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Epuration commerciale à Château-Rouge (Paris 18ème) : vrai consensus municipal et fausse concertation.

Transmis par le GRAAF (Groupe de recherches activistes sur
l’Afrique).

Transfert du marché de Château-Rouge sur le site très périphérique et
inhospitalier de la Gare des Mines à Aubervilliers, transformation de la
zone commerciale en espace d’artisanat d’art et de semi-luxe, démolition
massive d’immeubles et expulsion de familles... plusieurs projets conçus par
la mairie du 18ème de concert avec la mairie de Paris menacent de modifier
de façon brutale la vie du quartier de Château-Rouge, de ses habitants et de
ses usagers. Les propos tenus à ce sujet au Conseil de Paris par la
socialiste Lyne Cohen Solal, adjointe au Maire chargée du commerce, ne
laissent d’ailleurs aucune ambiguïté sur l’intention globale de ces
différents projets : "Tout est mis en oeuvre pour que (ce) quartier (...)
soit rendu à ses habitants le plus rapidement possible" (18 Novembre 2002).
Les relents nauséabonds de la formule (après la France aux Français,
Château-Rouge à ses habitants !) sont malheureusement à l’image des
manoeuvres urbanistiques et des projets officiels de la Mairie. Malhonnêtes
dans leur manière d’utiliser quelques études d’experts, explicitement
conçues pour rendre indiscutables les « nuisances » dont seraient
responsables le commerce dit « exotique » et sa clientèle. Caricaturaux,
lorsqu’ils s’abritent derrière une concertation dont le dispositif ne
concerne que la frange d’habitants qui réclame le « grand nettoyage » depuis
plusieurs années. Et franchement inquiétants lorsqu’ils réinventent, en
opposant « habitants » et « usagers-commerçants de produits africains »,
une politique et une rhétorique douteuse, sinon raciste. Les projets, en
juin 2004, sont pourtant très largement engagés, et la Mairie affiche
clairement sa détermination à les mener à terme.

« La délocalisation du marché exotique de Château-Rouge », la Mairie du
18ème passe à l’attaque

Le départ des commerces africains fait l’objet d’un large consensus parmi
les élus UMP-PS, qui ont voté plusieurs voeux en ces termes au conseil du
18ème arrondissement, depuis 1999. Mais là où les associations proches de
l’UMP brodant sur le thème de « Château-Rouge, zone de non droit » réclament
seulement un respect des réglementations, suffisant selon eux pour « 
nettoyer » le quartier de ses africains et de son manioc, les socialistes
parisiens ont l’humanité de planifier le départ « constructif » des
commerces de produits africains. Le plan des socialistes de la mairie du
18ème prévoit officiellement de créer une incitation forte au départ grâce à 
la construction d’un « marché des cinq continents », pôle commercial « 
attractif » et confortable en périphérie parisienne.
Daniel Vaillant revendique avec fierté la paternité du projet de transfert
du marché de Château-Rouge en banlieue parisienne, ce dernier remonterait à 
son accession au poste de conseiller municipal à la mairie du 18ème en 1989.
Après de longues années de tâtonnements et d’effets d’annonce, le projet,
grâce au soutien actif de Bertrand Delanoë serait sur le point d’aboutir.

