Qu’on considère, par exemple, les personnes tuées dans les deux camps. Les médias privés (en anglais ou en espagnol) ont omis de couvrir les huit (et plus) victimes pro-chavistes des violences perpétrées par les étudiants ou par le reste de la droite. Aucun n’enquête sur les dénonciations selon lesquelles les morts sont en majorité imputables à l’opposition. Le gommage radical des victimes pro-chavistes est surprenant.
L’image ci-dessus montre, par exemple, des membres de la droite vénézuélienne tendant un fil barbelé qui a décapité un cycliste innocent, Rafael Durán de La Rosa, mort omise par la plupart des médias. Autre exemple du silence, l’assassinat de l’étudiante chilienne Gisella Rubiar le 9 mars à Mérida, tombée sous les balles de militants d’extrême droite alors qu’elle tentait de dégager une rue obstruée par leur barricade.
Un autre aspect de ce traitement très spécial des médias sur le Venezuela concerne les images des masques de Guy Fawkes, symbole des mouvements anti-capitalistes popularisé par Hollywood et, plus récemment, par les manifestations du mouvement Occupy.
La semaine dernière j’ai interviewé des membres de l’opposition, parmi lesquels des dizaines de jeunes. Presque tous ceux-ci sont des étudiants de classe moyenne et supérieure vivant dans les quartiers ultra-élitaires de Caracas, les plus riches des Amériques. Lorsque je leur demandai s’ils se définissaient comme “anarchistes” ou “marxistes” ou comme partisans d’une des idéologies qui ont caractérisé la plupart des oppositions historiques ou actuelles dans la région, ces étudiants ont uniformément répondu par la négative, certains y allant parfois d’un “para nada !” (“pas du tout !”) ou d’équivalents espagnols de “Jamais de la vie !”
Certains des interviewés m’ont dit s’identifier à des militaires tels que le Généralissime Marcos Pérez Jiménez, ancien et très répudié dictateur. Ils se sont également reconnus dans l’opposition vénézuélienne, emmenée par trois membres de l’élite du pays —Henrique Capriles, María Corina Machado et Leopoldo Lopez— tous trois impliqués dans le coup d’État de 2002 contre Hugo Chávez et possédant des liens familiaux direct avec les propriétaires ou les plus hauts dirigeants des plus importants conglomérats privés du Venezuela et du continent.
Or, si l’opposition du Venezuela est dirigée par des milliardaires dans un pays pauvre et si, au lieu de combattre les initiatives multi-millionaires de la politique des USA (comme le font la plupart des mouvements latino-américains), cette opposition reçoit des millions de dollars du département d’État, comment comprendre toutes ces images d’étudiants portant un symbole associé aux mouvements de gauche ?
La réponse est triple. La première est que l’idée de porter ce masque face aux caméras fait partie de la très sophistiquée formation aux médias que les étudiants ont reçue de OTPOR/CANVAS et d’autres consultants loués avec les millions de dollars US. La deuxième est que des étudiants commettant des violences et qui craignent les sanctions ont besoin de se cacher. Enfin, c’est la logique du marché, il y a des personnes achetant des masques parce que c’est cool ou d’autres qui y voient une aubaine commerciale, comme j’ai pu l’observer dans les photos que j’ai prises la semaine passée.
Sans analyser de près l’imagerie dominante, sans examen minutieux de ce qu’est l’opposition vénézuélienne, on risquerait de la confondre avec quelque chose comme le Che Guevara ou Occupy ou le Printemps Arabe. Mais avec des dirigeants de la droite étudiante comme Lorent Saleh, lié aux paramilitaires de l’ex-président Uribe et à des groupes néo-nazis colombiens (voir El Espectador du 21/7/13) (1) ou Yon Goicochea qui a reçu les 500.000 dollars du prix “Milton Friedman” et d’autres financements privés ou gouvernementaux des États-Unis, il y a beaucoup plus derrière les masques de Guy Fawkes au Venezuela que ceux que nous laissent voir les médias. Et peut-être que nous voyons naître quelque chose de nouveau et radicalement différent dans le continent insurgé de l’Amérique : Fauxccupy…
Roberto Lovato
http://www.latinorebels.com/2014/03/13/fauxccupy-the-selling-and-buying-of-the-venezuelan-opposition/
Roberto Lovato est écrivain, journaliste et co-Fondateur de Presente.org, une des principales associations on-line de défense des droits des immigrants latino-américains aux États-Unis. Une de ses enquêtes sur l’exploitation des travailleurs immigrés à New Orleans après les ravages de Katrina, Gulf Coast Slaves, a servi de matériel pour une enquête du Congrès. Producteur de programmes de radio et collaborateur régulier de dizaines de médias dont Nation magazine et Huffington Post. Lire son blog. Twitter : @robvato.
Photos : Roberto Lovato
Traduction de l’anglais : Thierry Deronne