jours, les témoignages de mauvais traitements abondent dans les prisons de France. Tabassages et vexations ordinaires... pas une semaine sans apprendre qu’un tel ou tel autre a été décarcassé.

« Des matons l’ont roué de coups puis ils lui ont pissé sur la gueule. »

Transféré au centre de détention d’Eton, Nabil est revenu à peine quelques semaines plus tard après une raclée mémorable et quarante-cinq jours de mitard. « Ils ont essayé de m’étrangler... un maton énorme me serrait la gorge pendant que ses collègues me bourraient de coups de poing. Je me suis évanoui. Et au cachot, toutes les nuits, je flippais qu’ils entrent à nouveau... pour m’accrocher. » Ils nous font bien marrer avec leur commission anti-suicide. Tant qu’ils ne soulèveront pas le couvercle de la violence ordinaire à la pénitentiaire, ils tourneront autour du pot. J’ai pris Nabil à part. « Ton histoire m’intéresse, j’en ferai ma prochaine chronique pour CQFD... On se voit demain. »

Mardi 18 mai. Le jour n’est pas levé. La vague impression de l’ouverture de la porte m’éveille. Immédiatement des ombres sautent sur mon lit. Un coup, deux... Sous la couverture impossible de me défendre. Ils sont au moins deux... trois peut-être ? Ils me prennent à bras le corps pendant que le premier entré me couvre le visage d’une serviette-éponge. Il semble vouloir me l’enfoncer dans la gorge, alors que les autres me retournent sur le ventre afin de me menotter.

Au niveau des cervicales, une poigne plonge mon visage dans le matelas. J’étouffe. Je me débats pour respirer. Un genou ? un poing ?... me frappe entre les omoplates. Sous la violence du coup, je redresse la tête. Je prends une inspiration par la bouche. Le maton en profite pour bloquer la serviette en guise de bâillon. Il serre à la manière d’un garrot. Ma mâchoire inférieure demeure bloquée grande ouverte. A cet instant, je me rends compte qu’il répète mécaniquement « ne crie pas, ne crie pas... », alors que jusqu’ici l’empoignade est étrangement muette. Maintenant ils me redressent, dénudé, menotté dans le dos et bâillonné. Dans l’encadrement de la porte, j’aperçois un groupe compact de surveillants et d’encagoulés de l’ERIS. On me pousse vers la coursive. Je traverse cette première haie d’honneur. Près de l’oreiller, celui qui me bâillonne souffle sa rengaine : « ne crie pas, ne crie pas... » Aux abords de la grille de l’étage, un comité plus important... Devant la buanderie, je reconnais le directeur Wilmot. Il regarde ailleurs. Seul un ou deux surveillants arborent un sourire narquois, les autres paraissent gênés.

Nous franchissons le sas vers l’escalier. Sur le palier, à gauche, un troisième groupe entoure Bauer, le grand directeur du CP. Dans le folklore de la pénitentiaire, lors des baluchonnages disciplinaires, les encravatés sont présents pour bien signifier que le dernier mot leur appartient. Mais quand il me voit apparaître drapé de ma nudité, il détourne les yeux et fixe le mur. Les grilles... les portes... On croise l’équipe de nuit et celle du matin. On pénètre dans le couloir principal. On dépasse le secteur administratif, l’infirmerie, la cuisine, le magasin des cautions et on parvient enfin à l’ultime sas de la détention. Derrière se presse une meute de gardes mobiles, casqués, encagoulés et serrant devant eux d’énormes boucliers anti-émeutes... En haut de la « cour d’honneur », on entre dans la salle servant de greffe. En me tordant les poignets, ils me forcent à m’agenouiller. On attend celui qui a les clés des menottes. Il me les retire et je dois rester les mains croisées sur la tête. Dans mon dos, il y a là une dizaine de personnes. La salle est étrangement silencieuse. Finalement
un surveillant m’enferme.

