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Côte d’ Ivoire : Le chômage pousse de jeunes diplômés vers la terre.





Par Fulgence Zamblé , Abidjan, 25 février 2003, IPS.


Perdu au milieu de hautes herbes, dans un village de Côte d’Ivoire, Michel Kouassi défriche une terre léguée par son défunt père. Titulaire d’une maîtrise en droit public, il monnaie désormais son diplôme dans l’agriculture, plutôt que dans un cabinet juridique de la capitale économique, Abidjan.


Kouassi, 30 ans, exploite sa terre dans les forêts du village de Sahuyé, dans le département de Sikensi, (sud de la Côte d’Ivoire). Il n’a pu obtenir un premier emploi digne de son rang à cause de la crise politico-militaire et sociale que traverse ce pays d’Afrique de l’ouest depuis plus de trois ans.

Depuis le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire est coupée en deux par une rébellion après une tentative de coup d’Etat manquée. Des militaires insurgés avaient pris des armes pour s’opposer à une exclusion présumée des populations du nord du pays. Malgré des efforts de médiation internationale, le pays n’est pas encore sur la voie de la paix et de la réconciliation nationale.

Au chômage à Abidjan et constituant une charge pour son oncle, Kouassi a préféré retourner à la terre pour gagner son pain quotidien. Il a pourtant terminé ses études depuis juillet 2003.

’’Les concours auxquels j’ai pris part ne se comptent plus. Sans parler des demandes d’emplois que je rédigeais à longueur de journée. Je n’avais plus le choix qu’entre la délinquance qui me tendait la main et les portions de terre que je pouvais labourer dans mon village’’, raconte avec amertume Kouassi à IPS.

Avec lui, 25 autres jeunes, tous titulaires également d’importants diplômes, et originaires du même village, se sont associés pour créer une coopérative d’élevage avicole et de production maraîchère sur 2,5 hectares. Ils ont investi quelque 4.000 dollars, dont 1.000 dollars provenant de leurs propres cotisations et une aide d’environ 3.000 dollars de la mairie de Sikensi.

Selon la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), le taux de chômage en Côte d’Ivoire est estimé à 19 pour cent. Le chômage des jeunes de la tranche de 16-25 ans a augmenté de 37,5 pour cent chez les garçons et de 70,3 pour cent chez les filles.

Les statistiques de la CNPS indiquent également que 2,168 millions de personnes, âgées de 14 à 40 ans, n’ont pas d’emploi. Elles appartiennent aux quelque quatre millions de jeunes que compte le pays, sur une population totale d’environ 16 millions d’habitants.

Selon la CNPS, sur les 2,168 millions de jeunes sans emploi, 1,058 million résidaient dans les villes entre septembre 2002 et mars 2004, avant que 315.000 ne retournent à la campagne.

Berté Kama, le chef du Département de développement économique et de sociologie rurale de l’Université de Cocody, à Abidjan, explique à IPS : ’’L’exode rural a mis plus de pression sur la production agricole, d’autant plus que la main-d’oeuvre se faisait rare. L’idée d’un retour est simplement due à la crise’’.

’’Beaucoup n’ayant pas de relations pouvant leur permettre d’intégrer une entreprise, ils pensent avoir plus de chance en retournant à la campagne’’, souligne Kama.

Par ailleurs, plus la crise ivoirienne dure, plus les opportunités d’emplois deviennent difficiles pour les jeunes, en raison de la fermeture de plusieurs entreprises qui ne peuvent plus supporter les effets de la guerre et de l’insécurité, ajoute-t-il.

Selon l’Agence de développement durable de Côte d’Ivoire - gouvernementale -, 835 médecins et spécialistes étaient encore en quête d’emploi, à la fin-janvier 2006, ainsi que 1.445 personnels subalternes de santé. Une convention avait été signée avec l’Association des jeunes médecins ivoiriens afin de leur permettre une insertion professionnelle, mais ils devront encore patienter.

’’Il n’y a plus d’emplois dans les services et dans l’administration pour les jeunes. L’Etat ne peut trouver du travail pour tous les diplômés. Nous faisons ce qui est en notre possible pour les aider’’, a avoué à IPS, Benjamin Gouheré, chef de cabinet du ministère de la Fonction publique, de l’Emploi et de la Réforme administrative.

