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Histoire d’une réussite : le réchauffement climatique

Les idées, les conceptions, on le sait, ont une histoire. Elles naissent, se développent, vieillissent et meurent plus ou moins vite dans un contexte économique, social, politique et culturel déterminé. Elles sont, à un certain moment de l’histoire d’un groupe social l’expression de ses besoins, de ses attentes, de ses angoisses. Elles ont des parents, une famille, portent l’empreinte de cet héritage et remplissent une fonction. Le décodage de cette génétique en dehors de tout présupposé idéologique ou partisan, apporte, souvent, un éclairage intéressant. Le réchauffement climatique n’échappe pas à cette règle.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’idée d’un impact négatif de l’activité humaine sur ce que l’on n’appelait pas encore l’environnement, n’est pas née dans les milieux scientifiques ou dans les milieux pré-écologistes du milieu des années 1960. Elle a été initialement conçue et développée dans l’entre deux guerres au sein du monde intellectuel, politique et économique anglo-saxon, profondément imprégné de libéralisme de malthusianisme et de darwinisme social. Il s’agissait alors, pour les membres de ces cercles, dont l’influente Société eugéniste de Londres, de sauvegarder de la prédation par les masses les ressources naturelles nécessaires aux élites pour promouvoir le développement du monde civilisé, à commencer par l’Empire britannique.

Au sein de ces cercles, Julian Huxley est un personnage central. Il est le fils de Thomas Huxley, ami et admirateur de Darwin, fondateur de la revue Nature, il fut le premier à appliquer la théorie de la sélection naturelle à l’espèce humaine (1), ce que Darwin ne fit jamais, et formalisera le darwinisme social (2) dont une des traductions pratiques fut l’eugénisme. Julian Huxley, professa le darwinisme social et l’eugénisme toute sa vie. Antinataliste militant, il exprima très nettement ses convictions lorsqu’il deviendra, en 1946, le premier directeur général de l’UNESCO (3) et encore en 1964 (4) en termes particulièrement violents (5).

Sous l’action de ce courant de pensée, et particulièrement de Julian Huxley, naîtra en 1948 la première organisation de « protection de la nature », l’UIPN, dont les statuts furent rédigés au Foreign office, devenu en 1956 l’UICN et, en 1961, le WWF. Conçu comme l’organisation « grand public » de l’UICN, le co-fondateur en fut le prince Bernhard des Pays-Bas, vice président de Royal Dutch Shell et le vice-président le canadien Maurice Strong. Celui-ci, fut le premier président du bureau de l’UICN, et, successivement, président de Pétro Canada, de la Power Corporation of Canada, d’Ontario Hydro, conseiller spécial auprès du secrétaire général de l’ONU. Malthusien et antinataliste convaincu il allait jouer un rôle central.

L’idée d’une menace humaine sur la nature va être reprise sous une autre forme en 1967 dans un rapport commandé par le Département d’Etat et Robert Mc Namara (6). Le raisonnement est que face à l’équilibre de la terreur nucléaire, la menace de la guerre ne peut plus exercer, à l’échelle planétaire, ses « fonctions sociales ». Il faut donc lui trouver un substitut et une menace environnementale mondiale par son caractère global appelant des normes mondiales transcendant les souverainetés nationales peut jouer le même rôle. Ces « fonctions sociales » principales sont l’innovation technique, la croissance économique, le contrôle social, la régulation politique. Il en est de secondaires et parmi elles le rôle de stabilisateur intergénérationnel et celui de défouloir psycho-social (p.45).

Le mouvement était initié. Sa première manifestation concrète fut, en 1972, la conférence de Stockholm (« Une seule terre »). Cette conférence fut organisée sous l’égide de l’ONU par Maurice Strong qui la présida. Elle créa le « Programme des Nations Unies pour l’Environnement » dont il fut le premier président. Quelques mois auparavant avait été publié le célèbre rapport du « Club de Rome », « Halte à la croissance ». Ce club fut créé à l’initiative de David Rockfeller qui organisa les premières réunions dans sa propriété de Bellagio (Italie). Maurice Strong y participa et en devint le président de la section canadienne en 1974. Ce rapport, dont les prévisions ne se sont pas réalisées est, après l’ouvrage d’Ehrlich (7) (The Population Bomb) dont les prédictions apocalyptiques sont exactement à l’inverse de ce qui est arrivé, le premier véritable manifeste des idées néomalthusiennes.

