Cette abstention qui atteint les 2/3 des électeurs est aggravée par la non inscription sur les listes électorales de 6 % des personnes en âge de voter.
La présence d’une partie minoritaire de jeunes autour d’un noyau de dirigeants fausse l’image d’une jeunesse impliquée dans la vie politique classique alors que la réalité indique que 79 % des jeunes de 25 à 34 ans ne se sont pas déplacés.
Cela ressemble fort à un suffrage censitaire, certes non intentionnel, mais de fait.
Nous aurions tort de penser que cette situation est provisoire et exceptionnelle et que les électeurs vont retrouver le chemin des urnes lors des élections présidentielles. Les tendances analysées par les instituts de sondages prédisent une forte abstention de 45 % en 2022.
La légitimité des élus remise en cause
Cette situation pose un problème démocratique. Le vote est légal et les candidats arrivés en tête sont légalement élus. Cependant, si légalité il y a, il manque la légitimité qui repose sur une reconnaissance sociale, inexistante du fait de l’abstention.
Les institutions de la Ve République, associées au néolibéralisme, ont pour conséquence de réduire de plus en plus la souveraineté du peuple. Les CSP+ font et défont les élus car les CSP- (le moins n’étant pas dans notre otique dévalorisant) refusent de plus en plus de participer aux élections.
Etiage à gauche, extrême-centre macroniste délégitimé, maintien à droite, recul du RN et de LFI
La comparaison entre 2017 et 2021 montre que 73 % des électeurs du parti RN de 2017 n’ont pas confirmé leur vote et que 67 % des électeurs du mouvement LFI ont fait de même. Le phénomène se vérifie, mais dans une moindre mesure, pour les autres partis. Le recul du RN est en partie dû à un recul parmi les ouvriers et les employés. LREM, le mouvement de Macron, subit une belle claque, pire que la gifle physique, en ne recueillant que 3 % des inscrits. Cela confirme le défaut de légitimité même si stratégiquement l’équipe autour de Macron espère enjamber les élections locales. Le parti LR s’en sort bien en conservant sept régions métropolitaines en raison de son ancrage local au travers de ses élus et tire son épingle du « jeu » entre l’extrême centre macroniste et l’extrême droite grâce à l’abstention. Le PS se maintient pour les mêmes raisons en contrôlant cinq régions.
Les grands perdants sont principalement les mouvements nationaux sans réelles implantions locales et qui se sont constitués autour de leaders : Macron pour LREM et Mélenchon pour LFI. LFI subit un échec cuisant avec 19 conseillers régionaux élus et, de plus, n’attirerait guère que 4,5 à 8 % des intentions pour 2022 (10 % avec les 2 % des voix du PCF).
Union de la Gauche : oui mais pas sans clarification
L’analyse des résultats, comme le montrent les suffrages obtenus dans les Hauts-de-France, une Union de la Gauche sans contenu et sans clarification sociale, comme l’affirme J-L Mélenchon qui, pour le coup, a raison, conduisent à un désastre et à une impasse pour le mouvement social. Clairement, déjà en 2017, le cumul des voix donnait à gauche 28 % (19,8 % pour Mélenchon avec le soutien du PCF, 6 % pour le PS et EELV). Ce ne sera guère mieux en 2022….
Sur l’abstention des couches populaires
Retrouver un enracinement social – Notre réseau s’articule autour de la lutte des classes, de la laïcité, de l’écologie. Une campagne d’explication s’impose dès septembre avec l’organisation de débat démocratique à gauche pour sortir de l’archipélisation de la société et de la gauche, pour recréer du lien social et donner du contenu et du sens à une éventuelle Union de la Gauche. Un discours authentiquement de gauche, c’est-à-dire visant la transformation sociale, écologique et démocratique dans un cadre laïque, est insuffisant s’il n’est pas enraciné dans le peuple.
Il appartient à des réseaux tel que le nôtre de réaliser ce travail que les partis ne font plus.
Ségrégation spatiale et sociale – Une analyse sur les liens de causalité entre le secteur d’habitation et les votes ou le taux d’abstention s’avère nécessaire en tant que symptôme de la ségrégation spatiale. Une telle étude est amorcée à Strasbourg.
Gestion du Covid – L’analyse des conséquences et du mode de gestion du Covid est encore à faire. La France a subi plus de morts que l’Italie, ce qui confirme le mauvais état de notre pays. On pointe notamment les jeunes qui ont abandonné les études au collège et au lycée. Les paroles politiques au plus niveau et même scientifiques ont été décrédibilisées et la confiance ruinée.