Mais, pour certaines jeunes, le chômage ne constitue pas une raison suffisante pour émigrer en Occident.

’’Entre l’aspiration à s’embarquer clandestinement dans la soute d’un avion ou dans un conteneur pour s’échapper du continent, et rester au pays pour faire un petit métier, nous avons opté pour le second choix, en dépit d’un certain désespoir grandissant’’, déclare à IPS, Amélie Agnissan, présidente de la coopérative des jeunes filles de Gomon, un village de la sous-préfecture de Sikensi.

Après un diplôme en gestion des ressources humaines et sans emploi depuis deux ans, Agnissan a rejoint ses jeunes soeurs au village pour la culture vivrière. Elles cultivent actuellement trois hectares de manioc, un demi-hectare de banane et un hectare de légumes. La coopérative n’ayant pas encore bénéficié de financement, les filles ont démarré le travail sur leurs fonds propres.

Selon l’Agence d’études et de promotion de l’emploi (AGEPE), 13 pour cent de la jeunesse active, dont 10 pour cent sont diplômés, ont été recensés dans les villes du sud du pays. ’’Ils demandent une aide matérielle et financière des conseils généraux ou des mairies pour se constituer en association d’exploitation agricole’’, a révélé à IPS, Maurice Kouadio Zéhia, directeur général de l’AGEPE.

Le 16 février, dans la commune de Sikensi, des matériels agricoles (machettes, houes, brouettes) ont été offerts à 30 jeunes diplômés d’écoles agricoles, dont une dizaine de filles, dans le cadre d’un projet pilote initié par des municipalités ivoiriennes. Ces jeunes, qui devront se créer des vergers et des fermes avicoles, bénéficieront, en attendant de se prendre en charge, d’un salaire mensuel de 70 dollars.

’’La jeunesse est désoeuvrée. Il n’y a pas de tissu industriel à même de les absorber. En plus de leurs diplômes, il faut leur apprendre à créer des activités génératrices de revenus’’, a indiqué à IPS, Faustin Abouho, le maire de Sikensi. ’’Sikensi est une zone agricole, nous avons beaucoup de forêt. Et nous pensons qu’avec ce projet, ils arriveront à se prendre en charge’’.

Depuis juin 2005, quelque 3.000 jeunes dans sept territoires volontaires — Attiécoubé, Bingerville, Bouaflé, Gagnoa, Issia, Sikensi et Songon — sont admis à une phase expérimentale du projet de la Plate-forme de services (PFS). Ce projet est financé par l’Etat à hauteur de 30 millions de dollars environ.

Face à la crise de l’emploi, le gouvernement ivoirien a décidé de mettre à la disposition des jeunes un fonds de 20 millions de dollars pour la création de petites et moyennes entreprises. Mais aucune grande action n’est en cours, hormis le projet PFS.

Pour sa part, l’aide apportée par les donateurs étrangers aux jeunes, dans l’exploitation de la terre, se limite le plus souvent à l’octroi de matériels agricoles et à la formation aux activités rurales.

Le nord du pays, sous contrôle de l’ex-rébellion, n’échappe pas aux conséquences de la crise, et les diplômés cherchent également leur survie dans le travail agricole. Sorti de l’Université d’Abidjan avec une maîtrise en sciences économiques, après plusieurs quêtes d’emplois infructueuses, Nadio Coulibaly, 40 ans environ, est retourné à la terre en 2004.

’’Sans le minimum, je me suis confié à une coopérative de cotonculteurs qui m’ont aidé à défricher deux hectares de terre. C’est avec mes petites économies que je me suis converti dans la production du maraîcher (culture de tomate, du gombo, des carottes et des salades) au bord du fleuve la Bagoué, à Tengrela (extrême nord du pays)’’.

’’Grâce à mes économies, je me suis orienté ensuite dans le verger. Je possède aujourd’hui 10 hectares de manguiers et 15 hectares d’anacardes avec lesquels je survis’’, raconte Coulibaly à IPS, à Korhogo, dans le nord. Il estime ses revenus annuels à quelque 10.000 dollars. (FIN/2006)

Fulgence Zamblé


- Source : Inter Press Service www.ips.org

Droits de reproduction et de diffusion réservés © IPS Inter Press Service.


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