« Le temps est révolu où l’on pouvait se permettre de ne penser qu’à soi, qu’à sa communauté restreinte. Désormais, il nous est impossible d’ignorer tout ce qui nous lie et les responsabilités que cela suppose. Nous sommes plus de six milliards sur Terre, et il n’y aura pas de développement durable si nous ne parvenons pas à vivre ensemble ».
Yann Arthus Bertrand (6 Millions d’autres)
Cette phrase de bon sens de l’explorateur des extrêmes, Yann Arthus Bertrand, est en fait un voeu pieux. Toutes les hypothèses montrent que nous allons vers un monde de plus en plus incertain. Un monde de Hobbes : « Homo lupus homo », « l’homme est un loup pour l’homme ». Nous allons montrer que l’homme est un prédateur qui ne sait pas s’arrêter.
Etat des lieux de la planète
Si on pouvait réduire la population de la terre à un « village planétaire » d’exactement 100 personnes, en conservant tous les ratios humains, cela ressemblerait à ça : 60 Asiatiques (dont 20 Chinois et 17 Indiens), 14 Américains (Nord et Sud), 13 Africains, 12 Européens et un demi Océanien. 52 femmes, 48 hommes, 70 non-blancs et 30 blancs, 48 vivent dans le village, 52 sont éparpillés dans la campagne.(1)
En 2000, les USA/Canada consommaient 2,555 milliards de tep/an pour 302 millions d’habitants soit 8 tep/hab/an. L’Europe de l’Ouest, 1, 6 milliard de tep pour 385 millions d’habitants soit 4,31 tep/hab/an. La Chine 1,23 milliard de tep/an pour 1,26 milliard d’habitants soit 0,98 tep/hab/an ! Enfin, l’Afrique consomme 480 millions de tep/an pour 760 millions d’habitants soit 0,6 tep/hab/an.
6 personnes possèdent 59% de la richesse mondiale, tous les 6 sont des États-Unis. 50 habitants du village vivent avec 2 dollars par jour. 25 vivent avec 1 dollar par jour. 15 produisent plus de la moitié des rejets de CO2 du village. 25 consomment trois quarts de l’énergie totale, les 75 autres consomment eux, le dernier quart de l’énergie. 17 n’ont ni services médicaux, ni abri adéquat, ni eau potable. 50 souffrent de malnutrition, 70 sont analphabètes, 80 personnes vivent dans un logement de mauvaise qualité, 20 contrôlent 86% du PNB et 74% des lignes téléphoniques. 11 habitants utilisent une voiture et sans doute 20 d’ici 20 ans. 20 disposent de 87% des véhicules et de 84% du papier utilisé. 9 ont accès à l’Internet. 1 (oui, seulement 1) à un niveau d’études universitaire. 1 meurt et 2,3 enfants naissent chaque année.
Et en 2030 ?
Justement, le « village planétaire » comptera 135 habitants en 2030. Même si nous ne pouvons prédire des événements futurs précis, il est tout à fait possible d’identifier les tendances et les développements à venir susceptibles d’avoir un impact important sur notre futur. Le passé et le présent ne peuvent être modifiés. Seul le futur est malléable. En 2030, malgré toutes les études concernant les changements climatiques, les scénarii de l’Agence internationale de l’énergie du Conseil mondial de l’énergie prévoient que les énergies fossiles continueront à dominer le bilan énergétique. La part des énergies renouvelables ne dépassera pas les 10%. On prévoit un retour du charbon et du nucléaire ! Malgré ses inconvénients, il continuera à faire partie des bilans énergétiques de beaucoup de pays industrialisés, malgré, en définitive, « la fausse émotion après Fukushima ». Mieux encore, le parc de voitures qui est actuellement de 800 millions de voitures dont le 1/3 est aux Etats-Unis, doublera à cette échéance. L’Américain qui est responsable de l’envoi dans l’atmosphère de 20 tonnes de CO2 contre 900 kg en Inde et beaucoup moins en Afrique. Pour rappel, en moyenne les 6,5 milliards de Terriens envoient dans l’espace 25 milliards de tonnes de CO2. En Algérie nous sommes responsables de près de 100 millions de tonnes annuellement. C’est beaucoup pour ce que nous en faisons.
