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Dans la Belgique de 2016, Al Capone aurait évité la prison

En pleine effervescence sur les Panama Papers, le ministre Johan Van Overtveldt (N-VA), en charge de la lutte contre la fraude fiscale, dépose un projet de loi non pour combattre les fraudeurs, mais pour leur offrir une amnistie. Une amnistie permanente...

Sale temps pour les grands fraudeurs, après l’OffshoreLeaks, le Luxleaks, le SwissLeaks, le Panama Gate et les Panama Papers. Heureusement pour eux, il y a la Belgique et ses amnisties fiscales. Van Overtveldt, ministre des Finances chargé de la lutte contre la fraude fiscale, n’a rien produit de concret dans le cadre de cette lutte. Par contre, son projet de loi sur la régularisation permanente est actuellement débattu à la Chambre. Et le ministre est tellement pressé de le faire voter qu’il n’a pas voulu laisser plus de temps à la négociation avec les régions pour obtenir une loi cohérente (vu l’imbroglio institutionnel de notre système fiscal). Van Overtveldt a même réussi l’exploit de venir défendre son projet à la Chambre le matin d’une journée où les mêmes députés se réunissaient l’après-midi au sein de la commission spéciale Panama Papers.

Fin 2003, Didier Reynders (MR), alors ministre des Finances, fait voter la DLU, pour « déclaration libératoire unique », euphémisme désignant une amnistie fiscale. Le PTB n’est pas seul à dénoncer cette loi. Le député CD&V Pieter De Crem, alors dans l’opposition, y voit « une opération de blanchiment à grande échelle. » Le ministre Reynders, lui, insiste sur le caractère unique de l’opération : les fraudeurs doivent saisir cette seule chance qui leur est offerte. Et il précise en mars 2005 : « Ce n’est de toute façon pas à refaire. Pas question en effet de donner un mauvais signal du genre : fraudez sans retenue durant quelques années et vous aurez ensuite la possibilité de régulariser votre situation[1]. »
L’amnistie unique fait l’objet d’une seconde édition

Quelques mois plus tard, en 2006, Reynders introduit pourtant la DLU bis. Oui, vous avez bien lu : l’amnistie unique fait l’objet d’une seconde édition. Et elle est suivie par une DLU ter en 2013, présentée comme la « dernière chance » de régulariser le produit de la fraude. Koen Geens (CD&V), alors ministre des Finances, prévient formellement : c’est la dernière fois que cette possibilité d’amnistie sera proposée[2].

Pourtant, aujourd’hui, voici la DLU quater du gouvernement Michel. Et contrairement aux précédentes, celle-ci est permanente. Les fraudeurs ont désormais tout le temps pour décider en quelle année, le cas échéant, ils blanchiront l’argent de leur fraude. À court terme, de l’argent entre dans les caisses de l’État. Mais l’effet à long terme de ces amnisties – a fortiori s’agissant d’une régularisation permanente – est catastrophique pour les finances publiques puisqu’elles incitent à la fraude. En effet, le pécher n’est-il pas encouragé lorsqu’une promesse de pardon se profile à l’horizon ? Quelque 250 millions d’euros sont attendus en 2016 pour la régularisation, chiffre optimiste pour un projet qui n’est pas encore loi. Mais de l’autre côté, la fraude fiscale représente 20 à 30 milliards d’euros de perte pour les finances publiques : cent fois plus.

Notons aussi que le ministre a abandonné la notion de fraude fiscale grave qui existait auparavant. Un abandon troublant à l’heure où les Panama Papers et les précédents « Leaks » démontrent que les grandes fortunes recourent à des mécanismes sophistiqués faisant intervenir les banques et autres intermédiaires financiers…
Rien de mieux qu’une régularisation fiscale pour blanchir l’argent du crime organisé

Dans le passé, des personnes comme Jean-Claude Delepière, ancien directeur de la cellule anti-blanchiment CTIF, ou Karel Anthonissen, directeur régional de l’Inspection spéciale des impôts à Gand, ont déjà dénoncé un effet particulièrement pervers des amnisties : rien de mieux qu’une régularisation fiscale pour blanchir l’argent du crime organisé.

Le projet de loi prévoit de transmettre les dossiers de régularisation à la CTIF, mais dans le passé, c’était une modalité formelle et cela risque bien d’être encore le cas ici. Car le plus logique serait que les agents chargés de traiter les dossiers de régularisation puissent procéder à un contrôle approfondi, y compris par rapport au risque de blanchiment, et en informer la CTIF. Mais les fonctionnaires du « Point de contact régularisation », le service chargé de l’amnistie, n’ont pas de pouvoir d’enquête. Quant aux contrôleurs du fisc, ils ne peuvent pas utiliser la régularisation comme indice pour procéder à une vérification de la situation fiscale des amnistiés.

Le ministre Van Overtveldt reste aussi très vague sur le nombre d’agents qui traiteront les dossiers au sein de ce Point de contact régularisation. Et sur la proportion qui viendrait d’éventuelles embauches externes, par rapport à celle qui sera opérée par mobilité interne au sein du SPF Finances, réduisant donc encore le nombre de fonctionnaires chargés des contrôles fiscaux.

En matière de pénalité, le ministre fait valoir qu’elles sont plus élevées que lors des amnisties précédentes. En matière d’impôt sur les revenus, par exemple, la pénalité est de 20 à 25 % en plus de l’impôt normalement dû. Cela reste nettement moins que la sanction administrative de 50 % lorsque l’intention frauduleuse est prouvée lors d’un contrôle fiscal. Et surtout, la régularisation permet d’échapper à toute sanction pénale, amende et prison. On se souvient qu’Al Capone, le plus célèbre gangster américain, a finalement été en prison pour fraude fiscale. Dans la Belgique de 2016, il aurait obtenu une régularisation fiscale et courrait en liberté…

Si vous prenez le bus sans payer et que vous vous faites prendre, la pénalité n’est ni de 25 %, ni de 50 %, mais de 5.000 % par rapport au prix du billet. Normal, dira-t-on : si la sanction est trop basse, les gens seront incités à frauder dans les transports en commun. Pourquoi ce principe ne vaut-il pas pour la grande fraude fiscale ?

Parce qu’on a un gouvernement qui préfère manifestement s’acharner sur les allocataires sociaux suspectés, pour survivre, de mentir sur leur domicile, plutôt que de viser la grande fraude fiscale passant par les paradis fiscaux. Logique : c’est ce même gouvernement qui multiplie les cadeaux aux plus riches en s’attaquant aux droits et revenus des travailleurs. Il va sans dire que les députés PTB voteront contre la régularisation fiscale permanente…

Marco Van Hees

[1] Trends-Tendances, 3 mars 2005.

[2] Trends-Tendances, 6 juin 2013.

[1] Trends-Tendances, 3 mars 2005.

[2] Trends-Tendances, 6 juin 2013.

»» http://ptb.be/articles/dans-la-belgique-de-2016-al-capone-aurait-evite-la-prison
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