Détruisez cet immeuble que je ne saurais voir
Le Conseil d’Etat vient de trancher : le préfabriqué de verre et d’acier de trois étages construit en 2001 dans la cour de l’École des Beaux-Arts de Paris devra être détruit avant le 31 décembre 2020. Son tort ? Gâcher la vue d’un voisin au bras long et à la vue délicate, François-Henri Pinault, dont les fenêtres de l’hôtel particulier, sis rue des Saints-Pères, s’ouvrent, côté jardin, sur le bâtiment. La décision prise par la plus haute juridiction administrative, si elle ravit le milliardaire, laisse sur le carreau de nombreux étudiants, pour qui ce bâtiment, affichant il est vrai de modestes de prétentions esthétiques, n’en revêt pas moins une importance capitale.
« Les locaux actuels nous sont indispensables. En plus, nous allons y implanter un Fablab, atelier de fabrication numérique pour produire prototypes et maquettes », affirme ainsi Jérôme Espitalier, représentant des étudiants, qui se dit « étonné qu’un grand collectionneur d’art contemporain comme Monsieur Pinault ne tolère pas que des étudiants en architecture et aux Beaux-Arts travaillent dans un bâtiment neuf, même s’il ne correspond pas à ses goûts esthétiques ». Autrement dit, le mécène Pinault, s’il soutient les artistes, et s’il va jusqu’à tolérer, grand prince, que ces derniers s’adonnent à leur art à deux pas de chez lui, ne pousse pourtant pas la politesse jusqu’à admettre qu’ils le fassent dans un édifice bas de gamme lui écorchant la vue - ou, comme le résume le Conseil d’Etat, affectant « les conditions de [sa] jouissance ».
Que le Conseil d’Etat compte, au nombre de ses prérogatives, celle d’assurer « les conditions de jouissance » du fils Pinault, c’est ce qu’on aura appris avec cette affaire. La surprise n’est pourtant que partielle, un précédent évènement ayant déjà renseigné sur la clémence toute particulière dont la justice française fait preuve à l’égard du Breton.
Détournez ces millions que le Fisc ne saurait voir
Procédurier quand il s’agit d’améliorer son confort, Pinault ne l’est pas toujours autant quand il s’agit de déclarer les impôts de ses sociétés. Selon Mediapart, Kering aurait ainsi échappé à 180 millions d’euros d’impôts en France, via ses filiales Yves Saint Laurent et Balenciaga. Une information de nature à déclencher une enquête du Parquet national financier (PNF) ? Pensez-vous. Plus d’un an et demi après les révélations de Mediapart, aucune procédure judiciaire n’a été ouverte dans l’Hexagone.
La justice italienne, elle, n’a pas été si permissive. Ayant, selon le parquet de Milan, facturé pour le compte de LGI, sa plate-forme logistique située en Suisse, des activités en fait réalisées en Italie, afin de bénéficier d’une fiscalité plus favorable, le géant français du luxe a écopé d’une amende record de 1,25 milliard d’euros de l’autre côté des Alpes. Et si, au lieu de céder aux caprices du milliardaire au détriment de centaines d’étudiants, la justice française prenait exemple sur son homologue italienne ?