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Israël construit 1 000 nouveaux logements sur des terres palestiniennes. Qui s’en indigne ? (The Independent)

La même semaine où Uri Avnery, l’adversaire acharné du colonialisme, est mort à Tel Aviv, le gouvernement israélien a annoncé un nouveau programme de développement de sa colonisation massive de la Cisjordanie occupée.

Les plans de 1 000 nouveaux ’logements’ dans les ’lotissements’ juifs – ce sont les mots qu’ils utilisent pour parler de ce qui est en fait un vol de terres - sont maintenant prêts, a-t-il dit mercredi, et l’approbation finale a été donnée pour 382 autres. Aujourd’hui, 600 000 Israéliens juifs vivent dans environ 140 colonies construites sur des terres appartenant à un autre peuple, le peule palestinien, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Il y a une sorte de voile de normalité qui recouvre tout ce qui touche au dernier conflit colonial du monde, et qui se traduit par l’indifférence aux chiffres et la mollesse des réactions à l’énorme entreprise de construction en territoire palestinien. La multiplication des toits rouges sur les hauteurs des collines de Cisjordanie, des piscines, des pelouses et des superbes routes qui y mènent, des supermarchés et des vergers – tout cela entouré d’hectares de barbelés et maintenant aussi de ce Mur insensé – ne constitue plus un « scoop » pour nous, reporters, qui couvrons le Moyen-Orient, mais une routine usante de chiffres et de décomptes de vol de terres, une histoire qu’il faut mettre à jour à chaque annonce de nouveaux ’lotissements’ suivie invariablement des protestations des Palestiniens, à qui ces terres sont volées, et de celles de l’impuissante et corrompue Autorité palestinienne. Il en va de même pour les petits groupes militants de la gauche israélienne - B’Tselem, par exemple, et le Gush Shalom d’Avnery - qui se sont courageusement battus, même après qu’Israël a cessé de les écouter, pour dénoncer cette forme unique d’agression.

Jamais, en ce qui concerne les droits de l’homme, tant de personnes n’ont manqué à leurs devoirs envers si peu de personnes. Le nombre de colons juifs vivant sur le territoire palestinien – en violation du droit international - est passé de 80 000 à l’époque des Accords d’Oslo en 1993, à 150 000 en sept ans. Chacun de ces 70 000 nouveaux colons juifs a fait un ’pas unilatéral’ interdit – pour utiliser la prose d’Oslo pour signifier la saisie continuelle des terres - en franchissant le seuil de son nouveau foyer, mais cela n’avait pas d’importance.

L’article 49 des Conventions de Genève de 1949 du Comité international de la Croix-Rouge est très précis : ’La puissance occupante ne déportera ni ne transférera une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe’. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies, le CICR et la Cour internationale de justice ont convenu que l’article 49 s’appliquait aux territoires occupés par Israël. Mais cela non plus n’a pas d’importance.

Le retour à la terre biblique d’Israël n’est pas la seule justification officielle de la multiplication des colonies en Cisjordanie. S’y ajoute parfois celle de punir les Palestiniens. Ainsi, en 2012, le gouvernement israélien a spécifiquement déclaré que l’annonce de 3 000 nouvelles maisons de colons en Cisjordanie était la réponse à la décision de l’ONU d’accorder à la Palestine le statut d’observateur non membre. Cette semaine, Avigdor Lieberman, le ministre israélien de la défense - dont le langage a embarrassé jusqu’à ses collègues de droite - a déclaré qu’il allait construire 400 logements juifs en réponse au meurtre d’un civil israélien par un Palestinien dans la colonie d’Adam.

Personne ne conteste la violence de certains groupes palestiniens - ni que le monstrueux Mur qui soustrait encore plus de terres aux Palestiniens a empêché des kamikazes d’entrer dans ce que nous appelons ’Israël en propre’ – ce qui fait probablement de la Cisjordanie ’Israël impropre’. Le fait est que le Mur et les colonies sont devenus partie intégrante de l’occupation. Yonatan Mendel, un universitaire de Cambridge, nous a donné une explication du phénomène qui brille par sa simplicité et son honnêteté : ’La première colonie a seulement marqué le début d’un processus de ’sécurisation’ : elle ne pouvait pas rester seule. Il fallait nécessairement construire d’autres colonies autour d’elle. Puis, afin de sécuriser tous ces nouveaux blocs de colonies de peuplement, il fallait construire un réseau routier sécurisé pour circuler entre eux. Mais pour sécuriser les routes, il fallait construire d’autres colonies le long de ces routes. Sans oublier le Mur qui est devenu nécessaire pour protéger les Israéliens des Palestiniens, et pour protéger les patrouilles de l’armée qui sécurisent les clôtures autour des colonies qui sécurisent les routes qui, bizarrement, sécurisent les citoyens israéliens vivant à Haïfa, Tel Aviv et Beer Sheba’.

Ce masterplan évolutif, a écrit Mendel, qui ’aboutit à des couches successives de sécurité pour assurer la sécurité, ignore le fait crucial que les colons et les colonies étaient la cause initiale des menaces à la sécurité en provoquant la colère des Palestiniens. En d’autres termes, l’impératif sécuritaire menace plus que quoi que ce soit d’autre la sécurité d’Israël’.

