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Tribune de l’ancien procureur suédois de district Rolf Hillegren

Il est temps de clore l’affaire Assange, selon un procureur suédois (Svenka Dagbladet)

Cette tribune exprime l’opinion de l’ancien procureur suédois de district Rolf Hillegren qui rompt ainsi le silence médiatique et politique qui règne en Suède sur l’affaire Assange et propose une solution pour sortir de l’impasse juridique et diplomatique touchant non seulement la Suède (en premier lieu) mais également la Grande-Bretagne. Cette tribune n’a la valeur que d’un simple avis. (NdT)

STOCKHOLM (Rixstep) — Est-il raisonnable que quelqu’un dans une ambassade à Londres n’ait aucun moyen pour les 27 prochaines années de sortir de l’immeuble, alors que les Suédois pourraient remédier à la situation sans causer d’inconvénients majeurs à qui que ce soit ? C’est la question que pose l’ancien procureur de district suédois Rolf Hillegren.

La description ci-dessus, qui n’est pas excessive, résume la situation de l’affaire Assange. Et je suis pleinement convaincu que la situation est très problématique pour notre premier ministre, notre ministre de la justice et notre procureur général. Pour le rendre encore pire : elle insulte non seulement les autorités suédoises mais aussi les Britanniques qui y ont contribué.

Que faut-il faire pour résoudre le dilemme ? Oui, il s’agit de prendre des mesures désagréables, certes, mais qu’il faut comparer à l’alternative qui est mille fois pire.

Brève récapitulation : Julian Assange s’est rendu en Suède en 2010 où il a été célébré comme un héros. Mais la visite a eu des répercussions qu’il n’avait pas envisagées. Deux femmes avec qu’il a passé du temps s’étaient inquiétées d’avoir pu contracter le Sida et par conséquent sont allées à la police, l’une pour soutenir l’autre. La police a décidé d’ouvrir une plainte pénale, Assange a donc été interpellé, arrêté et interrogé. La procureure a clos l’enquête concernant l’accusation la plus grave ; il ne restait donc qu’une accusation d’attentat à la pudeur, elle-même très discutable. Assange est resté dans le pays quelque temps après l’annulation du mandat d’arrêt. Donc non, il n’a pas essayé d’échapper à la « justice suédoise ».

L’avocat de l’accusation a demandé alors de rouvrir le dossier au bénéfice des deux femmes. La décision est venue d’une procureure d’un niveau supérieur qui a accordé la requête. Mais Assange avait déjà quitté le pays et ne voulait pas y retourner par crainte d’être remis aux Etats-Unis par la Suède. Peu importe que cette crainte soit fondée ou non – il est évident qu’Assange est convaincu que le risque existe.

Donc à ce stade, la procureure a demandé qu’Assange soit arrêté in absentia (encore) après quoi un mandat d’arrêt international (Alerte Rouge [Interpol – NDT]) fut émis. La Cour d’appel de Stockholm a réduit les accusations avant que le mandat ne soit lancé, Assange s’est rendu volontairement à un poste de police en Angleterre aussitôt le mandat émis et après plusieurs mois de rebondissements la Cour Suprême britannique a décidé qu’il devait être extradé vers la Suède. Mais Assange a pris le chemin de l’ambassade d’Equateur à Knightsbridge et l’Equateur lui a accordé l’asile. Il peut rester à l’ambassade jusqu’en 2040 lorsque le délai de prescription entrera en vigueur si les autorités suédoises ne désirent pas trouver une solution à ce problème délicat, un problème qui a dépassé depuis longtemps la mesure, le raisonnable et la décence.

Comment cela a-t-il pu se produire ? La décision de clore le dossier était bien fondé et exécuté par une procureure expérimentée (Eva Finné – NDT). La décision de rouvrir l’enquête n’était pas légitime, ce qui est particulièrement regrettable, étant donné tout ce qui s’est passé par la suite. Il convient également de préciser que la décision de rejeter une affaire d’agression sexuelle est prise avec beaucoup de soins, en raison de l’hystérie qui entoure ces affaires. Le mot d’ordre était de retourner toutes les pierres, ce qui a abouti à retourner des pierres qui ne présentaient aucun intérêt – et tout cela pour minimiser la pression des médias.