D’abord un site aurait enfin été trouvé, dit de la Gare des Mines, décrit
comme « magnifique » par la mairie. Il s’agit en fait d’un terrain vague
post-industriel à l’écart de tout moyen de transport collectif à moins de 15
mn de marche. Sachant qu’une grande partie des clients actuels du marché de
Château-Rouge vient à pied et repart chargée, on imagine la partie de
plaisir... Le contenu commercial du « Marché des Cinq continents » frise, en
l’état, le canular. Les projets rendus publics n’ont en effet pas peur des
clichés : magasins de « mode ethnique », « artisanat traditionnel », et bien
sûr commerce équitable, on imagine sans mal le désir qui anime les élus :
récréer un exotisme acceptable à leurs yeux dans un espace aseptisé,
contrôlé, et clos. Les élus rêvent sans doute de bonnets péruviens, de
flûtes de pan, de tam-tams, de costumes traditionnels et de cours de
cuisine. Tellement plus propre, en effet, que la culture urbaine et
mondialisée de l’Afrique du XXIème siècle qui s’affiche, avec Werra Son ou
les soirées « Coupé Décalé », sur les murs de Château-Rouge. Le terme même
de « Marché des cinq continents » est révélateur : il s’agit d’éviter tout « 
communautarisme » visible en « mélangeant » l’ensemble des cultures « autres
 », et en évitant une « africanisation » trop visible. Pourtant, l’expert
chargé de rendre public l’avancement du projet doit déplorer, mi-amusé
mi-inquiet, « qu’il reste à trouver les quatre autres continents », à ce « 
Marché des Cinq Continents ». Et malgré la faiblesse criante d’un projet qui
tient davantage de l’Exposition Coloniale que du marché, les propositions
définitives des investisseurs commerciaux sont attendues pour la fin de
l’été 2004, et la livraison de l’ouvrage prévue pour 2007.

Ensuite une campagne musclée d’ « incitation » qui vise à mettre en évidence
les avantages, présentés comme certains du transfert. Mme Berkovici (chargée
du « Plan d’Action Château Rouge » à la Mairie de Paris), rassurante,
rappelle à certains « habitants » qui s’en étonnent qu’il est impossible
d’interdire les commerces africains de Château-Rouge :

« Ils ne partiront pas de façon autoritaire. Ils ne partiront que s’ils sont
convaincus que premièrement l’espace des cinq continents est un espace où
seront réalisées des transactions commerciales pour eux, pour leurs chiffres
d’affaires, pour leur développement économique et deuxièmement ils ne
partiront qu’avec un accord, c’est qu’à ce moment-là leurs boutiques, leurs
murs seraient renégociés de telle manière qu’elles ne soient pas réinstallés
immédiatement par la même activité. Il n’y a pas de délocalisation. Il y a
des offres commerciales pour pouvoir permettre à des commerçants de
déménager vers les cinq continents. »

Soit la force ne sera pas employée ! Mais les moyens utilisés pour « 
persuader » les commerçants s’avèrent très agressifs. D’abord la publicité
faite au transfert par la mairie le pose comme assuré et indiscutable...
Ensuite des enquêteurs, dans le cadre d’études diligentées par la mairie,
n’hésitent pas à commencer leurs entretiens en demandant aux commerçants
s’ils souhaitent partir. Enfin « Partenaires Développement », l’un des
organismes chargés par la mairie d’enquêter sur les commerçants de la zone,
a suscité la création d’une association fantoche dite des « commerçants de
Château-Rouge », désormais présentée par la mairie comme représentative de
l’ensemble de ces commerçants. Les statuts de cette association ont été
rédigés par « Partenaires Développement », ses réunions sont plus souvent
annulées que tenues, le nombre de ses adhérents demeurent mystérieux, et de
toute façon de l’aveu même de son président très inférieur au nombre des
commerçants de Château-Rouge.

Par ailleurs on quitte le terrain de l’incitation lorsqu’il s’agit de
pratiquer un véritable harcèlement urbanistique à l’encontre des commerçants
sous couvert de travaux de voirie. A titre d’exemple et sur le modèle de ce
qui s’est déjà passé rue des Poissonniers, les travaux programmés pour 2005
dans les rues Dejean et Poulet seront mis à profit pour reprendre toutes les
autorisations d’étalage accordées aux commerçants :

« Lors de la rénovation de la rue des Poissonniers, lors de la rénovation
totale de la rue et de sa remise en forme, on a profité de ces travaux-là ...
Parce qu’on ne peut pas résilier sous des motifs X ou Y des autorisations
qui ont été données. On a profité de ces travaux, nous au niveau voirie,
pour systématiquement reprendre toutes les autorisations qui avaient été
accordées et qui étaient encore valables sur la rue des Poissonniers. On
compte agir de la même façon sur la rue Poulet et sur la rue Dejean. » (M.
Lamy, adjoint chargé de l’urbanisme à la mairie du 18ème )

