De quoi s’agit-il en fait. Alain Finkielkraut a été apostrophé, en marge d’une manifestation des "Gilets Jaunes" et traité, en termes violents, de "raciste" et de "sioniste". Le système médiatico-politique s’est tout de suite emparé de l’événement pour le présenter comme un acte antisémite, assimilant antisionisme et antisémitisme.
L’incident a été grossi, amplifié démesurément, dramatisé dans une campagne d’une violence inouïe. Alain Finkielkraut en a été lui-même étonné. Il raconte, au grand dépit des plateaux de télévision français officiels et officieux qui se sont mobilisés pour lui, et qui le voudraient plus incisif, qu’il était revenu après l’incident chez lui, et qu’il comptait simplement le raconter à son épouse. Mais, en regardant la télévision, il avait découvert l’ampleur prise par l’événement, et il a ensuite eu des appels dont celui du Président de la République française lui exprimant son soutien. Il précise d’ailleurs qu’il s’agissait du qualificatif de "sioniste" et non de "juif", comme s’étaient empressées de le dire les chaines d’information, et que certains gilets jaunes lui avaient même tendu un gilet à enfiler.
Alain Finkielkraut et "l’antiracisme raciste"
Il est vrai cependant qu’il finira, au fur et à mesure, par jouer complaisamment le rôle qu’on attend de lui. Il en profitera notamment pour développer sa théorie paradoxale de "l’antiracisme raciste", dont on reparlera plus loin. Il était d’ailleurs assez amusant de voir les yeux perplexes de ses interlocuteurs des médias, inquiets que son discours soit compris au premier degré par leur public, puisque Alain Finkielkraut déclare lui-même que ses "agresseurs" sont antiracistes. Ces médias auraient d’évidence préféré, pour leurs téléspectateurs des arguments moins emberlificotés, plus directs et plus simples sur le "racisme antisémite" dans les rangs des "Gilets jaunes".
Il est notable de constater comment, une fois de plus, le thème de l’antisémitisme, est utilisé hors propos, comme moyen de terreur idéologique, et pour bloquer et empêcher toute évolution de la vie politique française. Mais c’est le cas aussi dans d’autres pays occidentaux, et notamment aux États Unis. Ce prétexte de l’antisémitisme, on le sentait d’ailleurs venir dès les premiers jours avec la recherche du moindre élément pouvant l’étayer : quelques graffitis anonymes et autres broutilles.
Dans un premier temps, l’instrumentalisation de la question de la violence a visé à diviser les gilets jaunes, étouffer leurs revendications et arrêter leur manifestations. Le but recherché est de rassembler autour du président Macron le "Parti de l’ordre". Cette instrumentalisation est un classique de l’Histoire : tout grand mouvement de libération sociale ou nationale, a été accusé invariablement de diffuser la haine et la violence dans la société, au moment même, paradoxalement, où il apparaît pour réclamer plus de fraternité humaine.
Le Parti de l’ordre
La dénonciation de l’antisémitisme vise à rassembler des forces encore plus larges autour du "Parti de l’ordre" et notamment celles du système des partis politiques contesté par le mouvement des "Gilets jaunes" et qui retrouve, là, un de ses ressorts traditionnels de mobilisation.
Le chantage à l’antisémitisme est tellement fort qu’il agit sur tous les partis politiques et les impressionne, y compris celui le plus proche des "Gilets jaunes" : le parti de la "France insoumise". Faute de dire tout simplement que l’antisémitisme n’a pas ici d’objet et qu’il est, dans ce cas, une diversion, ce parti est acculé à une position défensive. On le somme de se prononcer sur l’antisémitisme, de le condamner. Et il en est réduit finalement à demander que.... sa protection soit assuré lors de sa participation à la grande manifestation contre l’antisémitisme. Mais comment lui reprocher ces faiblesses face à des pressions aussi fortes. Ceci explique, au fond, pourquoi le mouvement des "Gilets jaunes" est né en défiance et en rupture avec tout le système politique traditionnel, avec ses polémiques récurrentes et ses blocages permanents.
L’incident Alain Finkielkraut est aussi l’occasion de poursuivre le rapprochement, qui se dessinait déjà, entre les forces politiques françaises dirigeantes et le parti du "Rassemblement national". En effet, le parti de Marine le Pen avait de plus en plus demandé aux "Gilets jaunes" de mettre fin à leurs manifestations. Il avait mis, lui aussi, de plus en plus au premier plan, la question des violences et des "casseurs". Il demandait, ces derniers temps, à haute voix une "répression implacable" et "aucune tolérance" contre les "responsables de violences" et des "agressions contre la police". Bref, il y avait, là, une offre de services évidente au "Parti de l’ordre".
L’Histoire va-t-elle se répéter ? Dans les années 30 du siècle dernier, le parti de l’ordre allemand, les Junkers, la grande bourgeoisie financière et industrielle s’étaient rapprochés d’Hitler par crainte des désordres et du mouvement populaire qui n’avait cessé de s’amplifier depuis la défaite allemande de 1918 et la crise économique et sociale et politique qui en avait découlé.
