Ce sera en novembre prochain que les élections présidentielles se réaliseront au Chili. Nous savons tous et toutes que Washington ne veut pas perdre, pour une seconde fois, le plein contrôle de cette partie du continent sud-américain. On se souviendra de l’élection du vrai socialiste, Salvador Allende, en 1969, qui leur avait fait perdre, pour la première fois, le contrôle politique du pays. Ca n’aura duré qu’un peu plus de trois ans, le temps de préparer Pinochet et la machine infernale de la déstabilisation, pour reprendre en main la démocratie par un coup d’État militaire et une répression humanitaire dont des dizaines de milliers de Chiliens et Chiliennes se souviendront toute leur vie. Par contre, les victimes des tortures et des balles de fusils bien entretenus par l’armée ne sont plus là pour se souvenir.
De 1973 à 1990, ce fut le règne de la « démocratie autoritaire » pour reprendre l’expression inventée de toutes pièces par Pinochet lui-même. Pour faire suite au référendum de 1988, Pinochet se résigna à laisser la place, confiant en la constitution élaborée à son image et ressemblance et promulguée le 11 septembre 1980, pour assurer la continuité de sa démocratie. Cette constitution est toujours, sauf quelques amendements mineurs réalisés au cours des ans, celle qui définit la vie politique, économique et sociale du pays. Ni le socialiste Lagos (2000-2004), ni la socialiste Michelle Bachelet ne sont intervenus pour reformater cette constitution à l’image du peuple.
Depuis le départ de Pinochet, les cartes de Washington ont été jouées de façon à garder son emprise sur les gouvernements qui lui ont succédé. Ce furent d’abord deux présidents du parti démocrate chrétien (Tomic et Frei) allié traditionnel de Washington. Par la suite, ce fut l’arrivée de deux socialistes (Ricardo Lagos et Michelle Bachelet) qui prirent la relève dans le cadre d’une coalition. Depuis 2009, c’est le représentant de la droite chilienne, proche des politiques de Pinochet, Sébastian Pinera, qui assume cette fonction de président.
Le Chili est au nombre des dix pays au monde où les écarts de revenus entre les riches et les pauvres sont les plus élevés. Dans un rapport des Nations Unies, on peut y lire que « cette inégalité est difficilement rattrapable. De nos jours, les 20 % des plus riches du pays gagnent 14,3 fois ce que reçoivent les 20 % des plus pauvres. »
L’endettement de la population est également un des plus élevés. Les cartes de crédit se multiplient et avec leur usage, les Chiliens en viennent à la limite de l’endettement personnel. Il faut lire absolument ce petit article qui en dit long sur cette question souvent passée sous silence.
Il ne fait pas de doute que le néolibéralisme y règne en maître. La consommation bat son plein, le peuple se bat pour répondre à ses obligations de crédit de sorte que le temps lui manque pour réfléchir et s’engager politiquement.
C’est dans ce contexte que le parti socialiste s’est affirmé en 2000 avec Ricardo Lagos et en 2004 avec Michelle Bachelet dans le cadre d’une coalition comme ce fut le cas pour Allende avec l’Unité populaire. A l’époque d’Allende, le parti socialiste visait des changements profonds dans la gestion des biens de l’État et de ceux du bien commun de l’ensemble de la société chilienne. C’est d’ailleurs pour avoir suivi cette voie qu’il y a eu un coup d’État militaire, qu’il y a laissé sa vie ainsi que l’ont fait des milliers de Chiliens et Chiliennes.
Avec l’arrivée du socialiste Ricardo Lagos et celle de Michelle Bachelet, nous entrons dans une nouvelle ère, celle de la démocratie, vêtue du socialisme, mais guidée par des fidèles au néolibéralisme. Dans les deux cas, ils ont plutôt servi le régime néolibéral avec ici et là quelques initiatives cosmétiques. Il ne fait aucun doute que Salvador Allende doit se retourner dans sa tombe, lorsqu’il regarde ces socialistes, genre sépulcres blanchis. Rien en eux, pour en faire des alliés surs du socialisme du XXIè siècle, tel que proposé par Chavez. Washington ne pouvait trouver mieux avec ces deux personnages pour assurer sous une couverture socialiste, les paradigmes du néolibéralisme.