C’est également une intention claire d’exclure les commerces dits « 
exotiques » que traduisent les tractations entre la mairie du 18ème et
l’OPAC (Office public d’aménagement et de construction de Paris) afin de
geler les commerces libérés dans la zone et empêcher qu’ils ne soient repris
par des commerçants « exotiques » eux aussi. Que l’appartenance à la
catégorie « commerce ethnique » puisse motiver des refus d’attribution de
local commercial signifie très nettement que les critères de sélection de la
mairie sont raciaux et donc racistes. Sur de dernier point les propos de M.
Neyreneuf (adjoint à l’Urbanisme à la Mairie du 18ème), ainsi que les
réactions d’une partie du conseil de quartier sont révélateurs :

« Simplement sachez que c’est complexe. Je voudrais prendre un autre
exemple, Laurence Legrave a parlé de la boutique de l’OPAC, la seule
boutique de l’OPAC livrée récemment qui est au 29 rue Poulet, petite
boutique. Sachez que nous avons refusé jusqu’à présent je ne sais combien de
candidatures, on aurait pu installer, je ne sais combien de cosmétiques,
vous en auriez eu des ... (Salle : Houh !) Nous avons fait barrage. »

A ces différentes pressions, il faut ajouter le harcèlement policier qui
concerne bien entendu l’ensemble du quartier, mais vise aussi dans l’une de
ses déclinaisons spécifiquement les commerçants. Un nouveau groupe de
policiers a été introduit en janvier 2004 sur Château-Rouge avec pour cible
 : le commerce sous toutes ses formes. L’un des policiers du groupe définit
ainsi sa mission :

« On a pour but de nettoyer un petit peu les rues entre guillemets. Y a
énormément de travail. Notre mission est avant tout de contrôler tous les
commerces, c’est-à -dire donc tout ce qui est lié à la réglementation, donc
nous contrôlons les commerces tant au niveau de l’hygiène qu’au niveau des
pièces administratives. (...) Nous avons aussi à éradiquer toutes les
sauvettes, tous les vendeurs à la sauvette. (...) Notre objectif 1er avant
tout c’est de contrôler les commerçants, dès que nous avons le contrôle des
commerçants et donc la pleine conformité des commerces, on pourra réellement
s’attaquer aux vendeurs sauvette. »

Enfin l’après « marché de Château-Rouge » est d’ores et déjà préparé en
l’espèce d’un projet dit des « rez-de-chaussée de la création ». La
municipalité grâce aux obstacles mis à l’installation des commerces
exotiques ainsi qu’aux opérations immobilières en cours pense récupérer
environ 70 locaux commerciaux d’ici 2007. Elle prévoit de dédier une
cinquantaine d’entre eux aux métiers d’art et de la création, en fait des
produits de luxe et semi-luxe, en prenant exemple sur l’expérience de la rue
des Gardes, surnommée rue de la mode. Un t-shirt manche courte siglé « 
Barbès » coûte à l’heure actuelle rue des Gardes : 80 °à‹... Les boutiques y
sont le plus souvent vides ou bien visitées par des clients qui arrivent en
voiture jusque dans la rue pour en repartir aussitôt. Les produits présentés
totalement inaccessibles pour les habitants de ce quartier populaire. Mais
c’est pourtant l’expérience de la rue des Gardes que la mairie a retenu pour
« restructurer » l’espace commercial du quartier. L’un des employés de la
SEMAVIP (Société d’économie mixte d’aménagement de la Ville de Paris) donne
des détails :

« c’est une opération qui est d’une ampleur assez importante, donc le choix
qui a été fait par la municipalité ça a été de s’appuyer sur l’expérience de
la rue des Gardes, pour faire tache d’huile. C’est-à -dire, d’ouvrir le champ
d’activité. La rue des Gardes était très liée aux métiers de la mode, là on
élargit le champ aux métiers du design et de la création, de manière à avoir
un panel d’activités beaucoup plus large, qui s’inscrit dans une démarche de
mixité sur le quartier. »

La mixité dans le quartier c’est donc avoir droit, à côté des fringues de
luxe, à des meubles et des objets de luxe !