Debout dans le clapier grillagé d’un mètre carré, je tente de remettre mes idées en ordre. Qu’est-ce qui a pu motiver cette expédition punitive ? Depuis mon arrivée, la direction a été plusieurs fois explicite : « On ne veut pas de vous, trois ou cinq mois tout au plus... » Je réclame des vêtements. Les ERIS m’ordonnent de me taire. Des pas dénudés résonnent sur le carrelage, c’est Angel, le Basque m’accompagnant depuis Arles et les Baumettes... Malgré le bâillon qui lui mange le visage, je le reconnais. Il porte un caleçon et un t-shirt. J’entends les mêmes ordres : « à genoux ! », « mains sur la tête ! »... Angel se plaint de douleurs à la jambe. Ils l’insultent et un encagoulé le menace en claquant les fenêtres donnant sur la cour. Je demande des vêtements à un brigadier s’enfuyant les yeux baissés.

Il me ramène mon caleçon et des sandalettes.

Charles débarque avec son escorte. Il me semble qu’il est nu. Mêmes menaces, mêmes humiliations... « A genoux », « mains sur la tête ». Comme par hasard, les trois prisonniers politiques viennent d’Arles. Nous nous retrouvons côte à côte dans cette galère. Nous échangeons quelques mots. Angel souffre... Le chef de détention apparaît près de l’entrée. On nous apporte un pantalon et un t-shirt. Un quatrième détenu est gardé à l’écart. Lui non plus ne dort pas habillé, je saisis l’ordre de lui amener une couverture.

Charles est emporté, ficelé comme un ballot.

Hier au JT, le reporter s’étonnait qu’un si gentil gars comme le fiancé de la caporale English ait pu commettre des actes répréhensibles à Abu Ghraïb.

Pourtant, dans le « civil », il était gardien de prison !

Avec Angel nous sommes embarqués côte à côte dans une camionnette. Les menottes broient mes poignets. Quand il affirme qu’il ne peut plus plier la jambe, un ERIS l’empoigne et le secoue violemment en lui serrant la gorge.

Je proteste. L’encagoulé derrière moi me frappe puis m’agrippe le visage avec ses mains gantées de cuir noir. Il tire ma tête en arrière. Entre ses doigts, j’ai la surprise de voir le directeur Wilmot s’installer au volant.

Pressé de nous chasser de sa prison, il donne un coup de main !

Et c’est dans cet équipage qu’au matin nous avons quitté la centrale de Moulins... pour un long voyage... pour la longue croisière immobile de l’isolement total. Charles au QI de Luynes, Angel à Lyon et moi au QHS deFleury, réouvert depuis trois mois seulement.

Jann-Marc Rouillan

http://prison.eu.org


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Reporters Sans Frontières. La liberté de la presse et mon hamster à moi, par Viktor Dedaj.



COMMENTAIRES  

01/03/2006 18:45 par jean louis

mr rouillan vos idéaux vous ont amené à commettre l irréparable, c’est à dire lamort de plusieurs personnes quelque soit leur statut du plus petit policier au general audran.
joelle aubron n’ a eu ni repentence ni pardon pour ceux qui sont morts et pres de 20ans plus tard les familles des victimes elles n’ont pas demandé à perdre un être cher.
si on avait tue votre frere soeur pere ou mère quel sentiment auriez vous eu , aujourd hui en prison vous subissez les tortures , les lieux carcéraux comme tout le monde sait sont des endroits ou effectivement et malheureusement il y a des brimades tortures de la part des prisonniers eux memes envers d’autres et de gardiens de prisons qui n’acceptent pas eux même cette société de debordement et de démence.j’ai eu l’ occasion de rencontrer cypriani et menigon à l institut psychiatrique de villejuif où ils avaient fait un passage , à cette occasion et en visite il y avait un des membres de la bande à bader que vous avez bien connu.
quels étaient vos buts à tous !!!!
quels resultats avez vous eu !!!
quels destins vous etes vous reservés !!!
Aubron a choisi de ne pas demander pardon aux famille c’était son choix , avait elle un coeur , née d’une famille bourgeoise, a t on le droit de donner la mort, aujourd hui c’est dieu qui en a decidé pour elle , la pire des maladies ,
cypriani et menigon sont dans un sale état de santé aussi et vous vous etes seul , que de reflexions que l on peut se faire en prison , que pensez vous de tout ce gachis , de ces années perdues et pour quelle cause , ce serait en 1940 au temps de pétain , la france occupee, j aurais compris qu’ il y ait des morts mais expliquez moi ce qui a pu motivé de tels actes de votre part et de ceux de vos complices,
Même une grande deception soit de famille ou autre ne peut amener à commettre l irréparable ;
j’attends vos reponses sur mon mail

jean louis abou nicolas

02/06/2006 13:04 par marjorie

Quand la main de la vengeance recouvre le visage des violences qu’elle se veut abolir. Aucun jugement de vos actes, Monsieur Rouillan. Vous avez essayé, avec ce que vous croyiez, à une époque donnée, face à une réalité autre.
Il s’agit de découvrir, de constater les morts (il en existe de nombreuses) des atteintes à la dignité humaine perpétuées chaques jours, sous de nombreux visages.

