Le jour où j’ai vu la reine d’Angleterre
Je m’autorise à reprendre un article publié sur mon blog en mars 2011.
Y a-t-il promenade plus agréable que de remonter (ou descendre) Princess Street à Édimbourg ? Cela doit sûrement exister. Je ne l’ai fait qu’une seule fois dans ma vie, il y a environ trente-cinq ans et je m’en souviens encore.
Il faut dire qu’une circonstance historique et sociologique particulière m’a aidé à conserver ce souvenir en mémoire.
J’étais guidé ce jour-là par un couple d’amis, elle anglaise, lui français, résidant dans cette superbe ville d’Écosse. Nous marchions à faible allure, en quête d’un restaurant végétarien (aucun de nous n’était végétarien, mais pour bien manger en Grande-Bretagne, il faut manger autrement), lorsque nous nous vîmes dépassés par des couples pour moi tout à fait inattendus : les hommes étaient superbement accoutrés dans le costume traditionnel de leur clan, et les femmes vêtues dans le style haute couture britannique de l’époque, c’est-à-dire plutôt grotesque (des lignes qui n’en étaient pas, des couleurs pastel hideuses etc.). Tous se hâtaient, à la fois joyeux et tendus.
— Où vont-ils donc, demandai-je à mes amis ?
— Voir la reine, me répondirent-ils.
Quelle bonne blague !
Et pourtant, c’était vrai.
À deux cents mètres de là, dans je ne sais plus quelle superbe résidence de Princess Street, la reine fêtait l’aristocratie écossaise, qui le lui rendait bien.
J’étais donc sur le point de voir la Reine d’Angleterre, le roi et le petit prince. Jamais je ne m’étais senti une telle âme de midinette (et pourtant, j’avais conversé avec Raymond Poulidor !).
Arrivés sur les lieux, nous vîmes une procession de Rolls-Royce déverser les membres de la famille royale. De la première, sortit gaillardement la Reine Mère. Sa tenue bleu clair et son chapeau ridicule parvenaient à faire oublier que cette dame avait soixante-dix ans bien sonnés.
De la deuxième Rolls descendit la Princesse Ann. Elle venait d’épouser son premier mari, Mark Philips, après plusieurs années d’une vie de bâton de chaise. La princesse fait partie de cette minorité de gens qui ont embelli en vieillissant. À l’époque, brut de décoffrage, elle avait une fâcheuse tendance à ressembler aux caricatures qu’on faisait d’elle dans la presse.
Nous eûmes droit ensuite, par mesure d’économie, j’imagine, à un seul véhicule pour le Duc d’Édimbourg et son fils le Prince Charles. Le Prince Philippe était encore à l’époque un fort bel homme, doué d’une prestance remarquable. Charles, qui à l’évidence s’ennuyait à mourir, traversa le trottoir recouvert du tapis rouge protocolaire, comme son père, les mains croisées dans le dos, cette posture qu’on leur a vu des centaines de fois.
Enfin, la Rolls-Royce royale arriva. Elle était illuminée à l’intérieur pour que l’on puisse mieux voir la passagère. La reine était vêtue de couleurs vives, également, j’imagine, pour être mieux vue. Comme on dit aujourd’hui, le vert pomme du chapeau, ça ne le faisait pas. J’ai trouvé qu’elle était très maquillée. On aurait dit une poupée. La petite dame descendit prestement de la voiture, se conforma à l’étiquette qui lui commandait de nous adresser deux brefs saluts en franchissant le trottoir. Nous n’eûmes droit à aucun sourire. Nous l’avions entr’aperçue moins de dix secondes.
Et ce fut tout.