Derrière les chiffres et les études officielles, l’obsession raciale

La démarche de la Mairie est officiellement fondée sur des études d’experts,
neutres, scientifiques, et impartiales comme il se doit. Fait classique sur
le marché lucratif de l’expertise, leurs conclusions, parfois grossières,
sont suffisamment conciliantes pour permettre à la Mairie d’y trouver ce
qu’elle attendait : la confirmation de son propre diagnostic. Dans le cas de
Château-Rouge, les idées de la Mairie sont largement et directement
inspirées par les associations d’habitants les plus virulentes, dont la déjà 
célèbre « Droit au Calme », qui proposent depuis plusieurs années leur
propre diagnostic du « problème », avec agitation médiatique et délation à 
la clef. Relayées parfois par des élus UMP comme Roxane Decorte, les
associations ont ainsi redoublé d’imagination pour souligner l’illégalité
des commerces eux-mêmes : Château-Rouge serait une plaque tournante du
commerce de gros, massivement fréquentée par des clients venus en voiture.
Les marchandises y seraient dangereuses pour les consommateurs, et un peu à 
leur image, clandestines. L’illégalité appelant l’illégalité, le non-respect
du droit favoriserait les trafics en tout genre, dont celui de la drogue.
Sous la pression d’une fréquentation exclusivement exotique et de
l’insécurité ambiante, l’offre commerciale dite traditionnelle serait
devenue insuffisante, voir même menacée d’extinction.

Au corps défendant de la Mairie, et des associations qui en
dénigrent systématiquement les résultats, l’étude la plus conséquente
(plusieurs dizaines d’enquêteurs) sur le tissu commercial de Château-Rouge
démontre le peu de fondement de ces postulats. Rendue au printemps 2003,
elle provient de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR), référence parisienne
du domaine. Ses résultats sont limpides : il y a peu, voire pas de commerce
de gros à Château-Rouge, l’offre traditionnelle est suffisante en quantité
et en qualité (et meilleure que la moyenne parisienne), et 80% de clients
viennent en transport en commun ou à pied. Face à ces données, la mise en
place d’un « marché des cinq continents » perd une grande partie de son
sens. Et les sites pressentis en périphérie Nord-Est, éloignés de tout
transport en commun, apparaissent particulièrement peu adaptés à une
clientèle qui utilise Château-Rouge pour sa centralité et sa
fonctionnalité.
Les « nuisances » identifiées par la même étude sont par ailleurs d’une
grande banalité, et directement liées à la fréquentation massive du
quartier : embouteillages, klaxons, propreté des rues. Bref, rien que de
très « parisien ». Et rien qui justifie de continuer, à coup d’études
supplémentaires et de déclarations d’intentions, à vouloir déporter « 
l’exotique ».

