RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
97 
A Taïwan, demain (?), comme hier en Ukraine, franchir les lignes rouges, c’est choisir la guerre.

Des tireurs de ficelles contre la Chine

Le Parlement européen s’en prend à une résolution de l'ONU qui réglemente l'adhésion de la Chine à l'ONU. L'objectif est d'intégrer Taiwan dans les organisations de l'ONU. Le Parlement européen s’attaque ainsi à une ligne rouge de Pékin.

A l’initiative de politiciens allemands, le Parlement européen s’engage pour l’admission de Taiwan dans les organisations de l’ONU et attise les tensions autour de l’île avec le voyage actuel d’une délégation de parlementaires à Taipei. Taïwan doit être admise dans les organisations spécialisées de l’ONU comme l’OMS, peut-on lire dans une résolution adoptée la semaine dernière par le Parlement européen. La résolution s’oppose également à la résolution 2758 de l’ONU de 1971, qui exclut les représentants de Taïwan des Nations unies et de leurs organisations. Elle s’attaque ainsi frontalement au principe d’une seule Chine, considéré par Pékin comme une ligne rouge dont le non-respect entraînerait des réactions sévères - jusqu’à la guerre. La résolution a été initiée par des membres de l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC) - une organisation de lobbying active dans trois douzaines d’Etats, dont l’objectif déclaré est de s’opposer à la montée en puissance de la République populaire de Chine. L’IPAC a déjà lancé des résolutions similaires dans d’autres parlements. Un membre allemand de l’IPAC dirige actuellement le voyage d’une délégation du Parlement européen à Taiwan.

Un « partenaire clé » de l’UE

La semaine dernière déjà, le Parlement européen a adopté à une large majorité - 432 voix pour, 60 contre et 71 abstentions - une résolution qui se positionne fermement contre la Chine dans le conflit autour de Taiwan et demande des mesures susceptibles de soutenir la séparation de l’île du continent. Il est ainsi dit que Taïwan est un « partenaire clé » de l’UE avec lequel il faut coopérer plus étroitement à l’avenir. Il ne s’agit pas seulement d’envoyer des délégations de parlementaires à Taipei, mais d’entretenir des échanges plus intenses « à tous les niveaux », en particulier au niveau politique[1], ce qui devrait être complété par une large coopération dans les domaines de la science, de l’éducation, de la culture et du sport, par de nouveaux partenariats entre villes et régions ainsi que par une « coopération technique structurelle » avec les pompiers et la police taïwanais ; en outre, la Commission européenne devrait « immédiatement » lancer des négociations sur un accord bilatéral d’investissement. Mais il s’agit avant tout de s’engager pour une admission de Taiwan dans les organisations internationales, par exemple dans les organisations spéciales des Nations unies comme l’OMS et dans les associations intergouvernementales comme Interpol. Taïwan doit également être intégrée à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

La résolution 2758 de l’ONU

Pour justifier la demande d’intégration de Taïwan dans les organisations multinationales, le Parlement européen se réfère à la résolution 2758 des Nations unies du 25 octobre 1971. Jusqu’à cette date, Taïwan occupait, sous le nom de « République de Chine », la place de la Chine aux Nations unies, y compris au Conseil de sécurité. La résolution 2758 de l’Assemblée générale des Nations unies a changé la donne en déclarant qu’elle reconnaîtrait désormais les représentants de la République populaire de Chine comme « les seuls représentants légitimes de la Chine aux Nations unies » et qu’elle exclurait en conséquence les représentants de la « République de Chine »[2]. Afin d’indiquer clairement le passage à la non-reconnaissance de la « République de Chine », la résolution 2758 de l’ONU ne mentionnait plus que les « représentants de Tchang Kaï-chek », le dirigeant de Taipei de l’époque. En conséquence, depuis le 25 octobre 1971, Taïwan n’a plus droit à une représentation auprès des Nations unies et de ses organisations. Le Parlement européen affirme maintenant de manière mensongère - apparemment dans I‘intention de tirer prétexte du fait que la résolution 2758 n’utilise pas le mot "Taïwan" - que l’Assemblée générale des Nations unies n’a fait aucune déclaration sur le statut de l’île au sein des Nations unies. En se référant à la résolution, Pékin chercherait à « falsifier l’histoire et les règles internationales »[3].

Organisation de lobbying contre la Chine

L’année dernière, la Chambre des représentants américaine avait déjà suivi le plan visant à lancer une attaque globale contre la résolution 2758 de l’ONU à l’aide d’affirmations contraires à la vérité. Elle avait alors adopté une loi sur la solidarité internationale avec Taïwan qui, à l’instar de la résolution du Parlement européen, affirmait que la résolution 2758 des Nations unies ne faisait aucune référence à la représentation de Taïwan auprès des Nations unies et de ses organisations. Des résolutions similaires ont été adoptées par le Sénat australien le 21 août 2024 et par la deuxième chambre du Parlement néerlandais le 12 septembre 2024. Il faut s’attendre à d’autres résolutions parlementaires de ce type, car l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC) s’est saisie du sujet à l’été 2024.