En parallèle, l’idée va prendre corps dans les cercles très fermés que sont la Commission trilatérale, créée en 1973 par David Rockfeller et Zbigniew Brezinsky (8), et, encore plus fermé, le Groupe Bilderberg fondé en 1954 par le Prince Bernhard des Pays Bas. Maurice Strong et R. Mc Namara ont été membre de ces deux organisations. Ces forums d’échange sur des questions d’actualité et de prospective entre membres de gouvernements, diplomates, politiciens, personnalités de l’économie, des médias permettent et favorisent une mise en réseau des idées. Le rapport de la Trilatérale de 1991 (Beyond Interdependance) (9) est explicite : « La crainte d’un conflit nucléaire qui a exercé une pression psychologique considérable (…) est en train de s’estomper. Mais certaines menaces environnementales pourraient exercer la même pression dans l’esprit des peuples ».

Préparé par la Commission pour l’environnement et le développement de l’ONU, dont Maurice Strong est un membre influent, le « rapport Bruntland » (10) sera, en 1987, le premier document à évoquer sur le mode de la catastrophe l’influence de l’homme sur le climat. Il insiste particulièrement sur « l’effet de serre », dont les méfaits sont à imputer aux consommations d’hydrocarbures et de charbon, et prévoit d’immenses catastrophes pour le début du XXIème siècle : élévation de la température, désordres dans l’agriculture, inondation des villes côtières, dégradation des sols, des eaux, de l’air, des forêts. L’adolescence C’est le rapport Brundtland qui, à l’initiative de la Commission pour l’environnement et le développement, va inspirer le G7 de Toronto, en 1988. Prenant acte des « alarmes climatiques », les sept grands décident alors de créer le GIEC. Ses membres ne sont pas élus ou désignés par la communauté scientifique mais nommés par les gouvernements, et son but, fixé par les gouvernements, n’est pas d’étudier si oui ou non il y a réchauffement climatique et, dans ce cas, si l’homme y contribue et dans quelle proportion. Le réchauffement et la responsabilité de l’homme étant admis, il s’agit d’en évaluer l’importance et les conséquences : « Le GIEC a pour mission d’évaluer *…+ les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation ». Le moins que l’on puisse dire est que la méthode « scientifique » est curieuse et que l’indépendance de ses membres peut donner lieu à interrogation. Le réchauffement climatique et la responsabilité de l’homme, décrétés alors que l’état rudimentaire des connaissances de l’époque ne permettait absolument pas de conclure ni à une modification du climat, ni à la responsabilité humaine (et que beaucoup d’incertitudes demeurent encore aujourd’hui en dépit de très importantes avancées), est ainsi placé au centre du débat environnemental. On peut se demander pourquoi cette question spécifique a été choisie comme véhicule de ces politiques.

Pour que tous les pays (et les opinions publiques) se sentent concernés par la mise en place de régulations qui outrepassent leur souveraineté et les acceptent, il convient que la menace soit planétaire, et qu’elle crée des liens d’interdépendance, c’est-à-dire qu’elle ne puisse pas être maîtrisée à l’échelon national. Il faut aussi que l’on puisse, à travers ces réglementations, agir sur la cause de cette menace, autrement dit qu’il puisse être le support de politiques économiques et sociales permettant d’orienter dans le sens voulu les activités et les comportements et donc qu’il soit lié à la plupart des activités humaines. Le CO² remplit parfaitement ce rôle. C’est donc sur ce gaz « politiquement intéressant » que l’on va focaliser tout le débat, alors même que son rôle présenté comme déterminant dans l’effet de serre est un sujet qui n’est pas tranché. A supposer que l’effet de serre soit le facteur principal qui régit la température terrestre, ce qui n’est pas définitivement établi, d’autres gaz comme le méthane ou les composés fluorés pourraient avoir un effet aussi ou plus important que ce CO².