Mais les élus socialistes persévèrent et confient l’été dernier la suite des
études à « Partenaires Développement », un cabinet constitué de deux
experts. Elles visent cette fois à préciser les connaissances sur les fameux
commerces de Château-Rouge, et à évaluer la faisabilité du transfert. Grâce
à leurs résultats, Lyne Cohen-Solal affirmait tout récemment au Conseil de
Paris que 77% des commerces de Château-Rouge étaient des « commerces
ethniques ». Derrière cette catégorie « scientifique », l’étude regroupe
vendeurs de kebabs, boulangeries dites nord-africaines au motif qu’elles
sont tenues par des commerçants issus de l’immigration nord-africaine et
alors même qu’elles proposent une offre « traditionnelle », restaurants -
même « chics » - de couscous ou de cuisine turque, cafés et bars en tout
genre (sauf le bar branché l’Olympic), coiffeurs, vendeurs de mèches, de
cosmétiques, de télécartes, de téléphones portables, et bien sûr les
commerces alimentaires « plantains-manioc-piments ». Nul besoin d’en
rajouter pour comprendre la méthode utilisée : il fallait inventer un « 
chiffre-choc » pour décrire un quartier « dépossédé de lui-même ». Et pour
cela, utiliser le genre de catégorie - globalisante, caricaturale,
vraisemblablement xénophobe - qui parle certes à certains électeurs, mais
qu’il est rigoureusement inadmissible de manipuler dans une étude
d’urbanisme. Et que les élus PS seraient inspirés de laisser, pendant les
conseils municipaux, à leurs collègues du FN. La manoeuvre est en tout cas
efficace : la Tradition est menacée par l’Ethnique, catégorie indéfinie mais
identifiable comme un tout. Et Lyne Cohen-Solal peut sereinement défendre
l’avancement de la délocalisation, au nom de l’intérêt général...
En plus d’être instrumentalisée, l’identification des commerces de
Château-Rouge à une catégorie homogène est totalement fausse. Il est connu
que la zone commerciale est « tenue », selon les activités, par des réseaux
hautement diversifiés, chinois, pakistanais, et sri-lankais principalement,
sans oublier une part importante de commerçants africains spécialisés dans
les produits de leur pays d’origine. Et l’identité des propriétaires des
commerces, dont les loyers sont généralement élevés, diversifie encore le
tableau, bigarré pour le coup. A moins donc d’utiliser les mots-valises de
la xénophobie ordinaire (« ces étrangers et leurs commerces, tous les mêmes
 ! ») on est loin, à Château-Rouge de la « mono-activité » qui menace
certains quartiers de Paris. Remarquons ici que la Mairie a choisi
d’inaugurer dans le quartier sa politique de diversification commerciale
(son mot d’ordre dans tout Paris) par la création d’une zone...de
mono-activité, la « rue de la Mode » selon l’étiquetage municipal, en fait
rue des Gardes !
La « mono-fréquentation » est bien sur un constat aussi douteux : du lycéen
français au diplomate angolais, il s’agit bien d’une diversité de
nationalités, d’identités et de statuts que Château-Rouge attire et
juxtapose. Chacun a d’ailleurs un usage différent du quartier et de ses
commerces, sans qu’il soit possible de le réduire à une « identité africaine
 » quelconque, et encore moins à un « communautarisme »....
Que faut-il donc penser de Daniel Vaillant lorsqu’il explique qu’il faut à 
Château-Rouge, « réintroduire de la diversité » et « retrouver la mixité » ?
Quel est donc cet ensemble que la Mairie identifie, mesure à 77% (le
pourcentage municipal des commerces « exotiques ») et voudrait en quelque
sorte diluer ? Considère-t-elle, à la manière des théoriciens de « mission
civilisatrice de la France », que « le Noir ou l’Africain », en plus d’être
un « sauvage », forme un tout - une « race », une « culture » dit-on
aujourd’hui pour s’éviter les désagréments d’un lexique trop ancré à 
l’extrême droite et se vanter de « reconnaître » les différences.
Un tel partage du monde, en plus de marquer les rapports d’expertise et les
discours des élus, organise à Château-Rouge l’ensemble du dispositif de
concertation politique.

Les « clients du marché » ne sont pas les ennemis des « habitants du
quartier »

Le propriétaire d’un appartement haussmanien de la rue de Panama est-il plus
du quartier qu’une femme mal-logée d’un squat de la rue Myrha ou d’un hôtel
meublé de la rue des Poissonniers ? Un salarié des boutiques « exotiques »
qui arrive à 7h du matin à Château-Rouge, y travaille jusqu’à 20h en plein
air et en faisant des pauses dans les cafés du quartier l’habite-t-il moins
qu’un cadre qui en part vers 8 h pour y revenir vers 19h ? Un intermittent
du spectacle ou du précariat est-il moins légitime dans le quartier qu’une
personne certaine de pouvoir payer son loyer ? Les « primo-arrivants » des
pays d’Afrique noire et du Nord, d’Inde... à qui la structure sociale du
quartier offre parfois un premier accueil et une possibilité de survie
sont-ils moins habitants du quartier que d’autres « primo-arrivants » sur le
quartier dont la plupart des ami/es et des activités se trouvent à 
l’extérieur de Château-Rouge ? Les habitués du marché qui aiment flâner dans
les rues ou aux terrasses des cafés après leurs courses habitent-ils moins
le quartier qu’un propriétaire-locataire attiré dans la zone par le « bas »
prix des appartements mais qui rentre chez lui en pressant le pas et
maudissant les reliefs du marché, « les bruits et les odeurs » ? Les
sans-papiers et autres « clandestins » y vivent-ils moins que d’autres ?
L’augmentation des contrôles policiers ainsi que des micro-rafles suggèrent
le contraire.

