Les dimensions de ces affrontements, qui pour le moment ne peuvent pas encore être considérés comme une révolte au sens strict, ne sont pas comparables aux "événements" de Bologne en 1977, ni à ceux de Gênes en 2001, pour faire une comparaison avec l’Italie. Car bien qu’il existe un lien commun entre toutes les "révoltes" contre le pouvoir de l’Etat et de l’establishment, les temps ont changé et la confrontation sociale est également différente dans un pays comme la Grèce, qui se trouve aux confins de l’Union européenne : pauvre jusqu’à hier et avec des progrès dans différents secteurs, comme celui de l’économie et de l’Education, qui se révèlent souvent fictifs.
Tout d’abord, il est trop imprécis et en partie erroné de soutenir que ces affrontements sont le résultat de la crise économique mondiale. C’est imprécis, parce que l’économie grecque souffrait déjà depuis longtemps du manque d’investissements, de la privatisation des entreprises publiques, de la flexibilité dans le monde du travail qui a fait croître un taux de chômage déjà haut, de l’augmentation du coût de la vie, etc. La Grèce fait partie de la zone euro, mais survit grâce à une économie souterraine très importante. Cette thèse perd également beaucoup de son sens si l’on considère que les jeunes en "révolte" sont des mineurs ou des étudiants universitaires qui ne subissent donc pas, de manière directe en tout cas, le conséquences de la crise économique. Au contraire, ce sont souvent eux les victimes du consumérisme. Au sein de la contestation à Athènes, il y a également la "génération des 700 euros" , mais ils ne sont qu’une minorité.
Ce qui est le plus impressionnant dans tout ça, c’est la réaction du monde politique. La surprise des premières heures a été remplacée par des déclarations banales. Au lieu d’ouvrir, même avec du retard, la voie à un dialogue avec les jeunes, qui pourrait être le préalable d’un mea culpa, les conservateurs pointent du doigt les jeunes encagoulés et condamnent les violences. Comme si les licenciements successifs de milliers de travailleurs, le système anachronique ou la réforme de l’Education voulue par le gouvernement n’était pas eux-mêmes de la violence. Un enseignement, d’ailleurs, qui n’est gratuit que sur le papier et qui oblige les étudiants à apprendre par coeur des livres entiers s’ils veulent réussir les examens d’entrée à l’université. Comme si n’étaient pas également de la violence la... violence et la télévision-poubelle, les scandales et la corruption, l’effondrement du système des soins de santé, des pensions, la perte de milliers de jeunes de l’âge d’Alexis chaque année, à cause d’accidents de la route provoqués par des routes qu’on ne voit même pas dans des pays du tiers-monde.
Certes, la compensation [de la mort d’Alexis, ndt.] ne justifie pas les destructions dans les rues d’Athènes. Mais elle donne tout de même une idée de ce que vivent parfois eux-mêmes les étudiants grecs. "Un événement tragique comme la mort d’Alexis ne peut être utilisé comme prétexte pour déclencher une violence cruelle" , a dit hier le premier ministre grec, promettant l’application sévère de la Loi. Karamanlis utilise la manière forte face aux jeunes. Le dirigeant socialiste Giorgos Papandreou, bien que plus prudent dans les mots, est sur la même longueur d’onde quand il condamne les désordres et la suppression de l’Etat de droit par la faute des conservateurs. Le jeu politique, le duel bipartite continue avec des déclarations convenues et personne ne pense à se poser la question : pourquoi cette contestation ? La position de la Coalition de Gauche, Synaspismos (la nouvelle gauche) est différente car, à travers les mots de son dirigeant Alekos Alavanos, elle a défendu les jeunes parce qu’ils revendiquent une vie meilleure. Une déclaration qui a provoqué la réaction des communistes orthodoxes, car selon la secrétaire du KKE, Aleka Papariga, Synaspismos est la caisse de résonnance politique des jeunes encagoulés !
La rage des étudiants est évidemment due à l’assassinat d’Alexis. C’est-à -dire d’un des leurs, qui a été tué par la main de fer d’un policier. L’identification était inévitable, surtout si l’on pense que le jeune tué ne faisait partie d’aucun groupe politique. Mais la colère d’Athènes est due en grande partie à l’absence d’un futur digne, au chômage qui frappe à la porte, avant même le diplôme, alors que le présent ne présente pas d’issue, marqué par un niveau d’instruction presque vide et la dégénérescence du rapport entre l’étudiant et l’enseignant. Sans parler de l’attitude de la police par rapport aux jeunes. Les "délits de sale gueule" , les contrôles, les abus de pouvoir, les mauvais traitements sont à l’ordre du jour dans un pays où l’Etat policier, également hérité de la droite, a une longue tradition. Il y a donc un terreau, un arrière-plan social qui est plus évident en Grèce que dans d’autres pays européens.
L’ampleur des affrontements est également due à l’absence de plan de la part des forces de police, qui étaient présentes et absentes en même temps. Les forces de police en tenue anti-émeutes attaquaient au lacrymogène, mais la douleur et l’indignation étaient tellement grandes et le flux d’étudiants qui manifestaient spontanément tellement important que la situation est devenue incontrôlable. En outre, il était évident que les forces de l’ordre étaient, selon les termes de leurs dirigeants, dans une position de "défense" , démontrant ainsi indirectement les responsabilités politiques du gouvernement dans l’assassinat de l’adolescent. D’un autre côté, les policiers n’ont réussi à défendre ni les symboles de la globalisation banques, McDonald’s, boutiques de luxe, bâtiments du gouvernement, ni les magasins de ceux qui se trouvaient déjà au bord de la faillite, à cause de la crise économique. Si la réaction des jeunes grecs est aveugle mais compréhensible, celle de la police et du gouvernement d’Athènes est tout aussi aveugle, mais surtout incompréhensible.
Pavlos Nerantzis, il manifesto, 10 décembre 2008
Traduction d’Alexandre Govaerts