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Face au dernier massacre israélien, la seule option pour le nationalisme palestinien est d’adopter la solution d’un seul état.

Depuis les cendres de Gaza

L’attaque de Gaza, planifiée depuis plus de six mois et exécutée au meilleur moment, visait largement, comme Neve Gordon l’a justement observé*[2], à aider les partis politiques israéliens pour gagner les prochaines élections. Les morts palestiniens ne sont guère plus que de la chair à élections dans une joute cynique entre la droite et l’extrême droite israélienne. Washington et ses alliés de l’Union Européenne, parfaitement informés que Gaza allait être attaquée, comme dans le cas du Liban en 2006, se sont installés pour assister au spectacle.

Washington accuse les palestiniens pro-Hamas, comme à son habitude ; Obama et Bush chantant le même hymne sur la partition de l’AIPAC [American Israeli Political Activity Committee]. Les politiciens de l’UE, ayant observé la mise en place du siège, la punition collective infligée à Gaza, les civils pris pour cibles, etc (pour tous les détails sanglants voir, dans London Review of Books, l’essai terrifiant de Sara Roy*[3], chercheuse à Harvard) furent d’avis que c’était les tirs de roquettes qui avaient ’provoqué" Israel, mais appelèrent les deux camps à mettre fin à la violence, sans effet. La dictature bouffée aux mites de Mubarak en Egypte et les islamistes favoris de l’OTAN à Ankara n’ont même pas été capables d’une protestation symbolique comme le rappel de leurs ambassadeurs. La Chine et la Russie n’ont pas demandé la réunion du conseil de sécurité de l’ONU pour discuter de la crise.

Résultant de cette apathie officielle, l’une des conséquences de cette dernière attaque sera d’enflammer les communautés musulmanes à travers le monde et grossir les rangs de ces organisations que l’Ouest se targue justement de combattre, dans la "guerre contre le terrorisme".

Le bain de sang à Gaza soulève, pour les deux camps, de plus amples questions stratégiques, liées à l’histoire récente. Un fait que l’on se doit de reconnaitre est qu’il n’y a pas d’Autorité Palestinienne. Il n’y en a jamais eu. Les accords d’Oslo furent un désastre complet pour les Palestiniens, créant un ensemble de ghettos déconnectés et minuscules, sous la surveillance permanente et brutale d’un garde chiourme. L’OLP, qui incarnait autrefois l’espoir palestinien, n’est guère plus qu’un quémandeur d’argent européen.

L’enthousiasme occidental pour la démocratie s’arrête lorsque sont élus ceux qui s’opposent à sa politique. L’Occident et Israël ont tout essayé pour assurer la victoire du Fatah ; les électeurs palestiniens ignorèrent menaces et promesses concertées de la "communauté internationale", au cours d’une campagne qui vit les membres du Hamas et autres opposants régulièrement arrêtés ou attaqués par l’armée israélienne, leurs affiches confisquées ou détruites, les fonds européens et états-uniens alimentant la campagne du Fatah et les membres du congrès US déclarant que le Hamas ne devrait pas être autorisés à se présenter.

Même la date des élections fut choisie pour influencer les résultats. Prévue à l’été 2005, elle fut reportée en janvier 2006, pour donner à Abbas le temps de distribuer des prébendes à Gaza - selon un officier de renseignement égyptien, "le public soutiendra alors l’Autorité contre le Hamas".

Le souhait populaire d’un grand coup de balai, après 10 années de corruption, intimidation et arrogance du Fatah, s’est révélé plus fort que tout cela. Le triomphe électoral du Hamas fut considéré comme un signe inquiétant de la montée du fondamentalisme, et un coup terrible pour les perspectives de paix avec Israel, par les gouvernants et journalistes de tout l’Occident. Des pressions diplomatiques et financières furent immédiatement appliquées pour forcer le Hamas à adopter les mêmes politiques que celles des partis qu’il avait vaincus dans les urnes. Sans compromission avec l’avidité et la dépendance combinées de l’Autorité Palestinienne, l’enrichissement personnel de ses porte-paroles et policiers serviles, et leur approbation d’un "processus de paix" qui n’a mené que plus d’expropriation et de misère à la population, le Hamas a offert l’alternative d’une simplicité exemplaire. Sans la moindre des ressources de son rival, il a mis en place des cliniques, des écoles et des hopitaux, des programmes de formations et de protection sociale pour les pauvres. Ses dirigeants et ses cadres vivaient frugalement, au niveau des gens ordinaires.

C’est cette réponse aux besoins de la vie courante qui a valu au Hamas un large soutien, et non pas la récitation quotidienne des versets du Coran. On ne peut dire à quel point sa conduite lors de la deuxième Intifida a accru son degré de crédibilité. Ses attaques armées contre Israel, comme celles de la Brigade des Martyres d’Al-Aqsa, issue du Fatah, ou du Jihad Islamique, étaient des représailles contre une occupation plus meurtrière que jamais. Comparés aux tueries de l’armée israélienne, les frappes palestiniennes ont été peu nombreuses et espacées dans le temps. La dissymétrie apparut clairement durant le cessez-le-feu unilatéral du Hamas, commencé en juin 2003, et maintenu durant tout l’été malgré des raids israéliens répétés et les arrestations en masses qui ont suivi, lors desquelles quelques 300 cadres du Hamas furent capturés en Cisjordanie.