Les conseils de quartier constituent l’un des grands lieux de fabrication et
d’exhibition de la catégorie municipale et privilégiée d’« habitant
(sous-entendu légitime) de Château-Rouge ». Ces assemblées où la légitimité
de la prise de parole est conditionnée par le fait d’être « habitant de
Château-Rouge » forment un excellent observatoire des personnes incluses
dans la « concertation » et des formes prises par celle-ci. L’assistance
s’auto-définit parfois comme « tous les cadres moyens et supérieurs » du
quartier. La présence des personnes issues de l’immigration africaine y est
très rare, leur prise de parole encore plus. Un oeil un peu exercé y
reconnaît une partie des ténors associatifs du quartier, et surtout les
mêmes têtes. Il faut sur ce point préciser que pour se garantir contre toute
dissonance ou perturbation, « les habitants du quartier » annoncent leurs
conseils au moyen d’un affichage extrêmement confidentiel et sans doute
inadéquat aux formes de circulation de l’information dans le quartier. Dans
ce cadre protégé, les partenaires de la concertation se limitent à la
municipalité socialiste organisatrice des conseils et porteuse du projet de
réaménagement de Château-Rouge, aux regroupements d’habitants
sarko-chevénementistes et « tout sécuritaire » qui déplorent la lenteur de
sa mise en oeuvre, aux associations institutionnelles qui font des remarques
de détails et aux Verts qui après avoir caressé l’idée d’un contre-projet
ont quitté la scène, sans doute convaincus par la dimension « hygiéniste »
de l’affaire... Bref la concertation a lieu entre des représentants de partis
et des « habitants » parfaitement homogènes et d’accord avec le projet de
transfert qui ne discutent que de points de détails ou font semblant de se
disputer sur des questions de délai.

Les discussions suscitées par le marché de Château-Rouge dans les conseils
de quartier et au sein d’un certain nombre d’associations d’ « habitants »
viennent utiliser et renforcer les catégories et les dichotomies douteuses
des études et discours officiels.
La principale des distinctions à faire serait entre ceux qui sont là , les « 
habitants » du quartier et ceux qui passent, les « clients » du marché. La
mairie parle d’un conflit entre la « fonction résidentielle » et la « 
fonction commerciale » du quartier, mais l’une des figures de la vie
associative locale Mr. Bouabsa se fait plus précis sans être contredit, il
est même applaudi :

« Alors je vais vous dire quelque chose, nous avons parlé jusqu’à présent
des commerces, nous n’avons pas parlé des gens qui y habitent effectivement,
ni à Château Rouge, ni du côté de la Goutte d’or. Vous avez deux parties. Du
côté de la Goutte d’or, vous avez un commerce qui est purement Nord
Africain. Et vous avez un commerce à Château-Rouge qui est afro-asiatique.
Les gens qui viennent dans ces commerces ne sont pas des gens qui habitent
ici. Donc il ne s’agit pas du tissu social. Le tissu social, c’est à travers
les habitants et là ce ne sont pas des habitants. »

Les termes de l’opposition se précisent puisque les « clients » dont il
s’agit achètent des produits afro-asiatiques, alors que les « habitants »
consomment du non afro-asiatique. Plus clairement, les clients satisfaits
par le marché de Château-Rouge seraient « africains », et les habitants du
quartier ne le seraient pas. Cette grille de lecture aberrante autorise à 
dénoncer le marché comme un « corps étranger » au quartier, une invasion
africaine. Elle atteste aussi que la mairie et ses supporters n’ont pas
décidé d’aborder le « problème » du « marché de Château-Rouge » comme un
traditionnel problème de marché dans une grande ville (bruits, suractivité,
livraisons...), mais comme un problème de « marché africain ». Château-Rouge
ferait aussi problème parce qu’il satisfait des besoins « africains »
supposés étrangers aux habitants du quartier.

