Les responsables de la prestigieuse banque d’affaires américaine ont été passés sur le gril durant des heures, mardi, par une commission sénatoriale. Dialogue de sourds
Accusé, levez-vous. Si elle n’a rien d’un tribunal, l’audition organisée mardi par la commission sénatoriale entendant les responsables de Goldman Sachs, visée par une affaire de fraude, a pris des faux airs de procès. La prestigieuse banque a-t-elle joué un double jeu contre ses clients, en 2007, comme l’en accuse la police financière américaine ? Les a-t-elle incités à souscrire à des produits financiers complexes - basés sur prêts immobiliers difficilement recouvrables - alors que ces mêmes produits étaient conçus pour permettre à la banque, ou à des fonds spéculatifs, de parier sur leur effondrement ?
Les sénateurs ont commencé par cuisiner durant plus de cinq heures Daniel Sparks - ancien responsable des activités hypothécaires - et trois de ses subordonnés, parmi lesquels le Français Fabrice Tourre, visé par la plainte de la SEC. « Vous avez conçu un produit de 300 millions de dollars, sur lequel vous représentiez la moitié des « shorts » [paris sur la faillite]… étiez-vous à l’aise de le vendre à vos clients ? Pourquoi ne pas les avoir informés de ces paris ? », a interpellé le président de la commission, le sénateur démocrate Carl Levin. « Les clients qui n’ont pas voulu participer à ce deal ne l’ont pas fait », s’est contenté de répondre Daniel Sparks. Une bonne partie de l’audition de ces seconds couteaux - celle de Lloyds Blankfein était attendue plus tard dans la soirée - s’est résumée à un discours de sourd. Comme paralysés par les mises en garde des cohortes d’avocats de la banque, ces derniers ont tenté de verrouiller chacun de leurs propos. Ainsi, cet échange entre le sénateur Levin et le banquier Sparks.
- Combien [la banque] a gagné en pariant sur le déclin de ces produits, vendus à vos clients ?
- Il semble que ces clients aient pris leur décision librement en [y] investissant.
- Vous rappelez-vous dans quelles proportions vous avez parié contre un [autre] produit appelé Timber wolf, dont vous avez vendu 600 millions de dollars ?
- Nous avons fourni un certain nombre de paris baissiers…
- Savez-vous ce que votre équipe disait à propos de Timberwolf dans un courriel ? « Mec, c’était vraiment une affaire merdique » !
- Il m’est utile de savoir dans quel contexte ces mots ont été prononcés…
- Combien de ces affaires merdiques avez-vous vendues ?
- Leur prix reflétait le niveau de risque dans lequel les clients voulaient investir…
- Goldman Sachs devait-elle vendre des affaires merdiques ?
- Je n’ai pas utilisé ces mots.
- Ne disiez-vous pas alors que vendre ces produits était la « top priorité » ?
[Silence]
La réponse de Fabrice Tourre à une sénatrice républicaine, Susan Collins, lui demandant s’il servait l’intérêt de ses clients, ou celui de sa firme, résume la position des trois hommes. Ceux-ci ont tenté de se présenter comme de simples intermédiaires - des « market makers » - organisant ce marché de produits devenus toxiques. « Nous avions l’obligation de servir nos clients, mais nous n’étions pas leur conseiller en investissements : nous agissions comme « market makers » en leur dévoilant les prix des transactions qu’ils requerraient. » Distinguo crucial. Car il influera l’attitude des clients de la banque dans les mois à venir.
LE TEMPS