Action directe. Action oui. Aller jusqu’au bout, le plus loin possible.

Connaître les conséquences de ses actes, les assumer. C’est un poids humain que beaucoup ne peuvent comprendre, ne serait-ce qu’imaginer.

Le pouvoir qu’il faut avoir pour agir pour cette "partie" de la collectivité complètement anonymée par les administrations, les institutions, les médias... et chacun d’entres nous qui ignorent encore à quel point la différence n’est pas une malaide ou une inadaptation...

pourquoi pas une forme de singularité...

Relater les exactions de nos chères institutions rurales, régionales, françaises, européenne et même occidentales... qui représentent 20% de la population mondiale et participent à l’extinction massive et lente des 80% restant. Putain de chiffre, quand "on" parle de l’humain... Oui, mais chacun d’entre nous participe (passivement, activement, végétativement) à la mise en place de cet écrasement de la singularité : un droit à la vie.

Que celui/celle qui n’a jamais été passionné jette la 1ère pierre.
Que celui/celle qui n’a jamais essayé de comprendre les rouages de nos sociétés, qui n’a jamais senti la pression capitaliste, qui n’a jamais cru en un possible changement .. si l’acteur se met au service de la collectivié, que celui/celle-là jette la seconde pierre. Et les pierres pleuvent...

Il faut du courage pour exposer, exprimer ainsi de telles violences. Un courage a qui l’on a enlevé beaucoup de sa substance. Une majorité en arrive à le considérer comme dangereux.

Courage...

24/02/2007 15:58 par hiatus

Dans toute société il y a une masse de moutons (les niais, les naïfs, les hypocrites, les bénis oui-oui, les trouillards, les profiteurs (collabos ?),les "je m’en foutistes", etc.) seuls quelques éléments sont capables de "prendre conscience" et si ils sont assez sensibles, courageux volontaires et organisés ils vont passer à l’acte. Regardez les résistants contre l’occupation allemande. Terroristes ou résistants ? Les Tchéchènes contre les russes. Terroristes ou résistants ? Les anarcho-syndicalistes de 1890. Des brigands ou des résistants à une organisation économique écrasante ? L’histoire humaine est remplie de ces gens qui sont "eux" capables d’une prise de conscience qui échappe aux communs. Dans le "Meilleur des mondes" de Huxley, le personnage principal mal conditionné in vitro ne dévit pas vers l’action terroriste mais on voit bien qu’il a raison de ne pas se sentir en phase avec le monde où il vit. Et si notre monde était un peu comme ça avec des médias entièrement aux ordres de quelques possédants qui nous lavent le cerveau, les temps de vacances bien orchestrés qui permettent au troupeau de récupérer et de se sentir "bien" à la neige ou à la plage, les embouteillages catastrophique qu’on nous a conditionné pour les supporter, la mal bouffe, le nucléaire qui fait notre bonheur en excluant diaboliquement toute autre source d’énergie durable et sans déchets, la pauvreté qui monte et touche m^me des gens qui travaillent, alors que des patrons partent avec des golden parachutes en or !(pléonasme voulu) alors qu’ils ont mis leur boite en faillite, les OGM plantés sans loi d’encadrement traduisant en France les lois de Bruxelles, donc les plantations illégales sont protégés et ceux qui fauchent sont emprisonnés ! Curieuse société du tout fric et du tout économique. Bref je ne vais pas faire le bilan des sujets de prise de conscience révolutionnaire, et notez bien que mes propos NE DEFENDENT PAS LES ACTES TERRORISTES, par contre je rejette votre façon primaire de juger Rouillan et les autres. Et si ils ont gaché leur vie c’est parcequ’ils ont perdu le combat car leurs méthodes nihilistes ne pouvaient entraîner le peuple (même les basques n’y parviennent pas) et prétaient trop le flan à la critique.

