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Élection de Lula : tremblement de terre politique en Amérique du Sud ?

Dimanche le 27 octobre dernier, le peuple brésilien est descendu spontanément dans la rue pour fêter une rupture et une victoire historiques. Dans une élection dont on dit qu’elle est la plus importante en Amérique latine depuis celle du socialiste Salvador Allende au Chili, en 1970, 61,27 % des voies sont allés à Luis Inácio Lula da Silva, le candidat ouvrier du Parti des Travailleurs. Lula, un syndicaliste de longue date, symbolise le rejet sans équivoque d’un libéralisme économique qui a mis à mal le Brésil et l’ensemble de la planète depuis deux décennies.

Cette élection représente à la fois le rejet d’un projet jugé anti-social, mais aussi l’affirmation qu’un projet est jugé prêt par la population. Un mot est sur toutes les lèvres : espérance. Espérance, mais aussi peur de la déception. Il est certain que le président syndicaliste affrontera des résistances énormes au plan national pour l’empêcher de mettre en oeuvre son programme. C’est toutefois au niveau international que le chantage sera le plus puissant. Voyons rapidement l’importance de cette élection et, notamment, son impact sur les négociations de la Zone de Libre-Echange des Amériques (ZLEA ou ALCA) ainsi que sur la militarisation de l’ensemble du continent désirée par Washington.

Rejet massif du néolibéralisme

L’élection brésilienne de 2002 était fondamentale, autant pour le pays que pour l’ensemble de l’Amérique latine. En clair, ceux et celles qui ont voté pour Lula ont vu en lui le candidat d’un changement réel. Après avoir vu le Brésil passer d’une dictature militaire (1964-1985) à une dictature économique, la population désire, avec le candidat du PT, obtenir la véritable démocratisation du pays.

Un quatrième échec électoral en autant de tentatives aurait été catastrophique pour Lula et pour les forces du changement qu’il incarne : une victoire claire amorce quant à elle une nouvelle dynamique en affirmant qu’un autre projet est crédible. Lula à la présidence, c’est l’envoi d’un message qui va dans le sens de la reconstruction nationale d’un pays qui a perdu tout projet national de développement autre que celui du respect du Programme d’ajustement structurel défini par les technocrates du Fonds monétaire international.

Sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), le gouvernement du Brésil a appliqué la médecine de cheval néolibérale, il a privatisé en vitesse la plupart des grandes entreprises d’Etat. Ces sociétés d’Etat stratégiques pour l’élaboration d’un projet de développement national furent rapidement rachetées à rabais par de grandes firmes multinationales.

Lors de la période, le pays a aussi ouvert son économie à l’importation de produits étrangers, ce qui s’est rapidement traduit par un accroissement du chômage, une désarticulation de la production et des reculs historiques des droits des travailleurs. Plus que tout, Cardoso a dé-nationalisé l’économie brésilienne et l’a rendu vulnérable aux attaques des grands investisseurs internationaux, comme l’a démontré la crise financière prolongée depuis 1999.

Tel est donc le contexte très restreignant dans lequel Lula s’est fait élire... Force est de constater que « détricotter » un tel héritage ne se fera pas du jour au lendemain. Entre, d’une part, les besoins urgents d’une portion croissante de la population qui vit dans la misère - 50 millions de BrésilienNEs survivent avec moins de 60 $ US... par mois - et, d’autre part, les pressions des milieux d’affaires et des investisseurs internationaux, Lula dispose d’une marge de manoeuvre bien faible pour changer rapidement l’ordre des choses.

L’impact de l’élection hors-Brésil

Contradictoirement, c’est sans doute en dehors du Brésil que l’élection de Lula aura les impacts les plus clairs, principalement en Amérique latine. Alors même que s’amorce un sprint "états-unien" pour accélérer les négociations de la ZLEA, l’arrivée du Parti des Travailleurs brouille les cartes. Bien que Lula n’ait pas exclu clairement la signature de la ZLEA, il est clair que les conditions des négociations ont changé par rapport au gouvernement brésilien antérieur.

Historiquement, le Parti des Travailleurs du Brésil et, surtout, les forces sociales qu’il représente, ont toujours constitué un frein à l’expansionnisme de Washington en Amérique du Sud. Ce frein s’appliquera ici sur le plan commercial et militaire. Au niveau commercial, le gouvernement de Lula a l’intention de prioriser la création d’un bloc économique fort en Amérique du Sud. Ce pôle régional se constituerait par l’expansion du Maché commun du cône sud (Mercosul) dans le but de freiner la ZLEA.

