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Dominique Lormier. Les 100 000 collabos. Le fichier interdit de la collaboration française. (2)

De nombreux Français ont travaillé pour les divers services de sécurité allemands. La Gestapo comportait en ses rangs 6 000 agents français (2 500 Allemands) et 24 000 informateurs. Durant la même période, la Résistance compta 150 000 membres permanents et 300 000 occasionnels. Parmi les aides de la Gestapo, on relève le parcours invraisemblable d’Henri Barbé. Ouvrier métallurgiste, il adhère à 15 ans aux Jeunesses socialistes. Partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale, il opte pour le Parti communiste. En 1926, il succède à Jacques Doriot comme secrétaire général des Jeunesses communistes, avant d’accéder au Bureau politique en 1927. En 1929, il remplace Pierre Sémard à la tête du PCF, dans une équipe qui comprend également Maurice Thorez et Pierre Célor. En 1931, il est mis en cause au cours d’une réunion du Bureau politique auquel participe le représentant de Moscou, Manouilsky. Accusé de fractionnisme, il est éliminé du BP (et remplacé par Thorez). Il est rétrogradé au poste de secrétaire du rayon de Saint-Ouen. Exclu du PCF en 1934, il rejoint Jacques Doriot et fonde avec lui le PPF dont il est secrétaire général de 1936 à 1939. Il rejoint le RNP de Marcel Déat. Condamné aux travaux forcés à la Libération, il est libéré fin 1949. Il participe alors à la revue anticommuniste Est-Ouest. Il meurt en 1966. Dès l’été 1941, il était devenu l’agent personnel de Karl Bömelburg, chef de la Gestapo à Paris. En 1943, les nazis l’aident à installer Radio-Vérité où il propage ses idées fascistes.

Une des figures les plus abjectes de la collaboration fut certainement Henri Chamberlin dit Henri Lafont. Issu d’un milieu populaire, il est condamné, adolescent, à la maison de correction. En 1930, il est proxénète et indicateur de police à Marseille. En 1940, il est condamné pour insoumission. Au début de l’Occupation, il fonde un bureau d’achats pour le compte de la Wehrmacht. Il recrute ses premiers hommes de main parmi les détenus de Fresnes. Il obtient la nationalité allemande avec le grade de capitaine. Il livre à la Gestapo Otto Lambrecht, un des chefs de la Résistance belge. Il le torture de ses propres mains. 600 membres du réseau tombent. Il est rapidement secondé par le « premier policier de France » Pierre Bonny (qui avait été chassé de la police en 1935 pour trafic d’influence et détournement de fonds). Lafont pille des œuvres d’art appartenant à des familles juives. En août 1944 cache son trésor de guerre estimé à 200 millions de francs (un instituteur gagnait environ 1 000 francs par mois). Il se réfugie en Espagne. Il se rend sans résister le 30 août. Bonny et Lafont sont condamnés à mort. Au moment de mourir, Lafont déclare à son avocate : « Je ne regrette rien, quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça se paie ! Dites à mon fils qu’il ne faut jamais fréquenter les caves ». Il tombe sous les balles du peloton d’exécution la cigarette aux lèvres. Il n’est pas exclu que la French Connection ait été financée par l’argent de la bande Lafont-Bonny.

Jean-Paul Lien fut un bel exemple de résistant retourné par les nazis. Agent de la SNCF, il fait la connaissance en novembre 1940. Il est arrêté le 2 novembre 1941. Il accepte de travailler pour les nazis et leur donne des renseignements sur Frenay et Bertie Albrecht qui se suicidera par pendaison dans le quartier des droits communs de la prison de Fresnes. La collaboration de Lien débouchera sur l’exécution de 420 résistants. Le 20 juillet 1946, Lien est condamné à mort et fusillé le 30 octobre.