Cette ligne interprétative est sous-tendue par une série de contre-vérités
manifestes.

 Il n’y aurait pas de personnes issues de l’immigration africaine
habitant le quartier de Château-Rouge ! C’est méconnaître les 30 dernières
années de l’histoire du quartier, depuis les années 1975-80 Château-Rouge
constitue une zone d’installation pour de nombreux immigrés en provenance du
continent africain, dans le prolongement de ce que fut le quartier depuis la
première guerre mondiale, une destination privilégié pour des générations
successives d’immigrés (cf. Jean-Claude Toubon, Khelifa Messamah, Centralité
immigrée. Le quartier de la Goutte d’Or, 1990). C’est cette histoire
continuée qui fait de Château-Rouge, l’un des lieux parisiens assez rares où
peuvent se manifester les besoins multiples des immigrés africains. C’est
encore cette histoire qui revêt Château-Rouge d’une dimension économique et
symbolique internationale grâce à la puissance d’évocation et de rayonnement
du quartier sur le continent africain. A Alger, Paris c’est d’abord Barbès !
C’est enfin cette histoire qu’il faut défendre puisque la Mairie cherche à 
nous vendre une histoire mal révisée et expurgée de ses immigrés en l’espèce
de son projet d’artisanat de luxe. Ce dernier est en effet présenté comme
fidèle à l’histoire du quartier ! C’est confondre Château-Rouge avec la
place du Tertre et Daniel Vaillant avec Amélie Poulain.

 Seuls les « Africains » seraient clients du marché de Château-Rouge.
La diversité des marchandises, leur prix souvent intéressant, l’absence de
chauvinisme culinaire de nombreux clients, les succès de l’ethnic food... en
font un espace commercial ouvert à tous.

 Enfin répétons-le, les « africains » ne forment une catégorie
homogène qu’au prix d’un étiquetage aussi raciste que celui de « race
européenne » ou encore « peuple européen » par exemple.

Pour finir...

Parce que nous refusons le racisme soft et culturaliste de la mairie
socialiste.

Parce que nous n’acceptons pas que la mairie et 3 associations transforment
de façon autoritaire le quartier en parc d’artisanat de luxe.

Parce que nous n’avons pas honte d’un espace où s’exprime une forme de « 
centralité immigrée ».

Parce que les commerçants, notamment les plus fragiles d’entre eux,
commencent à avoir peur des attaques sécuritaires et municipales.

Opposons-nous à l’expulsion du marché de Château-Rouge.

GRAAF (Groupe de recherches activistes sur l’Afrique)
Contact : peaux_rouges@no-log.org

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TOUS LES MEDIAS SONT-ILS DE DROITE ? Du journalisme par temps d’élection
par Mathias Reymond et Grégory Rzepski pour Acrimed - Couverture de Mat Colloghan Tous les médias sont-ils de droite ? Évidemment, non. Du moins si l’on s’en tient aux orientations politiques qu’ils affichent. Mais justement, qu’ils prescrivent des opinions ou se portent garants du consensus, les médias dominants non seulement se comportent en gardiens du statu quo, mais accentuent les tendances les plus négatives inscrites, plus ou moins en pointillé, dans le mécanisme même de l’élection. (…)
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Si le climat avait été une banque, ils l’auraient déjà sauvé.

Hugo Chavez
Président du Vénézuela, au somment de Copenhague, Déc. 2009
en citant un slogan lu dans les rues de la ville.

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