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Début de la fin ? : Prêteurs d’Islande, par Eric Le Boucher.


Le Monde, 1er avril 2005.


Un point rouge clignote depuis quelques jours sur les écrans Bloomberg de tous les financiers de la planète : l’Islande. Si ce pays fait suer à grosses gouttes les opérateurs de marché, les analystes, les banquiers centraux et autres ministres des finances de la Nouvelle-Zélande à la Turquie, de la Hongrie aux Etats-Unis, cela n’a rien à voir avec ses geysers et ses eaux bouillantes. Tous ces responsables craignent une chose aussi simple que considérable : une crise monétaire planétaire est-elle en train de naître sur ce caillou perdu de l’Atlantique Nord ?

Tout est parti d’une note du 22 février de l’agence Fitch, dont le métier est d’évaluer les dettes des Etats, qui a déclassé l’Islande en jugeant "insoutenable" le déficit extérieur de ce pays parce qu’il atteint 16,5 % du PIB. Certaines banques américaines ont alors refusé de souscrire à des emprunts de la banque centrale de Reykjavik. La monnaie locale, la couronne, s’est mise à glisser. Les taux d’intérêt ont été relevés pour la soutenir.

Pour l’heure, le processus ne s’est pas emballé en crise monétaire. Mais la banque Danske a écrit que la couronne pourrait tomber de 25 % et que le PIB du pays pourrait reculer de 5 à 10 % en deux ans. Le Financial Times a relaté ce début de crise en page "une", vendredi.

Au-delà de l’avenir des 300 000 Islandais et Islandaises, les financiers s’inquiètent d’un éventuel engrenage. Les pays en gros déficits parvenaient jusqu’ici à facilement les financer parce que les taux d’intérêt étaient, historiquement et mondialement, bas. Mais cette période vient de s’achever avec les relèvements opérés par la Réserve fédérale américaine, suivie maintenant par la Banque centrale européenne et, demain, par la Banque du Japon.

L’été de l’argent pas cher est terminé et les pays endettés vont devoir passer à la caisse, c’est-à -dire payer plus cher leurs remboursements, se serrer la ceinture ailleurs, ralentir leur rythme de croissance. L’Islande est-elle la première d’une longue liste ?

Un deuxième clignotant s’est allumé sur les écrans, plus important donc plus menaçant, la Nouvelle-Zélande. Le dollar de ce pays a décroché de plus de 10 %. La banque centrale de Wellington est poussée à relever ses taux à son tour. Les regards sont maintenant tournés vers d’autres pays, que les marchés, s’ils le décidaient, pourraient entraîner dans la tourmente : la Hongrie, dont le florin est déjà fragilisé par un recul de 5 %, la Turquie, mal sortie d’une crise monétaire précédente, l’Australie et même le Brésil, l’Espagne et le Portugal, deux pays pourtant protégés par l’euro, et, last but not least, les Etats-Unis.

Sommes-nous à la veille d’une nouvelle crise monétaire comme le monde capitaliste globalisé en connaît depuis dix ans ? Mexique en 1994, Thaïlande en 1997, Brésil en 1999 et 2001, Turquie en 2001 ? La source des crises a toujours été la même, analyse l’économiste américain Nouriel Roubini (rgemonitor.com), "une combinaison d’un déficit courant, d’un boom du crédit et d’une bulle des actifs qui conduit à un excès de consommation et des prix de l’immobilier".

C’est exactement la situation en Islande mais aussi dans les autres pays cités. On pourrait donc avoir une crise islandaise qui crée de la panique sur les marchés financiers mondiaux et s’étende par contagion.

Que les Etats-Unis soient sur la liste change évidemment tout. L’interrogation des financiers est ici d’une autre nature : il ne s’agirait plus du ralentissement de tel ou tel pays mais, si l’Amérique est touchée, d’un éventuel raté du grand moteur de l’économie mondiale. Pour alimenter sa croissance, l’économie américaine aspire l’épargne du monde entier dans des proportions inédites. C’est le grand déséquilibre de cette époque qui veut que les pauvres financent le plus riche. Aucun économiste n’imagine que ce système soit durable. Il va se retourner à un moment ou à un autre.

La baisse de la couronne islandaise marque-t-elle ce moment ? Non, pour l’heure. Seuls de petits clapotis frappent encore les côtes d’Islande. Mais, mais, mais...

Éric Le Boucher


 Source : www.lemonde.fr


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