Mais l’enquête a fuité sur le Net et maintenant tout le monde peut la lire et tirer ses propres conclusions. Et je crois que peu de gens ayant un sens de l’évaluation de la preuve trouveront que l’affaire doit rester ouverte. Les femmes ont été interrogées et il n’y a plus d’étapes dans l’enquête. Il est très peu probable que si Assange devait être interrogé à nouveau, qu’il dise quelque chose qui puisse faire porter l’affaire devant un tribunal. Il est donc incompréhensible ce que la procureure (Marianne Ny –ndt) attend d’un nouvel interrogatoire. L’interrogatoire d’Assange est donc complètement inutile. L’affaire entre Assange et les femmes porte principalement sur des différences d’opinions à propos de l’usage de préservatifs. Ce qui n’est pas le genre de litiges que nous réglons dans nos tribunaux.

S’il s’était agi d’un homme vivant en Suède, aucun dégât important n’aurait été occasionné. Il aurait été interrogé une fois de plus et l’enquête aurait été à nouveau fermée. Mais le suspect n’était pas n’importe qui et personne n’aurait pu prévoir ce qui allait se passer. Et c’est alors que le cirque a commencé. C’est devenu une question de prestige et la procureure s’est acculée elle-même dans un coin. Et elle y est encore, mais malheureusement elle y a aussi entraîné le système judiciaire qui se trouve humilié depuis plus de trois ans.

Dès qu’il était clair qu’Assange n’allait pas venir volontairement en Suède, la procureure aurait dû faire en sorte de le faire interroger à Londres. Si elle avait fait ça, la perte de prestige international pour la Suède aurait été limitée si elle avait officiellement fermé le dossier immédiatement après : personne en dehors du monde juridique n’aurait compris que le second interrogatoire d’Assange n’avait jamais été nécessaire. Mais au lieu d’opter pour cette solution, la procureure a insisté pour que cet interrogatoire se déroule en Suède, au cas où l’affaire entraînerait des poursuites. Ce qui aurait été la bonne décision – si les éléments de preuve avaient été différents.

En raison de tous les rebondissements totalement irréels, l’affaire a dégénéré en quelque chose d’extraordinaire. Et pour sortir de l’impasse, il faut faire quelque chose de tout à fait inhabituel. Et tout indique que cela en vaut la peine. Seul l’entêtement et l’obsession du prestige constituent un obstacle.

Que peut-on faire ? Et bien, le Ministre de la Justice devrait, de sa propre initiative (ex officio), annuler la décision de rouvrir l’enquête, annuler l’acte d’accusation et annuler le mandat d’arrêt.

Certes, on pourrait dire que quelque chose d’aussi radical rendrait impossible pour les deux femmes de voir leur cas porté devant un tribunal. Là aussi il faut une solution originale. L’Etat devrait donc verser à titre gracieux les dommages qu’elles auraient perçus si Assange avait était jugé et condamné. On éviterait ainsi d’éventuels reproches que les femmes ont été ignorées par le système judiciaire. C’est une solution intéressante – surtout au regard de la responsabilité de l’Etat qui a créé cette situation et de ce que les femmes ont subi dans les médias.

Quel sera le résultat ? Le système judiciaire suédois sera une fois de plus durement critiqué. Mais une fois la critique apaisée, il est probable que des voix se feront entendre pour souligner que la Suède a finalement pris une sage décision - surtout lorsque l’on considère l’alternative.

De plus, la Suède sauverait la face de la Grande-Bretagne pour son propre rôle dans cette étrange situation pour avoir laissé Assange se réfugier à l’ambassade d’Equateur. Et Assange pourrait quitter l’ambassade en homme libre, sans la perspective d’y rester encore 27 ans.

Rolf Hillegren
Ancien procureur de district

Traduction : Romane

Source : http://radsoft.net/news/20140112,00.shtml

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