En 2030, le groupe des cinq plus grosses économies de la planète sera, quoi qu’il en soit, constitué par les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Inde et l’Allemagne. La pression sur les sources d’énergie sera encore plus forte qu’aujourd’hui. Le pétrole restera l’énergie la plus demandée et représentera comme aujourd’hui 35% de la consommation totale d’énergie. Celle du charbon croîtra dans des pays émergents comme l’Inde ou la Chine, qui utilisent ce minerai. L’énergie nucléaire déclinera en Europe mais pas en Asie ; la Chine compte installer plus de 50.000 MWe La hausse des températures et la baisse de la pluviométrie concerneront surtout les régions arides et semi-arides comme le Moyen-Orient, la Corne de l’Afrique, l’Afrique du Nord, le sud de l’Afrique, le nord-ouest de la Chine et l’Asie centrale. Si tout le monde consommait comme un Américain, il nous faudrait 5 planètes ! Chaque année nous dépassons le « overshoot day », le jour du dépassement, plus tôt dans l’année en 2010 c’était le 20 août, en 2011 c’est dans 15 jours... C’est-à -dire que nous avons consommé en sept mois et 10 jours ce que Dame Nature dans son infinie bonté a mis à notre disposition pour une année ! Nous vivons donc en « sur-régime » par rapport aux ressources de la planète. C’est comme si on avait actuellement 1,3 planète ! Ce crédit nous allons le payer en perturbations climatiques. De ce fait, nous mettons gravement en péril les générations futures. Leur avenir se décide ici et maintenant, car nous n’avons pas de planètes de rechange.
Pour Ray Hammond Six facteurs majeurs de changement façonneront le monde en 2030 : il y a d’abord l’explosion de la démographie mondiale et les modifications de démographies sociétales. Les changements climatiques et environnementaux, la crise énergétique à venir, la globalisation croissante, l’accélération du développement exponentiel de la technologie. Bien d’autres facteurs influeront sur la vie humaine et la société dans les pays développés et les pays en voie de développement d’ici un quart de siècle, mais ces six facteurs sont de loin ceux qui auront l’impact le plus déterminant. (2)
On le voit, l’auteur pense que la mondialisation sera toujours là , nous n’en sommes pas convaincus. Tout est structuré par l’énergie, certes, il y aura du pétrole, il sera cher, tout le monde ne pourra pas se le permettre, il pourra même être arraché par la force. Justement, les guerres vont structurer durablement le paysage planétaire. S’y ajouteront les conflits de civilisation savamment entretenus par une mondialisation -laminoir qui continuera à broyer les identités et les spiritualités ; ce sera la guerre de tous contre tous. Une nouvelle humanité d’esclaves permettra aux empires (occidental, et asiatique) de se faire la guerre par peuples faibles interposés. Trois types de guerres vont structurer le futur, les guerres pour les matières premières, les guerres pour l’eau et les guerres pour la nourriture dans un environnement climatique de plus en plus hostile. En 2030, le monde sera plus interdépendant et plus interconnecté. Les bienfaits ne profiteront qu’aux pays avancés. De plus, le monde sera encore plus inégal donc, potentiellement plus instable et plus conflictuel. L’inégalité dans la distribution de la richesse continuera de se creuser. La religion restera un facteur important dans les comportements et les attitudes sociales mais son impact sur la vie publique ne devrait pas beaucoup changer. L’Afrique et le Moyen-Orient vont demeurer des régions d’instabilité chronique à l’horizon 2025-2030, avec de nombreux risques d’exacerbation du fait des évolutions démographiques, climatologiques et économiques. Le Produit intérieur brut de la Chine devrait tripler d’ici à 2025-2030. L’Inde deviendra la quatrième puissance économique mondiale. La fin du pétrole bon marché est avérée. Le baril à trois cents dollars n’est plus un mythe. Le Nord pompe à tour de bras depuis près de cent cinquante ans, et le Sud aspire logiquement à le rejoindre. Le problème pour les pays industrialisés est de convaincre les Indiens et les Chinois que leur niveau de vie va s’arrêter à 1500 dollars par habitant, pendant que eux, les riches, sont à 30.000 dollars. Qui se soucie en fait, des populations les plus vulnérables, de celles qui, par centaines de millions, seront les premières victimes d’un pétrole toujours plus cher, qu’elles ne pourront plus s’offrir ? Qui se soucie des futurs réfugiés écologiques ; après avoir connu les réfugiés politiques, puis les réfugiés économiques ; voici venir le temps des réfugiés écologiques.
