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Conte : Le ras de marée

Cela s’est passé il y longtemps, sur une île qui n’existe plus.

Il y eut un tremblement de terre.

Personne ne s’en aperçut car il se produisit loin au large des côtes du pays.

Cependant une vague monstrueuse se forma dans la mer et elle se dirigea de loin vers les côtes, menaçant de submerger les parties les moins élevées.

Le gouvernement du pays proche, qui sous des apparences et des discours d’humanité et de bonté pure cachait en réalité un cynisme et une cruauté illimités, trouvant que la population était trop nombreuse, regarda la possibilité d’un ras de marée susceptible de la réduire considérablement comme une bonne affaire à saisir. Dès lors, il usa secrètement de toute son autorité, de tous ses moyens, et surtout de la confiance et du respect que la population lui accordait naïvement, pour l’empêcher de s’en défendre.

Contre les plus anciens qui savaient ce que cette vague au loin signifiait, eux qui avaient déjà survécu au même évènement, eux qui disaient qu’il fallait quitter les côtes, édifier des logements ailleurs et organiser la survie de ceux qui auraient besoin de s’y réfugier, il dressa la barrière de la dérision. Il persuada la population que ces vieillards radotaient et revivaient le passé pour rendre présente leur jeunesse disparue.

Le gouvernement détourna habilement les peurs de ceux qui s’interrogeaient tout de même sur l’importance d’un éventuel ras de marée. Pour cela, il fit appel à ses experts pour démontrer que la vague, même si elle était plus grosse que les autres, n’était pas une menace de tsunami, et, dans le même temps, il désigna un ennemi qui aurait eu intérêt à faire croire à l’imminence d’un danger. Il inventa le mot d’ « Alarmistes » pour le désigner, et lui attribua le désir d’établir une dictature sanguinaire dans le pays et aux alentours. Le gouvernement déclara qu’il combattrait sans pitié et avec la plus grande énergie ces fauteurs de trouble qui mettaient en danger de mort subite et inopinée toute la population. Il organisa lui-même des attentats où beaucoup périrent en les attribuant aux « Alarmistes » pour rendre sa fable crédible. Il n’hésitait nullement à tuer pour ce faire. Au contraire : « Toujours ça de moins », pensaient secrètement les organisateurs, tout en versant des larmes de crocodiles sur les « chers disparus ». La population, dûment terrorisée, remis son sort entre les mains de ses élus qui se présentaient en sauveurs, oublia la vague qu’ils leurs disaient anodine, et soutint dans un combat qu’il disait héroïque un pouvoir paternaliste qui affirmait la protéger du sentiment si désagréable de la peur pour sa sécurité….

La vague, ainsi, avançait sans effrayer qui que ce soit, donc sans que rien ne fût fait pour protéger la vie de ses futures victimes.

En direction des plus soumis et des plus paresseusement établis dans leur confort, le gouvernement fit savoir qu’il s’occupait de tout, surveillait la vague, et que ces derniers pouvaient poursuivre leurs occupations quotidiennes sans se soucier de rien.
Ceux qui fuyaient le plus la peur, parce qu’elle entraînait la fin d’un rêve et la nécessité de se protéger activement, continuèrent donc leur vie comme si de rien n’était. Les amoureux s’embrassaient, les familles et les voisins se querellaient, les rêveurs rêvaient, les religieux priaient dans leurs lieux de culte, les amateurs de jeux se retrouvaient dans les stades, les amateurs de spectacles dans les salles de spectacle, etc. Des rivalités microscopiques entraînaient des drames microscopiques, mais que le gouvernement mettait soigneusement en exergue, encourageant par tous les moyens des « débats » publics à leur propos, en lieu et place d’une information concernant son action,

Ainsi, les premiers noyés furent-ils ceux qui se faisaient bronzer sur les plages, entourés de leur famille, en regardant au loin la vague avec indifférence. Pourquoi s’inquiéter, se disaient-ils : le ciel est d’un beau bleu et rien ne laisse présager une tempête. Les plus ignorants pensaient que les dangers de la mer sont toujours accompagnés de nuages et de vent. Il se gaussaient et, parfois même, chassaient ou livraient aux gardes, ceux que le gouvernement avait appelé « Alarmistes » et qui leur conseillaient de quitter la plage en les dérangeant dans leur sieste.

