RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Fiasco nucléaire

Thomas Piquemal et Jean-Bernard Lévy d’EDF

La rapidité avec laquelle les industries du renouvelable seront en mesure de se développer dans les années à venir, sera largement influencée par les efforts de croissance déployés par les industries du gaz et du nucléaire. Ayant analysé le marché du gaz dans ma dernière chronique, permettez-moi de parler aujourd’hui du nucléaire, et de me concentrer sur un projet qui aura beaucoup à voir avec les perspectives nucléaires à l’échelle mondiale : l’usine EDF de Hinkley Point C.

Je commence par un ensemble de chiffres sûrement destinés à devenir un cas d’école pour les étudiants en commerce.

Imaginez que vous êtes le directeur financier d’une entreprise qui a une capitalisation boursière de 18 milliards d’Euros sur les marchés. On vous demande de trouver 22 milliards d’investissements pour une nouvelle centrale nucléaire, la première d’une toute nouvelle série. Sans cette série, votre entreprise ne peut espérer se développer, en supposant que sa technologie soit en adéquation avec le marché et ne coule pas son business model en exposant son échec. Pourtant, votre jouet est la centrale la plus chère du monde, et l’un des projets de construction les plus coûteux jamais envisagé par les humains, en termes réels. Et voici que vous portez votre bilan à 37 milliards d’Euros de dette nette.

Vous avez deux autres problèmes. Le premier sont les € 55 milliards d’engagements estimés pour maintenir une flotte de réacteurs vieillissants issus des générations précédentes, restant ouverts au-delà de leurs dates de fermeture prévue il y a longtemps. Le second est un nombre inconnu d’autres milliards pour corriger une faille de sécurité détectée dans l’acier d’un récipient sous pression, dans le réacteur témoin de la nouvelle usine que vous devez construire.

Que faire ?

Vous démissionnez, bien sûr.

C’est exactement ce que le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, a fait le 8 mars.

Maintenant, imaginez que vous êtes le PDG abandonné. Vous faites face à quelques autres problèmes au-delà de la perte de votre directeur financier, le signal envoyé au marché et les raisons de son départ. Moody, l’agence de notation, a averti que votre note de crédit sera rétrogradée si vous continuez le projet, ce qui rend beaucoup plus difficile pour vous d’augmenter votre niveau de dette. Vos syndicats vous supplient de ne pas continuer, et menacent de faire grève si vous le faites. Ils disent ouvertement qu’ils craignent que ce seul projet va mettre en faillite l’entreprise. Pire encore, ils ont des sièges au conseil d’administration, parce que la main-d’œuvre est en partie propriétaire de l’entreprise.

Que faire ?

Dans un monde rationnel, vous démissionnez aussi.

Mais maintenant, imaginez que vous ayez un système de croyance solide comme le roc. Vous ne pouvez pas concevoir un monde sans énergie nucléaire, ou au moins sans votre centrale vitale. Ainsi, au lieu de démissionner, vous choisissez d’annoncer votre détermination renouvelée à construire le projet.

Vous en discutez avec votre patron, le gouvernement français, qui détient la majorité de la société, puis avec votre client final, le gouvernement britannique, et votre co-investisseur minoritaire, le gouvernement chinois. Tous sont des gens qui partagent votre système de croyance, de sorte qu’ils réaffirment aussi leur engagement que ce projet ira de l’avant.

Les Britanniques disent qu’ils ont absolument besoin des 7% d’électricité que le projet fournira, d’ici à 2025, date prévue du lancement. Voilà pourquoi ils ont depuis longtemps accepté un accord sans précédent avec vous, pour vous payer 92,50 £ par mégawattheure, plus de deux fois le prix de vente actuel de l’électricité, garanti pendant 35 ans, et lié à l’inflation – ce qui va alourdir de plusieurs milliards la future facture d’énergie des familles britanniques déjà aux abois. Les fonctionnaires britanniques, quant à eux, suppriment activement l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Les cyniques soupçonnent qu’ils le font en partie pour assurer un marché à l’électricité que votre installation fournira, lorsque vous l’aurez terminée dans 10 ans – comme vous le prétendez, même si, dans vos propres rangs, beaucoup sont sceptiques sur ce délai.

Pourtant votre catalogue de problèmes grandit encore.

Les autorités françaises ouvrent une enquête sur des trucages d’enregistrements dans une usine de fabrication de pièces vitales pour votre centrale électrique. Ils ont identifié des anomalies dans les documents relatifs à 400 composants nucléaires fabriqués pour les centrales existantes en activité à ce jour.

Aux Nations unies, un comité décide que le gouvernement britannique viole ses obligations internationales, en omettant de consulter les pays voisins sur les impacts environnementaux potentiels de votre projet de centrale.

Ensuite, vous vous rendez compte que vous avez dépassé le budget des imprévus. Vous êtes obligés de l’augmenter de plus de 3 milliards d’Euros, sur une note déjà très salée.

Le lendemain, Moody met sa menace à exécution et déclasse votre note de crédit. Standard and Poor’s les rejoint, et va même plus loin, en classant une partie importante de votre dette comme pourrie.

Et cela continue.

Est-ce qu’il ne semble pas que la vie a tendance à être plus étrange que l’art ? Je ne suis pas sûr qu’un auteur aurait pu imaginer que les méandres du fiasco d’Hinkley Point soient si tordues.

En ce qui concerne le dénouement, la seule chose qui reste à résoudre est la forme exacte de l’inévitable tragédie.

Et jusqu’à quel point cet éléphant blanc qu’est le système de croyances brisées et agonisantes de notre société, peut ralentir la croissance des énergies renouvelables.

Par jeremy Leggett – Le 3 juin 2016 – Source jeremyleggett.net

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone

»» http://lesakerfrancophone.fr/fiasco...
URL de cet article 30522
   
Putain d’usine, de Jean Pierre Levaray.
« Tous les jours pareils. J’arrive au boulot et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons - et des collègues que, certains jours, on n’a pas envie de retrouver. On fait avec, mais on ne s’habitue pas. On en arrive même à souhaiter que la boîte ferme. Oui, qu’elle délocalise, qu’elle restructure, qu’elle augmente sa productivité, (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Aussi longtemps qu’on ne le prend pas au sérieux, celui qui dit la vérité peut survivre dans une démocratie.

Nicolás Gómez Dávila
philosophe colombien

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.