Comment se préparent les pays à ce rendez-vous avec l’inconnu ?
La dépendance de l’Occident envers les importations d’énergie augmente. Les importations, dont certaines sont en provenance de régions menacées d’insécurité, pourraient passer de 50% aujourd’hui à 70% dans 20 ans. La demande mondiale d’énergie augmente, surtout la demande des pays d’Asie en très forte croissance (Chine, Inde...). Les prix du pétrole et du gaz sont en hausse, et devraient se maintenir à des niveaux élevés. Le pic pétrolier est dépassé. Les réserves en uranium ne sont pas infinies. Elles se situent autour d’une soixantaine d’années, compte tenu des consommations et des réserves connues actuelles. Il existe un risque de changement climatique, si l’on ne développe pas des énergies alternatives aux énergies fossiles. Le livre vert indique que des investissements en capacités de production d’énergie pour les vingt prochaines années sont de l’ordre de 1000 milliards d’euros, en Europe, pour faire face au vieillissement des infrastructures.
Préparer la France à vivre avec quelques degrés de plus, voilà l’objectif de ce plan sur 5 ans, premier du genre en Europe. Pour anticiper les effets inéluctables du réchauffement climatique prévu d’ici la fin du siècle, la France va se doter d’un plan national d’adaptation décliné en plus de 230 mesures et présenté par la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet. « Le changement climatique ne faisant aucun doute, l’incertitude qui plane encore sur son ampleur ne doit pas empêcher l’action ». Hausse des températures, sécheresses plus intenses et plus fréquentes, baisse des précipitations estivales ou encore fonte des glaciers sont attendues dans les prochaines décennies. Pour le seul exemple de l’eau, le plan reprend l’idée d’une réduction de la consommation de 20% d’ici 2020, par des aides pour récupérer l’eau de pluie, réutiliser les eaux usées traitées, ou encore mieux détecter les fuites sur les réseaux d’approvisionnement en eau potable. Ces dernières sont actuellement responsables de 25% des pertes de ce précieux élément naturel. (3)
L’eau est un élément majeur dans la vie, son utilisation est variable. Les estimations, quant à la quantité d’eau nécessaire pour l’agriculture US, sont données par le professeur Pimentel, de l’Université de Cornell pour 1 kilo de pommes de terre : 500 litres d’eau, pour 1 kilo de blé : 900 litres d’eau, pour 1 kilo de fourrage : 1000 litres d’eau, pour 1 kilo de maïs : 1500 litres d’eau, pour 1 kilo de riz : 1 900 litres d’eau, pour 1 kilo de soja : 2000 litres d’eau, pour 1 kilo de viande de boeuf : 100-300 litres d’eau. (4)
De même, s’agissant de l’énergie, la quantité de pétrole en litres est la suivante : prendre un bain par jour pendant un an nécessite 1180 litres. Chauffer un appartement de 80 m² pendant un an : 1600 l, parcourir 15.000 km en voiture (moyenne) : 1260 l, la production sous serre d’un kg de poivron, 0,6 l, la production d’un kg de poulet : 0,2 l, la production d’un kg d’agneau : 7,9 l, une paire de chaussures de sport de jogging : 6l, 1 litre de détergent en bouteille plastique : 0,5 l, 1 ramette de papier (500 feuilles, 80 g/m²) : 2,8 l, un pneu : 27 l, un ordinateur : 612 l, un voyage Alger-Paris : 1300 l, un kilomètre d’autoroute : 60 000 l. Les camions, les bateaux ou les avions ne polluent pas dans les mêmes proportions. Pour une tonne d’aliments transportée sur un kilomètre, un bateau émet entre 15 et 30 grammes de CO2, un camion entre 200 et 450 grammes et un avion entre 500 et 1 600 grammes. La pénurie inéluctable d’énergie imposera de consommer local. L’aviation sera un luxe.
