D’après le journal colombien El Tiempo, 75% des Colombiens souhaitent un dialogue entre le gouvernement colombien et les guérillas. Et cela pour de bonnes raisons, la Colombie ayant été dévastée par plus de 50 années de conflit armé qui a coûté la vie à des centaines de milliers de civils (entre 50 et 250 mille d’entre eux ont « disparu ») ; qui a laissé plus de 5 millions de personnes déplacées (la population la plus importante de personnes déplacées dans le monde), et a donné un prétexte au gouvernement colombien, avec l’aide de ses alliés paramilitaires, pour effacer les organisations progressistes, y compris les syndicats, oeuvrant pour le changement social. A plus grande échelle, le conflit colombien a fourni un prétexte commode pour une intervention militaire américaine dans ce pays et toute la région, et a été le plus grand obstacle au rêve de l’intégration latino-américaine.
Il s’agit donc de nouvelles bienvenues et monumentales que le gouvernement colombien ait confirmées hier les rumeurs selon lesquelles il a signé un accord avec le plus grand groupe de guérilla, les FARC, pour entamer des pourparlers de paix, et qui devrait également inclure la guérilla de l’ELN dans ce processus de paix.
L’expérience a montré que de tels pourparlers de paix sont fragiles. La Colombie a connu un certain nombre de processus de paix, mais ils se sont tous mal terminés jusqu’à ce jour. Le processus de paix le plus notable a eu lieu dans les années 1980 quand les FARC ont convenu de mettre fin à l’insurrection armée en échange de la possibilité de participer à la vie politique colombienne à travers le parti de l’Union Patriotique (UP). Dans un grand acte de trahison, les escadrons de la mort colombiens militaires et paramilitaires ont répondu à cet accord par le meurtre d’environ 5.000 dirigeants et militants de l’UP, et les FARC ont repris les hostilités.
Cependant, ainsi que le rapporte le Miami Herald ce matin, les deux parties du conflit ont indiqué clairement qu’elles ne cesseront pas le conflit armé durant les pourparlers de paix, au contraire, les combats entre la guérilla et l’armée colombienne et de la police ont augmenté au cours des derniers mois. Plus troublant encore, le principal groupe non-violent appelant à des pourparlers de paix - Marche Patriotique - a été de plus en plus calomnié par le gouvernement colombien (de manière tout à fait mensongère) comme étant un partisan des FARC, et un certain nombre de dirigeants de la Marche Patriotique ont été menacés, emprisonnés, tués ou ont disparu avec une fréquence croissante. Et tandis que ces pourparlers de paix ont commencé, et que de telles attaques contre les militants pacifistes se sont multipliées, le gouvernement colombien a réduit de moitié le soutien pour les bénéficiaires de son programme de protection du gouvernement - un programme qui vise à protéger les militants pacifistes et sociaux de ces véritables attaques. En bref, il y a de nombreuses raisons d’être très prudents dans notre optimisme pour ces pourparlers.
En même temps, il y a des raisons d’espérer. Pour leur part, les FARC ont fait un pas important dans le sens de la paix plus tôt cette année, en renonçant à leur pratique de longue-date des enlèvements (un moyen de recueillir des fonds contre rançon). En ce qui concerne le gouvernement colombien, le Président Santos a fait preuve d’une plus grande ouverture face aux pourparlers de paix que son prédécesseur, Alvaro Uribe, et a été beaucoup plus modéré dans son discours au sujet de la guérilla colombienne et également au sujet de la non-violence de la gauche colombienne. Santos a même commencé un programme de réforme agraire qui vise à redonner la terre aux Colombiens (en particulier ceux de la communauté indigène et afro-colombienne), dont les terres ont été saisies illégalement pendant le conflit. Bien qu’il reste à voir quelle sera la réussite de ce programme, et alors que le programme a lui-même inspiré des groupes paramilitaires pour attaquer violemment ceux qui tentaient de reprendre les terres que les paramilitaires avaient saisies à tort pendant le conflit, l’ouverture est une question importante pour les guérilleros dont la demande première au cours des dernières décennies a été significativement la réforme agraire. Enfin, la croissance accélérée du mouvement pour la paix en Colombie, notamment à travers la mise en place de la Marche Patriotique, va apporter un soutien essentiel à ces pourparlers.
Comme d’habitude, la carte maîtresse est celle des États-Unis - le commanditaire financier de l’armée colombienne et l’auteur du programme anti-insurrectionnel en Colombie qui a débuté en 1962. La seule façon pour que le processus de paix soit couronné de succès réside dans le soutien des Etats-Unis pour ce processus ou, tout au moins, de sortir de cette voie pour lui permettre d’avancer et de se développer. Jusqu’à présent les Etats-Unis n’ont manifesté aucune volonté de soutenir la paix en Colombie, optant plutôt pour l’exploitation du conflit afin de conserver son dernier fronton militaire dans la région d’Amérique Latine - une région qui, au grand dam des Etats-Unis, se radicalise de plus en plus et se tourne vers la gauche. Un facteur clé dans le processus de paix, alors, serait un fort mouvement de citoyens américains qui soutiendrait les acteurs pacifiques, comme la Marche Patriotique en Colombie, afin d’exercer une pression politique sur le gouvernement américain pour permettre à la paix de s’épanouir en Colombie. Il s’agit d’une occasion capitale pour le Président Obama de finalement gagner son Prix Nobel de la Paix (3 ans après les faits) et nous devons l’encourager à saisir cette opportunité.
Comme note finale, le gouvernement cubain doit à nouveau être applaudi pour son rôle positif dans ce processus. Comme par le passé, Cuba a accueilli les premiers pourparlers qui ont conduit à l’ouverture de ce processus de paix et, avec la Norvège, continuera d’accueillir de telles négociations tout au long du processus. Cette petite île, fortement calomniée par notre gouvernement, continue de jouer son rôle positif dans notre hémisphère pour la paix, la stabilité régionale et la santé publique. Le scandale du maintien du blocus des Etats-Unis envers ce pays s’accroît chaque jour un peu plus, tandis que Cuba surpasse les États-Unis en termes de contributions dans le monde.
Daniel Kovalik
Daniel Kovalik est avocat des droits de l’Homme et du travail à Pittsburgh et enseigne le droit International à l’Université de Droit de Pittsburgh.
http://www.counterpunch.org/2012/08/28/peace-talks-begin-in-colombia/