L’IPAC a été fondée en juin 2020 à l’initiative, entre autres, du politicien vert allemand Reinhard Bütikofer ; l’un de ses objectifs déclarés est de s’opposer à la montée en puissance de la République populaire de Chine[4]. Elle rassemble environ 250 députés d’une quarantaine de parlements qui se concertent régulièrement sur de nouvelles mesures antichinoises. Cela permet de faire voter des résolutions contre Pékin en parallèle dans divers parlements et de donner ainsi l’impression qu’il existe un large mécontentement international à l’égard de la République populaire.

La « résolution modèle » de l’IPAC

Lors d’une réunion à Taipei fin juillet, l’IPAC a adopté une « résolution modèle » dans laquelle elle tente de réinterpréter la résolution 2758 de l’ONU en affirmant qu’elle ne s’oppose pas à l’adhésion de Taiwan « aux organisations internationales », y compris les organisations des Nations unies[5]. Elle plaide également pour que « les revendications justifiées de Taiwan demandant une participation plus approfondie aux agences des Nations unies et au-delà » soient soutenues de toutes ses forces. L’IPAC explique que deux membres de l’IPAC - le sénateur David Fawcett du parti libéral conservateur et la sénatrice Deborah O’Neill du parti travailliste - sont à l’origine de l’adoption de la résolution du Sénat australien mentionnée ci-dessus[6]. La résolution de la deuxième chambre du parlement néerlandais est, quant à elle, due à Jan Paternotte (Democraten 66), membre du parlement et de l’IPAC. Il en va de même pour la résolution du Parlement européen, à l’élaboration de laquelle, selon l’IPAC, des membres allemands de l’IPAC ont également participé de manière déterminante - notamment Engin Eroglu, qui siège au Parlement européen pour les Freie Wähler, et le député CDU Michael Gahler. Dans la résolution du Parlement européen, les éléments centraux de la « résolution modèle » de l’IPAC sont facilement identifiables.

« Explorer les possibilités de coopération »

M. Gahler, membre de l’IPAC, dirige actuellement une délégation du Parlement européen qui est arrivée dimanche à Taiwan pour une visite de six jours. Elle comprend entre autres le député Bernard Guetta, qui a été élu au Parlement européen pour le parti macroniste Renaissance. Le programme de la délégation prévoit des entretiens avec la vice-présidente Hsiao Bi-khim et le vice-ministre des Affaires étrangères François Wu, ainsi qu’une visite du Parlement taïwanais. L’objectif est de discuter du développement des relations économiques entre l’UE et Taïwan ainsi que de « la situation géopolitique » et « d’explorer les possibilités d’une future coopération »[7].

Lignes rouges

En faisant de l’admission de Taïwan dans les organisations de l’ONU un objectif et en commençant en même temps à ébranler le statut de l’île avec son attaque contre la résolution 2758 de l’ONU, le Parlement européen s’attaque à une ligne rouge bien connue de la République populaire de Chine. On sait depuis le 24 février 2022 ce qui peut arriver si l’on ne respecte pas les lignes rouges d’un Etat. On sait depuis fin octobre 1962 que l’on peut éviter la guerre si l’on respecte les lignes rouges ; l’Union soviétique s’était alors déclarée prête à renoncer à l’installation de missiles à Cuba qu’elle avait souhaitée initialement, afin de préserver la paix. En ce qui concerne les lignes rouges de la Chine concernant Taïwan, les pays occidentaux devront décider de la voie à suivre. En l’état actuel des choses, il n’est pas possible de faire les deux - franchir les lignes rouges tout en évitant une guerre.

german-foreign-policy.com

[1] Motion conjointe pour une résolution sur la mauvaise interprétation de la résolution 2758 des Nations unies par la République populaire de Chine et ses provocations militaires continues autour de Taiwan. europaparl.europa.eu 23.10.2024.
[2] Restauration des droits légitimes de la République populaire de Chine aux Nations unies. Résolution 2758 des Nations unies. 25.10.1971.
[3] Motion conjointe pour une résolution sur la mauvaise interprétation de la résolution 2758 des Nations unies par la République populaire de Chine et ses provocations militaires continues autour de Taiwan. europaparl.europa.eu 23.10.2024.
[4] Voir à ce sujet La guerre froide verte (un article sur german-foreign-policy.com).
[5] Initiative 2758. ipac.global.
[6] Le Parlement européen adopte la motion sur la résolution 2758 de l’ONU. ipac.global 24.10.2024.
[7] Des législateurs du Parlement européen arrivent à Taiwan pour une visite. taipeitimes.com 28.10.2024.

»» https://www.german-foreign-policy.com/news/detail/9737
URL de cet article 39971
   
ESPAGNE : un livre en plein dans le mille
Vladimir MARCIAC
Jean Ortiz a publié 90 articles sur le site Le Grand Soir. Son style impeccable, son cœur à fleur de clavier, son intelligence servant sa remarquable connaissance des dossiers qu’il traite, son humour, sa fougue, sa fidélité aux siens, c’est-à-dire aux guérilleros espagnols que le monde a laissé se faire écraser par un dictateur fasciste, le font apprécier par nos lecteurs (nos compteurs de lecture le disent). Il a en poche une carte du PCF qui rend imparfaitement compte de ce qu’est pour (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un lorsque son salaire lui impose de ne pas comprendre."

Sinclair Lewis
Prix Nobel de littérature

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.