20 000 Français se sont battus sous uniformes allemands contre les Soviétiques. Une loi votée le 22 juillet 1943 les y autorisait. Ce fut le cas de nombreux membres de la LVF endossant l’uniforme de la Waffen-SS. Pour eux, il n’y a plus qu’un ennemi : le bolchevisme. Ces hommes placent très haut « la discipline, le sens du sacrifice, le mépris de la mort ». L’Internationale SS compte 600 000 non Allemands. L’un d’entre eux écrit : « Je veux rompre avec le monde bourgeois qui m’entoure, celui de ma famille. Je crois au mythe de la révolution fasciste. Cet engagement est pour moi une rupture avec le monde ancien ». Pour un autre, « Le maréchal Pétain entretient notre esprit dans une mentalité de vaincus. Cela devient insupportable. Je découvre en ville des affiches d’une grande beauté esthétique appelant à s’engager. On ne pourra pas me reprocher d’être un opportuniste : la guerre semble être perdue par l’Allemagne. Je m’engage en 1944 dans cette nouvelle chevalerie du Graal. »

Des mouvements hostiles à la République française vont prendre le train nazi en marche. C’est le cas des 600 à 3 000 (selon les sources) autonomistes bretons. Certains rejoignent même la Gestapo allemande sous le nom de Kommando de Landerneau. Issu d’une famille catholique d’extrême droite (Parti social français), Edouard Leclerc, le fondateur des supermarchés, fut emprisonné six mois après avoir été accusé d’avoir donné plusieurs noms d’habitants de Landerneau. Il bénéficiera d’un non-lieu en février 1945.

Les supplétifs français dans la traque aux Juifs furent nombreux (1 200 personnes à Paris) et organisés sous l’égide de Xavier Vallat puis Louis Darquier de Pellepoix qui dirigèrent le Commissariat général aux questions juives dont l’une des fonctions était d’aryaniser les biens des Juifs dénoncés aux Allemands. Alphonse de Châteaubriant (rien à voir avec le grand écrivain) rallia à sa suite 42 000 individus dans le Groupe collaboration avant de mourir dans un monastère du Tyrol. Marc Augier, père du journaliste-animateur Sylvain Augier, anima les jeunes du Groupe collaboration. Avant la guerre, proche de Léo Lagrange, il avait organisé le mouvement des Auberges de jeunesse et avait été l’ami de la communiste Danièle Casanova. Il s’engagea dans la LVF, passa par Sigmaringen avant de se réfugier en Amérique latine et d’apprendre le ski à Evita Peron. Sous le pseudonyme de Saint-Loup, il écrivit de nombreux ouvrages, dont certains consacrés aux SS, et rata de peu le Goncourt, juste avant qu’on ne découvre qui il était vraiment. À noter également le Parti national français collectiviste de Pierre Clémenti et Robert Hersant, futur magnat de la presse française (Le Figaro, La Voix du Nord, quotidien d’abord résistant et socialiste), cinq fois réélu député sous cinq étiquettes différentes que le pompidolisme et le giscardisme couvrirent d’honneurs et de subsides.

Et puis il y a la collaboration économique dont l’auteur déplore qu’elle soit survolée dans ce fichier (245 noms seulement). Cela dit « 100% de l’industrie aéronautique, 100% de la grosse forge, 80% des bâtiments des travaux publics, 60% de l’industrie du caoutchouc produisent à destination de l’Allemagne. » Louis Renault (que ses ayants droit ont longtemps tenté de faire réhabiliter) fournit 34 000 véhicules à l’armée allemande. Très peu de dirigeants économiques seront condamnés à la Libération. On note l’exception de 23 des 48 grandes maisons de négoce de vin de Bordeaux. Il faut évoquer la contiguïté quasi incestueuse de mouvements fascistes menés par Eugène Deloncle (CSAR, OSAR, Cagoule) avec les parfumeurs de L’Oréal d’Eugène Schueller, le père de Liliane Bettencourt. Monsavon finança la LVF. Mais le petit enfant de la publicité pour Bébé Cadum était un Juif, français d’origine roumaine, déchu de sa nationalité, qui rejoignit la Résistance !

Le fichier des collaborateurs compte 82 148 hommes et 14 344 Femmes. L’aristocratie française y est surreprésentée (1 357 entrées). Mais assurément pas la haute Fonction publique, les corps constitués en général. En revanche, on trouve en pagaille des petits commerçants, des instituteurs, des curés de campagne, des artisans.

Bernard GENSANE

Paris : Le Cherche Midi, 2017.

1ère Partie : https://www.legrandsoir.info/dominique-lormier-les-100-000-collabos-le-fichier-interdit-de-la-collaboration-francaise-1.html

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