C’est aussi le rapport Bruntland qui sera le socle de la conférence de Rio de 1992. Présidée par Maurice Strong, elle constitue la première initiative efficace pour générer une régulation environnementale mondiale. Ses recommandations reprendront l’essentiel des idées développées dans Beyond Interdependance. L’âge adulte Le mouvement s’accélère à partir du milieu des années 90. Progressivement amplifié, rabâché à satiété et à tout propos par les médias et les politiques, copieusement alimentés en documentation par les multiples lobbies et organisations qui gravitent autour de cette nouvelle source de notoriété, de pouvoirs, d’opportunités et de crédits divers, le réchauffement climatique, est devenu une évidence, au sens commun comme au sens propre indiscutable. La réussite de l’idée est prodigieuse, au-delà, sans doute, des espoirs de leurs promoteurs. Répercutés par les médias, les évènements climatiques, même les plus banals, sont désormais interprétés, dans l’instant et sans tenir le moindre compte de ce que nous enseigne l’histoire du climat et de son caractère intrinsèquement variable, à travers ce prisme. Invoquée, utilisée, manipulée, caricaturée, déformée la menace multiforme et imprécise du « réchauffement climatique » et sa variante « le changement climatique », sont devenus, mais peut-être pas de la façon dont on l’imagine généralement, un enjeu majeur.

Dans ce qui est devenu une auberge espagnole chaque groupe de pression, chaque acteur économique, politique ou social, à l’échelon local comme international, y défend et y trouve son intérêt. Les organisations écologistes y puisent leur raison d’être, leur pouvoir et leurs financements. Les medias friand de sensationnel y trouvent matière à vendre de la publicité en réalisant une bonne écoute ou de bonnes ventes, même si la plupart de ces émissions ou de ces articles véhiculent des clichés, des idées reçues et « climatiquement correctes ». L’industriel, le commerçant, y voient une opportunité de vente en lançant de nouveaux produits. Et le scientifique ? Il est invoqué comme à l’origine de l’information. C’est sur lui que l’on s’appuie pour justifier le risque et les politiques menées. Mais dans ce cas, les résultats ont précédé les recherches. En l’espèce, le cadre dans lequel doivent s’inscrire les recherches a été prédéfini par le politique, en particulier à travers les financements et les thèmes des appels à projets. Le postulat de base étant admis : il y a réchauffement et les activités humaines en sont la cause, les recherches vont renforcer le postulat et le justifier. Les résultats seront interprétés dans le cadre conceptuel préalablement admis.

Pour les équipes de pratiquement toutes les disciplines, le risque climatique est une importante source de financement de recherches d’un intérêt considérable qui, sans lui, risqueraient de n’intéresser que médiocrement. Depuis deux décennies, la focalisation sur le climat a fait progresser de façon spectaculaire les connaissances, et pas seulement en climatologie. Mais il est frappant de constater que la très grande majorité des travaux, dont la qualité et l’utilité en termes d’acquisitions de connaissances fondamentales ne sont pas en cause, se situent dans le cadre d’une pensée unique. L’idée est devenue un dogme au sens propre, sur lequel même les scientifiques ne peuvent émettre des doutes sans passer pour des fumistes et être cloués au pilori, leurs résultats écartés des publications et leur carrière mise entre parenthèses. Désormais inclus dans le vaste paradigme du « développement durable » l’idée envahit et déferle sur l’espace politique, social, économique, tout au moins ceux d’un certain nombre de pays développés qui sont les locomotives de ce mouvement. Ce sera, en 1998, le protocole de Kyoto, en 2002 le sommet de Johannesburg et bientôt la conférence de Copenhague qui, à travers un faisceau de plus en plus dense de recommandations et de réglementations, norment et orientent de plus en plus étroitement l’économie, la société, notre vie quotidienne. Car au-delà d’être un instrument de régulation planétaire, l’urgence affirmée du risque climatique, l’impérieux devoir de réduire au nom des « générations futures » les émissions de CO², de faire des économies d’énergie dans tous les domaines, de changer notre comportement quotidien, remplissent également d’autres fonctions fondamentales.