Le 19 août 2003, à Hébron, une cellule auto-proclamée du Hamas, non-reconnue et dénoncée par la direction officielle, fit sauter un bus à Jérusalem ouest. Après quoi, Israel assassina promptement le négociateur du Hamas pour le cessez-le-feu, Ismail Abu Shanab. Hamas, à son tour répliqua. En retour, l’Autorité Palestinienne et les états arabes bloquèrent le financement de ses oeuvres de bienfaisance et, en septembre 2003, l’UE déclara organisation terroriste tout le mouvement du Hamas, comme Tel Aviv l’exigeait depuis longtemps.

Ce qui a réellement distingué le Hamas, dans ce combat désespérément inégal, ce ne sont pas les attentats suicides, auxquels ont eu recours différents groupes concurrents, mais sa discipline supérieure - démontrée par la capacité à maintenir un cessez-le-feu unilatéral contre Israel durant l’année passée. Toute mort de civil doit être condamnée, mais puisque Israel en est le principal responsable, le credo des euro-américains ne sert qu’à démasquer ceux qui le prononcent. Sans commune mesure, le meurtre est l’apanage de l’autre camp, qui agresse sauvagement la Palestine avec une armée moderne équipée d’avions, de tanks et de missiles, lors de l’oppression armée la plus longue de l’histoire moderne.

"Personne ne peut rejeter ou condamner la révolte d’un peuple qui a souffert sous l’occupation militaire pendant 45 ans", a dit en 1993, le général Shlomo Gazit, ancien chef du renseignement militaire israélien. Ce que l’UE et les US reprochent vraiment au Hamas, c’est d’avoir refusé d’accepter la capitulation des accords d’Oslo, et d’avoir rejeté tous les efforts qui ont suivi, de Taba à Genève, pour rendre responsables les Palestiniens de leurs propres malheurs. Depuis, la priorité de l’Occident a toujours été de briser cette résistance. Couper les fonds de l’Autorité Palestinienne est une arme évidente pour forcer le Hamas à se soumettre. Une autre a consisté à renforcer les pouvoirs présidentiels de Abbas - publiquement désigné par Washington, comme l’a été Karzai à Kaboul - aux dépends du conseil législatif.

Aucun effort sérieux n’a été fourni pour négocier avec la direction palestinienne élue. Je ne sais pas si le Hamas aurait pu être rapidement subordonné aux intérêts israéliens et occidentaux, mais cela n’aurait pas été sans précédent. L’héritage programmatique du Hamas reste hypothéqué par la faiblesse la plus fatale du nationalisme palestinien : la croyance que les choix politiques sont soit rejeter entièrement l’existence d’Israel, soit accepter les restes démembrés d’un cinquième du pays. Entre le maximalisme fantaisiste du premier et le minimalisme pathétique du second, l’écart est trop court, comme l’histoire du Fatah l’a montré.

Le test pour le Hamas n’est pas de savoir s’il peut être domestiqué pour satisfaire l’opinion occidentale, mais plutôt de savoir s’il peut rompre avec cette tradition handicapante. Peu après la victoire électorale du Hamas à Gaza, un Palestinien m’a demandé en public ce que je ferais à leur place. "Dissoudre l’Autorité Palestinienne" fut ma réponse, et en finir avec la mascarade. Faire ainsi ramènerait la cause nationale palestinienne sur ses propres bases, avec l’exigence que le pays et ses ressources soit partagés équitablement, en proportion des deux populations qui sont de taille égale - pas 80% à l’une et 20% à l’autre, une dépossession d’une injustice telle qu’aucun peuple se respectant ne s’y soumettra jamais sur le long terme. La seule solution acceptable est celle d’un seul état pour Juifs et Palestiniens, dans lequel les exactions du sionisme soient réparées. Il n’y a pas d’autre voie.

Et les citoyens israéliens pourraient méditer les mots de Shakespeare (dans Le Marchand de Venise), que j’ai légèrement modifiés :

"Je suis Palestinien... un Palestinien n’a-t-il pas d’yeux ? Un Palestinien n’a-t-il pas de mains ?... des organes, des proportions, des sens, des émotions, des passions ? N’est-il pas nourri de même nourriture, blessé des mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé et refroidi par le même été, le même hiver, comme un Juif ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Si vous nous faites tort, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous vous ressemblons dans le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela... La vilenie que vous m’enseignez, je la pratiquerai et ce sera dur, mais je veux surpasser mes maîtres."

Tariq Ali [1]

Tariq Ali est un historien, écrivain et commentateur politique britannique, d’origine pakistanaise. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages, en particulier sur l’Asie du Sud, le Moyen Orient, l’histoire de l’Islam, l’empire américain et la résistance politique.

Il est membre du comité de rédaction de la New Left Rewiew et contribue régulièrement à The Guardian, CounterPunch et à la London Review of Books. Il est directeur éditorial de la maison d’édition londonienne Verso

Source : Guardian "From the ashes of Gaza"

http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/dec/30/gaza-hamas-palestinians-israel1

Traduit par Chris et Dine

Notes

[1] Tariq Ali a été une figure dominante de la gauche internationale depuis les années 60. Il écrit pour le Guardian (journal anglais) depuis les années 70. Il édite depuis longtemps New Left Review et est une commentateur pulitique publié partout dans le monde.

[2] http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/dec/29/israelandthepalestinians-middleeast

[3] http://www.lrb.co.uk/v31/n01/roy_01_.html

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