Démocratie représentative : un oxymore ?
Les interventions des participants mettent en évidence l’oxymore que recèle l’expression « démocratie représentative » qui permet à l’oligarchie de conserver le pouvoir, de cliver la population et qui génère de la violence car il y a des gagnants et des perdants. Débattre de l’organisation du pouvoir est indispensable. Une représentation des mouvements politiques plus « équitable » au parlement et à tous les niveaux, l’introduction de la proportionnalité, la mise en œuvre du RIC (référendum d’initiative citoyenne) s’imposent. Parler d’offre politique revient à choisir entre « plusieurs marchands d’oranges » et certains se refusent à entrer dans ce jeu.
Trahison de la volonté populaire par la majorité des élus
Les diverses trahisons – tournant austéritaire en 1983, non prise en compte du vote du peuple en 2005 contre le Traité constitutionnel européen, contre la fusion du Haut-Rhin et Bas-Rhin en 2013… – expliquent le renoncement de certains à se déplacer pour voter. Les diverses réformes territoriales aboutissant aux grandes régions, aux grandes métropoles, aux Communautés urbaines et d’agglomérations rendent illisibles les compétences des uns et des autres. L’hypertrophie de l’exécutif par rapport aux assemblées délibératives donne le sentiment que seule la présidentielle compte.
Influence des sondages
On souligne le rôle pervers de sondages qui fournissent des résultats à l’avance, donnant l’impression que ce n’est plus la peine de se rendre dans les bureaux de vote. Ces sondages multiples poussent les hommes et femmes politiques à ne plus présenter et construire des projets originaux mais à se conformer aux grandes tendances de l’opinion. A des nuances près, les programmes se ressemblent.
Quelles perspectives ? Que faire ?
Il faut agir pour créer un bloc historique de gauche à partir des couches populaires ouvriers et employés, soit 50 % de la population, bloc élargi aux couches moyennes soit, potentiellement, 30 % supplémentaires.
Une éducation ou formation historique s’impose pour que l’envie ou la naïveté de s’en remettre à un homme ou une femme providentiel comme solution aux problèmes actuels ne domine pas les débats. Quelles sont les raisons profondes des grands événements populaires, de la Révolution française aux lendemains de le Seconde Guerre mondiale avec le programme « Les Jours heureux » ? L’histoire nous apprend, contrairement aux idées dominantes, que ce ne sont pas les programmes, certes importants, qui imposent les transformations sociales, les réformes favorables au peuple et à l’intérêt général. Les intervenants développent les exemples suivants :
Les grandes idées des Lumières, même si elles ont préparé les esprits, ne furent pas les déclencheurs de la Révolution française mais le besoin de finances de Louis XVI obligé de convoquer les Etats généraux. Les députés ont alors estimé qui si on vote des impôts, il faut savoir ce qu’on fait de l’argent récolté. La prise de la Bastille par le peuple parisien fut un événement majeur.
Le Parti bolchévique ne fut pas le déclencheur de la Révolution russe mais bien la grande manifestation des femmes des quartiers populaires.
Les grandes avancées sociales tels que les 40 heures et les 15 jours de congés annuels payés ne figuraient pas dans le programme du Front populaire et furent imposées par la grande grève qui a suivi la victoire électorale du Front populaire, grande grève qui a créé un rapport de force favorable au peuple.
Les avancées issues de la Résistance et du programme du CNR au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Sécurité sociale, services publiques libérées du marché, nationalisations sont le résultat de l’implication des couches populaires contre l’occupant et de la décrédibilisation d’une grande partie du patronat français pour cause de collaboration.
La taxation punitive des carburants pénalisant principalement les couches populaires et moyennes fut le déclencheur du mouvement des « Gilets jaunes » qui ne trouva aucun débouché politique ou syndical sérieux. Cela aurait pu être l’amorce de la formation du « bloc historique » que nous évoquons…
Partir du réel pour aller vers l’idéal
La bataille pour l’hégémonie culturelle favorable au peuple, aux couches populaires, au bien public, à l’intérêt général humain ne se gagnera qu’en s’impliquant aux côtés des populations pour les services publics comme la Poste, la Sécurité sociale, les écoles, collèges, lycées publics et au-delà.
RESPUBLICA, 5 juillet 2021