Cette analyse, qui est tellement paradoxale qu’elle est paraît loufoque, rend rédhibitoire tout effort journalistique pour expliquer les faits de manière compréhensible – d’autant plus que la version officielle israélienne et américaine de la colonisation est si éloignée de la réalité. Sans compter les réactions du gouvernement américain à la dépossession illégale des Palestiniens qui nous confortent sans cesse dans notre refus de voir la vérité.

Prenez les remarques pusillanimes de Madeleine Albright, alors secrétaire d’État, lors d’une tournée au Moyen-Orient en 1997. Elle a exhorté Israël à ’s’abstenir de tout acte unilatéral’, y compris de ’ce que les Palestiniens perçoivent comme l’expansion provocatrice des colonies de peuplement, la confiscation des terres, la démolition des habitations et la confiscation des pièces d’identité’. Les colonies, le vol de terres – qu’elle appelle confiscation - et la saisie de papiers d’identité, dans le vocabulaire d’Albright, sont devenus simplement ’ce que les Palestiniens perçoivent comme provocateur’. N’a-t-elle pas vu que ces actes illégaux et immoraux étaient cruels et impitoyables, sans parler de provocateurs ? Comment a-t-elle pu dire une chose pareille, alors qu’Ariel Sharon lui-même décrivait les colons en 2001 comme ’une composante de grande qualité de la société israélienne’ ?

Nous avons dû nous battre contre tous ces éléments de langage de la colonisation : ’Les ’faits établis sur le terrain’, est une expression inventée par les Israéliens, George W Bush a parlé des ’nouvelles réalités sur le terrain’, dans sa lettre infamante de 2004 à Sharon, ’lotissements’, ’quartiers’, ’banlieues’, ’centres de population’ – tout cela construit dans une Cisjordanie qu’il est désormais interdit d’appeler ’territoires occupés’ selon l’ancien secrétaire d’Etat américain Colin Powell qui a décrété qu’il fallait dire : ’territoires contestés’. Si les Israéliens ne se trouvaient pas dans des territoires ’occupés’ mais seulement dans des territoires ’contestés’, alors les Conventions de Genève ne s’appliquaient pas, n’est-ce pas ? Et ainsi de suite.

Dans ces ’territoires contestés’, il y a eu bien sûr des ’attaques terroristes’ lorsque les Palestiniens attaquaient les Israéliens, mais des ’affrontements meurtriers’ lorsque les Israéliens tiraient sur les Palestiniens. Le mur n’était pas un mur mais une ’barrière’ ou une ’clôture’, ou une ’barrière de sécurité’ ou une ’barrière de séparation’ ou une ’clôture de sécurité’ ou ’clôture de séparation’. L’arrêt de la colonisation est devenu un ’gel’, un ’moratoire’, ou – mon élément de langage préféré - un ’temps mort’.

Alors, pourquoi, pourrait demander le lecteur ou le téléspectateur candide, à nous tous qui avons utilisé ces éléments de langage, pourquoi les Arabes se sont-ils déchaînés avec autant de violence contre un ’lotissement’ innocent construit sur une terre ’contestée’, délimitée par une clôture comme celles qui séparent les jardins et les champs ? Comment se fait-il que ces problèmes de quartiers, de clôtures, de terrains contestés ne soient pas tout simplement discutés autour d’une tasse de thé ou au tribunal ? Nous avions falsifié, vidé de son contenu la sémantique de ce terrible conflit. Même Barack Obama, dans son panégyrique du Caire il y a neuf ans, a parlé du ’déplacement’ et de la ’dislocation’ des Palestiniens, plutôt que de leur dépossession et de leur exil ; comme s’ils se réveillaient un matin, regardaient le temps qu’il fait et décidaient de se rendre sur la plage de Gaza ou de passer un week-end au Liban, et ensuite ne pouvaient pas rentrer chez eux.

Les statistiques - mornes, ennuyeuses et hélas familières - sont à la disposition de tous ceux qui veulent les connaître. Et le chiffre aujourd’hui est de 600 000 colons juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est - et en Cisjordanie, bien sûr, 1 000 nouvelles familles en route - tous participant à ce qu’Avnery considérait comme un projet suicidaire qui créera un État israélien d’apartheid, car si une minorité de Juifs doit gouverner une majorité d’Arabes privés de leurs droits - actuellement plus de 2,75 millions de personnes – c’est ce qui arrivera.

Revenons à Avnery.

Il y a six ans, il m’a dit que la situation semblait ’assez décourageante’. Ce sentiment a empiré, chez lui, pendant la semaine de sa mort, je le crains. Il était furieux contre Netanyahu, Trump, Jared Kushner, le gendre et conseiller du président et Lieberman. Il ne soutenait pas la campagne de boycott, mais il a dit en 2012 : ’Je crois qu’il y va y avoir une rupture, un changement complet, quelque chose comme la chute du mur de Berlin, à laquelle personne ne s’attendait la veille.’ Et il adorait répéter l’ignoble commentaire de Donald Rumsfeld : ’Ce sont des choses qui arrivent !*’

Pour l’instant, je ne suis pas sûr d’être d’accord avec lui.

Robert FISK

Originellement publié sur The Independent

Traduction : Dominique Muselet

Note :

* « Ce sont des choses qui arrivent ! Il y a du désordre, c’est le désordre de la liberté, et les gens libres sont libres de commettre des crimes, de mal agir, » a commenté Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense des États-Unis, le 11 avril 2003, après le saccage et le pillage de Bagdad.

»» http://www.chroniquepalestine.com/i...
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