Le Brésil de Lula rejettera-t-il ou non la ZLEA ? Rappelons que lors d’un référendum populaire, au début de septembre, 10 millions de BrésilienNEs s’étaient opposé à plus de 98 % à la signature de cet accord. Dans les conditions actuelles, le rejet en bloc la ZLEA ainsi que le fait de prendre part activement aux négociations seraient tout simplement suicidaires pour le gouvernement du PT.

L’hypothèse la plus probable, c’est que le Brésil fasse ce qu’aucun président n’a osé faire : regrouper les pays d’Amérique latine qui flairent l’entourloupe et tenter de négocier collectivement contre Washington. En clair, Lula risque de poser des conditions totalement inacceptables pour George Bush et ainsi démontrer clairement que la mauvaise volonté se situe du côté américain.

L’affrontement le plus marqué sera toutefois lié à la militarisation des Amériques. En termes militaires, Lula défendra jalousement la souveraineté nationale du Brésil. Alors que l’actuel président Cardoso a fait un chèque en blanc à Washington, Lula entend bien contrer les volontés d’expansion militaire des États-Unis en Amazonie. Depuis la fin des années 1990, l’armée états-unienne accroît sa présence dans la région en utilisant le principe fallacieux : la lutte contre la drogue. En plus de la présence militaire dans les principaux pays producteurs (Pérou, Équateur et, surtout, la Colombie où une véritable guerre est amorcée avec le Plan Colombie), Washington exite du Brésil qu’il lui cède l’accès inconditionnel à la base aérospaciale de Alcântara, dans le Nord du pays.

Tant en termes commerciaux qu’en matière militaire, l’arrivée de Lula à Brasà­lia ouvre la porte à la création d’une nouvelle dynamique dans les relations interaméricaines. Ce que craint toutefois Washington, c’est de voir les forces du changement prendre le pouvoir dans d’autres pays de la région : c’est le fameux effet domino qui a « justifié » la guerre au Vietnam et de nombreux coups d’Etat appuyés et/ou organisés par les États-Unis. Le peuple brésilien a encore en mémoire le coup d’État qui, avec la bénédiction enthousiaste de Washington, a porté les militaires au pouvoir...

Quand le marché nuit à la démocratie...

Les élections qui ont porté Lula à la présidence démontrent on ne peut plus clairement que l’économie de marché néolibérale n’est pas garante de la démocratie. Bien au contraire, alors même que la campagne faisait rage, les marchés internationaux ont, par leurs manoeuvres financières, tout fait pour discréditer Lula et mettre une pression maximale sur ce dernier afin qu’il assure la continuité du modèle de développement actuel. La monnaie nationale, le réal, a ainsi perdu le quart de sa valeur lors des 6 derniers mois de campagne.

Le gouvernement du Parti des Travailleurs fait donc face à des défis majeurs et sera victime du chantage continuel des marchés ne voulant pas reconnaître le résultat des urnes. Comment agira Lula ? Pourra-t-il doubler le salaire minimum en 4 ans comme il l’entend ? En aura-t-il les marges de manoeuvre politiques et financières ? Les investisseurs internationaux quitteront-ils le Brésil comme en 1999 ou encore comme ce fut le cas en Argentine ? Les alliances avec des partis du centre handicaperont-ils le Parti des Travailleurs ?

La seule certitude que l’on puisse avoir, c’est que la « société civile » brésilienne a des attentes énormes face à Lula. Des mouvements tels que celui des Sans Terre (MST), qui compte près d’un million de membres, n’ont certes pas donné carte blanche au nouveau président et attendent des résultats très rapides...

Un double étau se met donc en oeuvre pour pressuriser le gouvernement de Lula : à droite, la haute et gourmande finance internationale et, à gauche, des groupes sociaux progressistes dont les attentes sont démesurées avec la faillite technique du Brésil... L’avenir dira si cette élection était réellement un véritable tremblement de terre politique ou si, au contraire, il ne s’agissait que d’un autre espoir trahi.

Auteur : Richard Fecteau, jeudi 31 octobre 2002, tiré de http://quebec.indymedia.org

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