Lorsque l’un des « Alarmistes » menaçait le pouvoir, parce qu’il paraissait capable de convaincre et de réunir autour de sa personne, de faire remettre au lendemain les querelles qui étaient destinées à masquer la progression de la vague, il était habilement mais impitoyablement retiré du champ social de diverses façons : procès et disqualifications, calomnies, et, s’il le fallait, assassinat déguisé en accident, cardiaque, ou d’avion, ou autre…

Face à une inquiétude qui, malgré tout, s’exprimait ici et là , les pratiques religieuses et les croyances en des divinités diverses furent encouragées aussi. Elles avaient l’avantage de rendre l’individu qui n’en avait pas pratiqué correctement les rites seul responsable de son malheur. Elles avaient l’avantage de proposer divers autres rites, totalement inefficaces mais très contraignants, de conjuration d’un danger réel ou imaginaire. Les croyances et religions étant multiples, elles avaient aussi l’avantage de distraire les adeptes des différents cultes par d’interminables querelles, chacun voulant convaincre l’autre que seul son dieu était le vrai, que seuls les rites qu’il était censé avoir prescrits pouvaient apporter la paix et la sécurité parmi les hommes.

Et, pendant ce temps, la vague avançait.

Le pouvoir local encouragea aussi toutes les luttes fratricides qui divisaient et affaiblissaient les groupes, qu’ils soient familiaux ou sociaux. Aux « Alarmistes » furent proposées, par le moyen d’hommes du gouvernement déguisés en « Alarmistes », diverses manières de donner l’alarme, diverses manières d’envisager d’édifier des refuges et de s’y organiser, diverses manières de convaincre les populations de les rejoindre. Ceux-ci se perdirent alors dans de longues discussions et querelles. Le pouvoir encourageait l’assimilation de tout leader possible parmi les « Alarmistes » au chef d’un gouvernement qu’ils contestaient, car cela lui évitait de lutter contre lui, de courir le risque d’en faire un martyre s’il le tuait et affaiblissait leur organisation.

Ainsi, la vague avançait sans que lui soit opposée une autre résistance que verbale.

A ses soutiens, le gouvernement proposa diverses manières de témoigner de leur allégeance, diverses manières de lutter contre les « Alarmistes ». A ses soutiens, que l’assimilation d’un leader aux hommes du gouvernement ne gênait pas, il fut proposé diverses marionnettes, habillées de chiffons luxueux et clinquants, et qui faisaient semblant de s’opposer entre elles. De cette façon, pendant que les soutiens au gouvernement passaient leur temps en réunions et en palabres, eux aussi, la vague poursuivait son chemin de désastre et de mort.

Le pouvoir profita également du combat coûteux et incessant, que ses hommes disaient destiné à protéger paternellement la population contre les « alarmistes », pour s’approprier toutes les richesses du pays en imposant les mesures qu’il affirmait nécessaires à cette lutte. Le pouvoir réussit ainsi le tour de prestidigitation d’imposer à la population une insécurité encore plus grande que celle d’un ras de marée, en lui disant que ces dispositions étaient vitales pour la garantir de la peur du désastre et de la mort dont les menaçait à coup sûr… les « Alarmistes ».

Pendant ce temps, la vague avançait jusqu’à se trouver proche des côtes. Les hommes du gouvernement s’étaient assuré un refuge luxueux hors de sa portée. Par ailleurs, ils avaient tellement appauvri et terrorisé la population que les survivants au ras de marée n’auraient d’autre choix ensuite, pour espérer seulement survivre, que de les servir comme des esclaves.

Alors la vague arriva sur la plage… Alors la vague démolit les maisons… Alors la vague détruisit les cultures et noya le bétail… Alors la vague noya les rêveurs…

Quand le ras de marée atteignit même les moyennes hauteurs, ceux qui l’avaient prévu et avaient gardées secrètes les informations le concernant, contemplèrent avec satisfaction, depuis encore plus haut, depuis leurs luxueuses demeures, trinquant entre eux et riant, le spectacle du désastre, le spectacle de la mer qui emportait les cadavres, puis le spectacle de la mort des survivants ruinés et affamés. Les hommes et femmes du gouvernement descendirent alors de leurs hauteurs et recrutèrent des esclaves, sous couvert d’apporter de l’aide aux sinistrés.

Cependant, certains parmi les « Alarmistes », tout en ne ménageant pas leurs forces pour donner l’alarme, avaient aménagé eux aussi un refuge dans des grottes de la montagne et ils s’y retrouvèrent. Ils durent y organiser leur survie, tout en se cachant des traqueurs d’esclaves. Ils avaient aménagé ce refuge en se faisant aider des conseils, appuyés sur l’expérience, des plus anciens, et ils avaient adapté ceux-ci aux temps et aux menaces qu’ils vivaient alors. Ils y avaient transporté tous les livres et les provisions alimentaires et domestiques qui leur permettraient d’y vivre le temps de les renouveler.

Ils pleurèrent leurs familles, leurs amis, leurs enfants parfois, qui étaient morts noyés ou avaient été réduits en esclavage, car ils n’avaient pas su les convaincre de les suivre. Des cérémonies de deuil furent organisées, au cours desquelles les plus forts soutenaient les plus meurtris. Pas un seul d’entre eux ne fut abandonné à sa douleur.