12/02/2008 20:38 par Anonyme

la morale et la conscience est différente chez chacun d’entre nous. Essayer de comprendre un tel acte serait plus complexe encore que de comprendre l’apartheid. comment voulez-vous qu’un homme qui a osé assumer sa conviction essaye d’expliquer à quelqu’un de non-informer et pacifiste la raison et la motivation de tels actes... impossible !
la nature humaine est ultradviersifiée et c’est de cela qu’il faut se rassurer, non de la peine infligée, de la pseudo-justice rendue, ça ce n’est que poudre aux yeux non ?
personne n’est à plaindre ou à comprendre, ce qui est fait est fait... mais VOUS monsieur, savez-vous qui êtes-vous et de quoi seriez-vous capable si vous étiez conscient de ce qui vous entoure et vous ronge ?
Ayons les yeux ouverts pour ne pas se les faire fermer par un inconnu...
A bonne entendeur, bonne continuation.
M.F

16/07/2008 21:02 par Anonyme

il y a simplement des laches(majoritaire)et des individus courageux et lucide capable de s opposer aux aberrations d un systheme orquestré par une poignée de puissants sans scrupule qui, eux vous ferons du mal en vous passant de la pommade dans le dos...il y a bien sur plus de naif et de laches que de gens lucide et courageux...la preuve et que l on continue a maitre au monde des enfants qui subirons eux aussi notre manque d angagement pour un monde meilleur..je vais quand meme vous faire une petite confidence...votre voiture ainsi que votre libidos, et bien plus importante que vos enfants ..n est ce pas ???

25/02/2007 12:48 par Anonyme

rouillan jugé par le troupeau ? vous fatiguez pas , ca a deja eté fait ! le but de ces organisations etait d’empecher nos societes de deriver vers le "tout capitalisme absolu " , vers ce genre de societé du veau d’or qui genere des conflits un peu partout sur la planete ( pour faire court ),bon maintenant que c’est mort on peux en discuter tranquillement ,de toute facon plus personne ne se dressera desormais pour essayer de changer cette societé ! la changer a coup de bulletins de vote ? ok !on y sera encore dans 3000 ans ! la pollution et les guerres seront passé par là avant !

02/10/2008 18:58 par DAN

Je soutiens Jean Marc Rouillan dans sa lutte contre ce monde de capitalistes. Il va falloir faire quelque chose mais l’ assassinat n’ est pas une bonne chose pour défendre la liberté.
Pour les sévices en incarcération il faut bien se dire que le BAC n’ est pas demandé à l’ embauche.

17/10/2010 17:52 par Nobdy

dernier commentaire 2008 : "Avec le temps , avec le temps va , tout s’en va"
ce commentaire 2010

La vie s’est plus fort que nous.

Le jour succédait à une mauvaise nuit.
Tiraillé par l’angoisse qui devient folie,
Trop de contraintes le poussaient à signer,
A se résigner, trop d’envies le poussaient
A pactiser, pactiser, individu commun ne tenant pas en place,
Doué, intelligent, mais noyé dans la masse,
Jamais un mot plus haut que l’autre,
De peur de déranger l’autre.
Purgatoire seule issue face au dérisoire,
Purgatoire pour faire le vide, délaisser ma mémoire.
Ses fantasmes masquaient un monde inachevé,
Grouillant de pécheresses, d’argent, d’avidité,
Son avenir à lui avait dû fuir,
Fondant des raisonnements en fonction du passé,
La réalité tombe, l’inconnu prend sa place,
Et regarder en face son reflet dans la glace.
Purgatoire seule issue face au dérisoire,
Purgatoire pour faire le vide, délaisser ma mémoire.
Il avait le raisonnement, la simplicité des mots,
Les gens le respectaient modeste il était homme obstiné,
Par le diable fasciné, il allait essayer
Harmoniser ses idées ; il allait connaître la luxure, la célébrité ;
Il s’adressait à Satan pour concrétiser, un pacte est toujours sûr.
Purgatoire seule issue face au dérisoire,
Purgatoire pour faire le vide, délaisser ma mémoire.

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