D’abord une fonction économique car il est en train de créer, à l’échelle mondiale, d’énormes besoins de renouvellement de méthodes, de matériels, d’équipements de toute sortes. Il devient, à travers l’innovation, le moteur principal de l’investissement industriel et de la consommation qui tirent l’économie mondiale. Le capitalisme a parfois eu besoin de la guerre pour tracter la croissance, aujourd’hui l’environnement tient ce rôle. Qui s’en plaindrait ? Ensuite, une fonction géostratégique et géopolitique, car le passage du siècle a vu se cristalliser deux autres problèmes autrement plus menaçants qu’une hypothétique montée des océans. D’une part celui de la dépendance énergétique d’un certain nombre de pays et, singulièrement, de l’Europe occidentale, au sein d’un environnement mondial instable et imprévisible, y compris à l’Est de l’Europe. D’autre part l’émergence économique beaucoup plus rapide que prévu de la Chine et, secondairement, de l’Inde et du Brésil qui entraîne une tension supplémentaire sur les ressources énergétiques, source de conflits dont l’Irak ou le Darfour ne sont que les prémices. De ce point de vue, la position en pointe de l’Europe sur le climat est stratégiquement cohérente. En dépit du développement considérable du nucléaire civil conventionnel auquel nous allons assister (et qui, Areva oblige, peut contribuer à expliquer l’activisme français sur le climat) cette situation de tension perdurera tant que le monde ne disposera pas de la fusion nucléaire. L’extraordinaire et inédite collaboration internationale autour d’ITER montre que l’on est là au coeur du problème.

Dans l’urgence de la catastrophe régulièrement annoncée, en dehors de toute considération scientifique et de tout débat démocratique, le réchauffement climatique et son frère, le changement climatique, ont maintenant une vie propre, celle de support d’un changement fondamental de paradigme économique et social, vecteur d’innovation, de croissance, d’une meilleure sécurité énergétique et, peut-être, d’une plus grande stabilité géostratégique. Ensuite, il y a fort à parier que l’idée ayant rempli son rôle, elle dépérira et ira rejoindre les livres d’histoire.

Georges Rossi

Le Professeur de géographie et chercheur au CNRS, Georges Rossi de l’Université de Bordeaux. Il est l’auteur du livre L’Ingérence écologique, Environnement et développement rural du Nord au Sud (Editions CNRS 2000).

1 The Struggle for Existence in Human Society, Macmillan & Co., London & New York, 1888.

2 On the Natural Inequality of Men. Macmillan & Co., London & New York , 1890.

3 Unesco : Its Purpose and Its Philosophy, Preparatory Commission of the United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation. Paris, 1946.

4 Essays of a humanist, Harper & Row, London, 1964.

5 « Malheureusement, ils [les pauvres] ne sont pas dissuadés de mener leurs affaires de reproduction (…). Des tests d’intelligence et autres ont révélé qu’ils avaient un QI moyen très bas ; et nous avons des indications qu’ils sont génétiquement sous-normaux dans bien d’autres qualités. »

6 Report from the Iron Mountain on the Possibility and Desirability of Peace, The Dial Press, Inc., New York, 1967. Library of Congress Catalog card Number 67-27553. 7 Ehrlich Dr. Paul R. The Population Bomb. Population Control or Race to Oblivion. New York, Ballantine Books. 1968.

8 Conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis Jimmy Carter de 1977 à 1981.

9 Une version publique de ce rapport a été publiée en librairie : Jim MacNeill , Pieter Winsemius , Taizo Yakushiji .Beyond Interdependence : The Meshing of the World’s Economy and the Earth’s Economy, Oxford University Press Inc, 1992.

10 Notre avenir à tous, Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Editions du FLEUVE, publications du Québec, 1987.


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