Il y avait nécessité à ce que tous soient forts pour préserver et préparer l’avenir des enfants qui étaient avec eux aussi bien que celui des enfants à naître. Il y avait nécessité de fraternité et de solidarité.

Celles-ci les unissait donc, impliquant une confiance totale les uns dans les autres. Ils déléguèrent à celui d’entre eux qui paraissait le plus apte à le faire, le soin d’organiser la survie de tous, ce qui permettait à chacun de se consacrer à la tâche dont il assumait la responsabilité : les éleveurs élevaient dans des étables souterraines, les cultivateurs cultivaient des plantes pour tous, dissimulées en anodines plantes sauvages à la surface, ceux qui avaient des connaissances dans un domaine les transmettaient aux adultes qui le souhaitaient et à tous les enfants, les guetteurs guettaient et permettaient à tous de sortir sous le ciel quand la surveillance s’était éloignée, les nounous et les mamans langeaient les bébés, les musiciens travaillaient leur instrument, les nettoyeurs nettoyaient les grottes et les passages communs, les médecins soignaient les malades, les géologues et les architectes creusaient et aménageaient les nouvelles cavités nécessaires, les responsables des festivités préparaient la prochaine fête qui les rassemblerait dans la plus grande des salles. Les poètes et artistes y travaillaient aussi avec acharnement, de manière à parler le plus juste possible au coeur de chacun.

Mais la population des grottes aspirait à vivre à l’air libre, à la lumière du soleil, sans être continuellement menacée dans son existence. La mort naturelle des êtres humains suffisait amplement à nourrir ses méditations, sans que celles-ci soient distraites par la perspective d’une mort infligée par de vieux enfants animés du sentiment de toute-puissance et d’immortalité comme on l’est à l’âge de 3 ans, et dont le coeur s’était atrophié car il n’avait pas grandi.

Plusieurs générations plus tard, ceux qui s’étaient retrouvés ensemble dans ce qui devint la communauté des « Alarmistes de la montagne » étaient morts. Les informateurs, au péril de leur vie, avaient au cours du temps transmis l’avancement de la décrépitude des descendants du gouvernement des esclavagistes. Car ils étaient morts aussi, ceux qui avaient déclenché la répression contre eux. Et leurs descendants, qui n’avaient pas pu dépasser l’âge affectif de leurs parents et, de surcroît, n’avaient eu aucun effort à fournir pour garantir leur monstrueux égoïsme de ce qui l’aurait pu troubler, vivaient dans l’ignorance la plus extrême, la suffisance et la paresse, servis par des esclaves qu’ils méprisaient et ignoraient.

Les « Alarmistes de la montagne », eux, voyant cela, avaient transmis très soigneusement à leurs propres enfants le savoir, la générosité et le sentiment d’être au service les uns des autres. Ils avaient veillé scrupuleusement au développement de leur coeur autant qu’à celui de leur savoir et de leur intelligence.

Les enfants des « Alarmistes de la montagne » parvinrent à vivre à la lumière quand ils parvinrent à se joindre aux plus clairvoyants et aux plus courageux parmi les descendants d’esclaves.

Afin d’y placer ceux qui imposaient par la force leur domination et les empêchaient de vivre à l’air libre, ils avaient créé des pouponnières pour vieux enfants dans lesquelles ceux-ci pouvaient pleurer, taper des pieds, se rouler par terre, sans que ceci eût pour effet d’anéantir le monde.

Ils enlevèrent alors avec précautions, délicatesse et ingéniosité, armes et pouvoir à ceux qui se croyaient les maîtres de l’île, depuis toute éternité et pour toute l’éternité et les y placèrent, sous bonne garde.

La majorité des esclaves se joignit à eux après leur triomphe, et la joie était générale.

Cependant, une autre histoire commençait alors, avec de nouvelles difficultés. Car il y eut à empêcher de prendre la place des maîtres ceux parmi les esclaves qui croyaient de bonne foi que le monde n’était composé que d’esclaves et de maîtres et qui ignoraient jusqu’à l’existence de la fraternité et de la solidarité, Ils convoitaient donc logiquement de s’emparer du pouvoir des maîtres qu’ils avaient subi, et ce avec les mêmes moyens que ceux qui leur avaient été enseignés par l’exemple. Il y eut dès lors, dans le même temps et rapidement, à localiser et rendre inoffensives les armes que les esclavagistes avaient utilisées en surabondance et qui auraient pu à nouveau être instruments de domination.

Sans quoi, tout serait à recommencer depuis le début à la prochaine catastrophe, qu’elle soit naturelle ou simulée telle.

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Sir Josiah Stamp,
Directeur de la Banque d’Angleterre 1928-1941,
2ème fortune d’Angleterre.

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