Le Parti du Rassemblement national a vite saisi l’occasion d’exprimer bruyamment sa sympathie à Alain Finkielkraut. Ceci d’autant plus que les idées de celui-ci offrent un terrain idéologique à ce rapprochement. Alain Finkielkraut défend l’idée que l’antisémitisme moderne, actuel, n’est plus celui des années trente, de la vieille droite française, mais celui provenant de ce qu’il appelle "l’islamo- gauchisme". Et c’est exactement ce que dit le "Rassemblement national".
Alain Finkielkraut avait d’ailleurs, au départ de la crise française actuelle, exprimé sa sympathie pour le mouvement des "Gilets jaunes" car il avait cru y déceler un mouvement de "ploucs", comme il le dit, de paysans, d’agriculteurs, de ruraux de la France profonde, de "la France blanche", par rapport aux banlieues des villes dont il se méfie. De son côté, le parti de Marine le Pen avait échoué dans ses tentatives de greffer sur le mouvement des "Gilets jaunes" ses thèmes fondateurs de lutte contre l’émigration et l’islamisme. Il a donc pris graduellement ses distances avec le mouvement et ses leaders actuels. La thèse a alors été avancée, par l’ensemble des porte-paroles médiatiques et intellectuels du pouvoir que ce mouvement avait changé et n’était plus celui de ses origines, les "ronds-points ", les "territoires abandonnés de la France" etc..
Le père et la fille
Il suffisait dès lors que Marie le Pen, la fille, renonce au vieil antisémitisme traditionnel du Père. C’est ce qui fut fait, et qui permet d’effacer les derniers scrupules de certaines forces politiques à la normalisation des rapports avec l’ex "Front national".
Mais reprenons sur Alain Finkielkraut. Il défend la thèse qu’on est actuellement dans le monde en face d’une "dictature des victimes", des pauvres, des marginalisés. Sa thèse a pris naissance dans son travail de justification de la domination israélienne. Comme les Palestiniens sont d’évidence victimes et qu’ils bénéficient d’une sympathie générale dans le monde, il en a déduit qu’il y avait désormais une dictature des faibles, des victimes. Il a ensuite étendu cette thèse au monde et aujourd’hui à la France, pour ce qui est des "Gilets jaunes", eux aussi victimes menaçantes.
On peut penser qu’on nage dans l’absurde et que Alain Finkielkraut se dessert par de telles théories. Mais au fond, ne fait-il pas, que reproduire, théoriser une vision hiérarchisée, élitiste du monde qui avait choqué les Français lorsque le Président Macron se référait au thème "des premiers de cordée", ou parlait de "ceux qui sont au chômage ou pauvres parce que paresseux" .
Il y a donc, dans ces idées, une base pour le rapprochement de toutes les composantes politiques, économiques et sociales des forces du "Parti de l’ordre", qui se considèrent, par définition, comme des élites ayant le droit légitime de diriger, de dominer la société, ce qui est une constante idéologique, et traverse l’Histoire, de la noblesse féodale d’hier jusqu’à la noblesse du "mérite", la "méritocratie" proclamée par les "macroniens". On comprend alors pourquoi les thèmes de la révolution française de 1789 reviennent naturellement dans la bouche des "Gilets jaunes".
On l’aura remarqué, Alain Finkielkraut, a choisi, comme démarche intellectuelle, le paradoxe. C’est ainsi qu’il affirme que le racisme d’aujourd’hui provient des antiracistes : "islamo-gauchistes", défenseurs des palestiniens, population des banlieues, barbares de tous genres. C’est ce qu’il n’a cessé de répéter dimanche et lundi dernier sur la chaîne "LCI" et d’autres chaines d’information continue françaises, pour expliquer les invectives de "raciste" et de "sioniste" dont il a fait l’objet. Il est en effet difficile de condamner ceux qui l’ont invectivé pour racisme puisqu’ils lui ont précisément reproché son "racisme sioniste". La fonction du paradoxe est d’aller contre le sens commun. C’est ce que veut faire Alain Finkielkraut en argumentant que ce qui est un antiracisme est en réalité un racisme, que les victimes sont en réalité coupables. Mais là où le paradoxe en science et en philosophie permet, contre les idées établies, de faire des découvertes lumineuses, on n’a le droit, là, qu’à une gesticulation caricaturale mimant l’effort philosophique, une redite bien banale des clichés de la domination sociale.
Le sionisme a été défini officiellement par l’Assemblée générale des Nations Unies comme "une forme de racisme et de discrimination raciale" (résolution 3379 de l’Assemblée générale des nations Unies de 1974 ). L’État d’Israël a été le dernier État à soutenir jusqu’au bout le régime d’Apartheid d’Afrique du Sud à tel point qu’il a été le seul État à ne pouvoir être présent aux funérailles de Nelson Mandela. Les immenses souffrances des juifs, causées en Occident par les nazis, ont donc été détournés pour servir un nouveau racisme. Ceux qui déclarent que le sionisme est du racisme sont alors dans leur droit. Et pourtant certaines élites dirigeantes en France, appellent aujourd’hui à qualifier d’antisémitisme l’antisionisme et à criminaliser toute dénonciation du sionisme. Tout ceci dénote la profondeur de la crise morale et intellectuelle de ces élites, en même temps qu’il explique leur rejet par les "Gilets jaunes" et le besoin, chez ceux-ci, de l’émergence de nouvelles élites
Djamel Labidi