Ricardo Lagos a eu une carrière politique davantage dans la diplomatie internationale. Lui-même se définit moins comme un socialiste que comme un indépendant de gauche. Il est incorporé au groupe Forum2000 regroupant des hommes politiques et intellectuels, surtout de droite, pour soutenir et défendre la démocratie néolibérale, à savoir celle qui est au service des oligarchies et de l’empire.
Ricardo Lagos est un membre actif Forum2000 et participa au Forum2000 à Prague, en octobre 2007. Pour en savoir plus sur ce FORUM2000, je vous invite à aller directement au site qui en définit les objectifs et qui en indique les principaux partenaires.
Un Forum regroupant ce qu’il y a de plus représentatif des démocraties néolibérales, n’ayant rien à voir avec le socialisme qui en modifie les paradigmes. Ceux et celles qui participent à ces rencontres, sous l’égide de FORUM2000, sont des convaincus du système capitaliste, sous sa forme néolibérale. Pour eux, tous les moyens sont bons pour barrer la route à ceux et celles qui voudraient en modifier les paradigmes.
Je me permets de rappeler ici une anecdote de ce qui s’est passé à la rencontre du FORUM2000, à Prague, à l’automne 2007. A l’époque, Michael Jean, ex-journaliste de Radio-Canada, devenue par la grâce d’un premier ministre généreux, Gouverneure générale du Canada, fut invitée à présider la séance d’ouverture de ce Forum. En marge de ce forum, une rencontre privée, regroupant des membres haut placés de l’Administration étasunienne et de certains autres pays, s’est réalisé pour discuter d’un plan visant à faire échouer le référendum qui était en pleine opération au Venezuela et pour discuter de la manière de se défaire de Chavez.
Pour ceux que le sujet intéresse, je vous réfère à l’article que j’avais écrit à ce moment-là ainsi qu’à une lettre envoyée au premier ministre du Canada.
On se souviendra que Michelle Bachelet, alors qu’elle était présidente pro temporelle d’UNASUR, avait reçu le vice-président des États-Unis, Joe Biden, sans en informer ses collègues d’UNASUR et sans y inviter ceux et celles qui auraient souhaité y participer. Chavez, Morales, Correa furent ignorés.
Lorsque le roi d’Espagne, lors du XVIIe Sommet ibéroaméricain, réalisé au Chili, en novembre 2007, eut l’indécence de dire à Chavez de se la fermer, alors que ce dernier avait la parole, la socialiste Michelle Bachelet qui présidait cette rencontre se garda bien de rappeler au dignitaire qu’ici, les présidents peuvent s’exprimer comme ils l’entendent et qu’ils doivent être respectés. Elle n’en fit rien.
Si le peuple chilien ne prend pas note du détournement de sens donné au mot socialiste, il se retrouvera avec Michelle Bachelet comme présidente un peu comme le peuple français se retrouve, aujourd’hui, avec le socialiste François Hollande, véritable marionnette caricaturale de la volonté de Washington.
En Amérique latine, l’empire veut garder les territoires reconquis par des coups d’État militaires et poursuivre son action pour reconquérir ceux qui lui ont échappé.
Une louve déguisée en brebis est plus dangereuse qu’une louve à corps découvert.
Pour moi, l’élection de Michelle Bachelet à la présidence du Chili ne serait pas une bonne nouvelle. Nous savons que Pinera, l’actuel président, est un fervent défenseur et promoteur du néolibéralisme et personne n’en est surpris. Il s’est présenté sous ses véritables couleurs et le peuple l’a élu et ses collègues latino-américains le respectent.
Je prédis qu’avec Michelle Bachelet ça va être le trouble-fête dans les organismes d’intégration régionale. Les ressources en provenance de Washington ne lui manqueront pas, d’abord pour gagner la prochaine élection puis pour semer la bisbille dans la bergerie de la grande patrie. Son séjour aux Nations Unies lui aura donné le temps de bien apprendre sa leçon.
C’est un sentiment profond dont je n’arrive pas à me défaire.
Oscar Fortin
Québec, le 19 mars 2013
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