Conclusion
Un réchauffement de 2°C d’ici la fin du siècle équivaudrait à un déplacement de près de 360 km vers le Nord : la plupart des ensembles forestiers sont incapables de migrer spontanément à cette vitesse virtuelle de 10 cm/jour. De plus, nous exploitons un « stock fini » de matières premières qui s’épuisera bientôt, croissance aidant. La pénurie nous guette, et plus vite qu’on ne le croit : dans trente ans, il ne restera plus de pétrole ; dans 60 ans, plus de gaz naturel ; avant la fin du siècle plus d’uranium. La seule solution c’est d’aller vers la sobriété énergétique en évitant tout ce qui est superflu et en revoyant fondamentalement le paradigme consommation d’énergie - niveau de vie.
La nature est la première victime de la gabegie des hommes. Beaucoup d’écosystèmes sont à l’agonie. L’homme s’autorise à prendre la place de tous les autres êtres vivants, qu’il considère comme n’ayant aucun intérêt si elles ne lui sont pas directement utiles. Alors il tue, il pollue, il saccage.
« Si l’humanité continue sur sa lancée, la Terre de 2030 ne ressemblera plus à grand-chose. Beaucoup d’espèces auront disparu. Les derniers animaux sauvages sont traqués et se cachent au plus profond des quelques vraies forêts qui restent. Nous serons plus de 9 milliards à exercer une pression toujours plus constante sur l’environnement. Peu importe que le CO2 produit par les véhicules soit un puissant gaz à effet de serre. Certes, il restera quelques zones sauvages au Canada, en Sibérie, en Antarctique. Le climat se dérègle, c’est désormais une évidence. La situation géopolitique est tendue. Certains pays en développement vont vouloir se hisser au rang des puissances occidentales. L’affrontement risque de devenir inévitable. Le fossé séparant les cultures pourrait être trop large pour que la paix et la sécurité soient préservées. Si les ressources manquaient, qui sera le premier servi ? (...) La montée en puissance de l’individualisme et du libéralisme sauvage est évidente. Que va devenir la solidarité au milieu de cette jungle qu’on nous construit. Les images des enfants mourant de faim à la télé ne nous choquent plus. Nous ne nous soucions pas de l’humanité en général ». (5)
Le drame est que rien ne semble arrêter la course mortelle à la croissance sans laquelle nos brillants économistes sont incapables d’échafauder la moindre perspective d’évolution vers un autre modèle économique. Et nous les citoyens, malgré les efforts de nos gestes écologiques dérisoires, emportés par ce maelström infernal, assisterons au désastre avec cet insupportable sentiment d’impuissance.
Les tensions de tous ordres et le désordre économique et social apparaîtront sans doute bien avant avec la disponibilité décroissante du pétrole que nous ne parviendrons pas à compenser en temps voulu par les autres sources d’énergies. Même en misant tout sur une substitution du pétrole par le charbon et ses dérivés liquides, même en ayant recours massivement au nucléaire avec tous les inconvénients créés par ces deux sources d’énergies, elles seront très insuffisantes pour compenser le déficit d’énergie laissé par le pétrole. Ne parlons pas des énergies dites renouvelables qui plafonneront autour de 10%, dans le meilleur des cas, d’ici à 2030. Nous n’aurons ni le temps ni les moyens financiers pour réussir une mutation nécessaire des infrastructures, le tout dans un climat de crise financière et de récession économique engendrée par le coût croissant et la réduction physique de l’énergie disponible. Et ceci sans compter avec la facture à payer des désordres écologiques et climatiques qui en résultera. Facture qui sera soldée en premier par les variables d’ajustement que sont les peuples harassés du Sud qui auront à combattre l’errance climatique et la faim.
Au lieu de l’appel de Yann Arthus Bertrand, la sentence de Lamarck en véritable visionnaire qui prévoyait, il y a deux siècles, le chaos à venir est d’une brûlante actualité : « L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement des moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce... » Triste sort pour l’humanité dans moins d’une génération !
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz