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Cent ans après la disparition du camarade Lénine

Que nous dit Lénine dans le monde post-soviétique d'aujourd'hui et quel est son héritage ?

Vladimir Ilitch Oulianov(1870-1924) était connu sous le pseudonyme de Lénine. Comme ses frères et sœurs, il était un révolutionnaire, ce qui, dans le contexte de la Russie tsariste, signifiait qu’il passa de longues années en prison et en exil. Lénine a contribué à la construction du parti travailliste social-démocrate russe, tant par son travail intellectuel que par son travail d’organisation.

Les écrits de Lénine ne sont pas seulement ses propres mots, mais le résumé de l’activité et des pensées des milliers de militants dont le chemin a croisé le sien. C’est la remarquable capacité de Lénine à développer les expériences des militants dans le domaine théorique qui a façonné ce que nous appelons le léninisme. Il n’est pas étonnant que le marxiste hongrois Gyorgy Lukacs ait qualifié Lénine de "seul théoricien égal à Marx encore produit par la lutte pour la libération du prolétariat".

La construction d’une révolution

En 1896, lorsque des grèves spontanées éclatent dans les usines de Saint-Pétersbourg, les révolutionnaires socialistes sont pris au dépourvu. Ils sont désorientés. Cinq ans plus tard, écrit Lénine, "les révolutionnaires sont restés à la traîne de cette poussée, tant dans leurs "théories" que dans leur activité ; ils n’ont pas réussi à mettre en place une organisation constante et continue capable de diriger l’ensemble du mouvement". Lénine estimait que ce retard devait être comblé.

La plupart des écrits majeurs de Lénine s’inscrivent dans cette perspective. Lénine a élaboré les contradictions du capitalisme en Russie (Développement du capitalisme en Russie, 1896), ce qui lui a permis de comprendre comment la paysannerie de l’empire tsariste tentaculaire avait un caractère prolétarien. C’est sur cette base que Lénine a plaidé en faveur d’une alliance entre ouvriers et paysans contre le tsarisme et les capitalistes.

Lénine a compris, grâce à son engagement dans la lutte de masse et à ses lectures théoriques, que les sociaux-démocrates - en tant que section la plus libérale de la bourgeoisie et des aristocrates - n’étaient pas capables de conduire une révolution bourgeoise, et encore moins le mouvement qui conduirait à l’émancipation de la paysannerie et des travailleurs. Ce travail a été réalisé dans Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique (1905). Deux tactiques est peut-être le premier grand traité marxiste qui démontre la nécessité d’une révolution socialiste, même dans un pays "arriéré", où les ouvriers et les paysans doivent s’allier pour briser les institutions d’asservissement.

Ces deux textes montrent que Lénine évite de penser que la révolution russe pourrait sauter le pas du développement capitaliste (comme le suggéraient les populistes - narodniki -) ou qu’elle devait passer par le capitalisme (comme le soutenaient les démocrates libéraux). Aucune de ces voies n’était possible ni nécessaire. Le capitalisme était déjà entré en Russie - un fait que les populistes ne reconnaissaient pas - et il pouvait être vaincu par une révolution ouvrière et paysanne - un fait que les démocrates libéraux contestaient. La révolution de 1917 et l’expérience soviétique ont donné raison à Lénine.

Ayant établi que les élites libérales de la Russie tsariste ne seraient pas en mesure de mener une révolution ouvrière et paysanne, ni même une révolution bourgeoise, Lénine s’est intéressé à la situation internationale. En exil en Suisse, Lénine assiste à la capitulation des sociaux-démocrates devant les bellicistes en 1914 et à l’entrée de la classe ouvrière dans la guerre mondiale.

Frustré par la trahison des sociaux-démocrates, Lénine rédige un texte important - L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) - qui développe une compréhension lucide de la croissance du capital financier et des entreprises monopolistiques, ainsi que des conflits inter-capitalistes et inter-impérialistes. C’est dans ce texte que Lénine explore les limites des mouvements socialistes à l’Ouest - l’aristocratie ouvrière faisant obstacle au militantisme socialiste - et le potentiel de révolution à l’Est - où se trouve le "maillon le plus faible" de la chaîne impérialiste.

Les carnets de Lénine montrent qu’il a lu 148 livres et 213 articles en anglais, français, allemand et russe pour clarifier sa pensée sur l’impérialisme contemporain. Une évaluation lucide de ce type d’impérialisme a permis à Lénine de développer une position forte sur les droits des nations à l’autodétermination, que ces nations se trouvent dans l’empire tsariste ou dans n’importe quel autre empire européen. Le noyau de l’anticolonialisme de l’URSS - développé au sein de l’Internationale communiste (Comintern) - se trouve ici.

Le terme "impérialisme", si central dans l’expansion de la tradition marxiste par Lénine, fait référence au développement inégal du capitalisme à l’échelle mondiale et à l’utilisation de la force pour maintenir cette inégalité. Certaines parties de la planète - principalement celles qui ont connu une colonisation antérieure - restent dans une position de subordination, leur capacité à élaborer un programme de développement national indépendant étant limitée par les tentacules d’un pouvoir politique, économique, social et culturel étranger.

À notre époque, de nouvelles théories sont apparues qui suggèrent que les nouvelles conditions ne peuvent plus être comprises par la théorie léniniste de l’impérialisme. Certaines personnes de gauche rejettent l’idée de la structure néocoloniale de l’économie mondiale, le bloc impérialiste - dirigé par les États-Unis - utilisant toutes ses sources de pouvoir pour maintenir cette structure. D’autres, même à gauche, affirment que le monde est désormais plat, qu’il n’y a plus de Nord global qui opprime un Sud global et que les élites des deux zones font partie d’une bourgeoisie internationale. Aucune de ces objections ne tient face aux niveaux croissants de violence perpétués par le bloc impérialiste et aux niveaux croissants d’inégalité relative entre le Nord et le Sud (malgré la croissance des élites capitalistes dans le Sud).

Certains éléments de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme sont, bien sûr, dépassés - il a été écrit il y a 100 ans - et nécessiteraient un remaniement minutieux. Mais l’essentiel de la théorie est valable - l’insistance sur la tendance des entreprises capitalistes à devenir des monopoles, l’impitoyabilité avec laquelle le capital financier draine les richesses du Sud mondial et l’utilisation de la force pour contenir les ambitions des pays du Sud à définir leur propre programme de développement.

L’une des interventions les plus importantes de Lénine, qui a séduit les habitants des colonies, était l’idée que l’impérialisme ne développerait jamais les colonies et que seules les forces socialistes, en collaboration avec les sections de libération nationale, seraient capables à la fois de lutter pour l’indépendance nationale et de faire progresser leur pays vers le socialisme. La farouche détermination anticoloniale de Lénine a rapproché ses idées de celles des pays colonisés, ce qui explique leur adhésion enthousiaste au Comintern après 1919.

Ho Chi Minh a lu les thèses du Comintern sur les questions nationales et coloniales et a pleuré. C’est un "guide miraculeux" pour la lutte des peuples d’Indochine, estime-t-il. "À partir de l’expérience de la révolution russe", écrit Ho Chi Minh, "nous devons placer le peuple - la classe ouvrière et les paysans - à la base de notre lutte. Nous avons besoin d’un parti fort, d’une volonté forte, avec pour centre le sacrifice et l’unanimité". "Comme un soleil brillant", a écrit Ho Chi Minh, "la révolution d’octobre a brillé sur les cinq continents, réveillant des millions d’opprimés et d’exploités dans le monde entier. Il n’y a jamais eu de révolution d’une telle importance et d’une telle ampleur dans l’histoire de l’humanité".

Enfin, Lénine a consacré la période de 1893 à 1917 à l’étude des limites du parti de l’ancien type - le parti social-démocrate. Le texte de Lénine - Notre programme - souligne que le parti doit s’engager dans une activité continue et ne pas compter sur des poussées spontanées ou initiales [stikhiinyi]. Cette activité continue mettrait le parti en contact intime et organique avec la classe ouvrière et la paysannerie et contribuerait à faire germer les protestations qui pourraient alors prendre un caractère de masse. C’est cette considération qui a conduit Lénine à élaborer sa conception du parti révolutionnaire dans "Que faire ? (1902). Cette intervention remarquable soulignait le rôle des travailleurs conscients de leur classe en tant qu’avant-garde du parti et l’importance de l’agitation politique parmi les travailleurs pour développer une conscience politique véritablement puissante contre toute tyrannie et toute oppression. Selon Lénine, les travailleurs doivent ressentir l’intensité de la brutalité du système et l’importance de la solidarité.

Ces textes — de 1896 à 1916 — ont préparé le terrain pour que les bolcheviks et Lénine comprennent comment fonctionner pendant les luttes de 1917. C’est une mesure de la confiance de Lénine dans les masses et de sa théorie que Lénine a écrit son pamphlet audacieux Les bolcheviks peuvent-ils conserver le pouvoir d’État ? quelques semaines avant la prise du pouvoir.

La construction d’un État

Après avoir triomphé, Lénine doit maintenant faire face aux problèmes de la construction d’un projet socialiste dans l’ancien empire tsariste, dévasté par son avarice et par la guerre. Avant que les soviets n’aient eu le temps de s’organiser, les impérialistes attaquent de toutes parts. Les interventions directes en faveur des paysans et des ouvriers, ainsi que des minorités nationales, ont empêché des défections massives de la nouvelle révolution vers les armées des contre-révolutionnaires. Les paysans, avec leurs moyens limités, se sont accrochés au nouveau départ. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit : des "moyens limités". Comment construire le socialisme dans un pays pauvre, dont le développement social est freiné par l’autocratie tsariste ?

Une lecture attentive de L’État et la révolution (1918) anticipe les problèmes rencontrés par les soviets dans leur nouvelle tâche - ils ne pouvaient pas seulement hériter de la structure de l’État, mais devaient "détruire l’État", construire un nouvel ensemble d’institutions et une nouvelle culture institutionnelle, créer une nouvelle attitude des cadres vis-à-vis de l’État et de la société. En avril 1918, Lénine résume dans Les tâches immédiates du gouvernement soviétique le travail des premiers mois et montre que les Soviétiques étaient bien conscients des problèmes profonds auxquels ils devaient faire face.

Leur révolution n’a pas eu lieu dans un pays capitaliste avancé, mais dans ce que Marx avait appelé le "royaume de la pénurie". Accroître les forces productives et socialiser les moyens de production en même temps était une tâche d’une ampleur considérable.

"Sans alphabétisation, écrit Lénine, il ne peut y avoir de politique. Il ne peut y avoir que des rumeurs, des commérages et des préjugés. Les ressources limitées dont disposait l’État soviétique avant sa création ont été consacrées à l’alphabétisation, les cadres du parti étant déterminés à remédier au fait que seul un tiers des hommes étaient alphabétisés et moins d’un cinquième des femmes. Grâce à la campagne Likbez et à la politique d’indigénisation (korenizatsiya), l’utilisation des langues régionales et minoritaires, les Soviétiques ont pu, en deux décennies, faire en sorte que les niveaux d’alphabétisation atteignent 86 % pour les hommes et 65 % pour les femmes.

On oublie souvent que les ouvriers et les paysans ont joué un rôle central dans la construction de la Russie soviétique (Mikhaïl Kalinine était issu d’une famille de paysans ; Joseph Staline venait d’une famille de cordonniers et de femmes de ménage). L’éducation, la santé, le logement et le contrôle de l’économie, ainsi que les activités culturelles et le développement social, étaient au cœur du travail de la nouvelle Russie soviétique, dirigée par Lénine. Aucun discours de droite sur l’Union soviétique ne pourra effacer l’immense réussite de cet État ouvrier.

Au cours de la dernière année de sa vie, Lénine a écrit quatre textes formidables : "Sur la coopération", "Notre révolution", "Comment réorganiser l’inspection des ouvriers et des paysans" et "Mieux vaut être moins nombreux, mais mieux". Dans ces textes, Lénine reconnaît les difficultés du processus de transformation du capitalisme en socialisme. Il parle de "l’importance énorme et illimitée" des sociétés coopératives, de la nécessité de reconstruire la base productive et de construire des sociétés pour renforcer la confiance des masses. Lénine a souligné la nécessité d’une transformation culturelle, d’un nouveau mode de vie pour les travailleurs et les paysans, et de moyens nouveaux et créatifs pour les travailleurs et les paysans d’exercer un pouvoir sur leur société et de renforcer leur clarté dans l’action. Les travailleurs ont hérité de l’architecture d’un État hideux, qui doit être totalement transformé. Mais comment ? La réflexion de Lénine dans Mieux vaut moins, mais mieux est d’une honnêteté féroce :

"Quels sont les éléments dont nous disposons pour construire cet appareil ? Deux seulement. D’abord, les travailleurs qui sont absorbés par la lutte pour le socialisme. Ces éléments ne sont pas suffisamment instruits. Ils voudraient construire un meilleur appareil pour nous, mais ils ne savent pas comment. Ils ne peuvent pas le construire. Ils n’ont pas encore développé la culture nécessaire pour cela ; et c’est la culture qui est nécessaire. On n’obtiendra rien en faisant les choses à la hâte, par l’assaut, par la vivacité ou la vigueur, ou en général, par n’importe laquelle des meilleures qualités humaines.

Deuxièmement, nous disposons d’éléments de connaissance, d’éducation et de formation, mais ils sont ridiculement insuffisants par rapport à tous les autres pays".

Lors de sa dernière apparition publique - au Soviet de Moscou en novembre 1922 - Lénine fait l’éloge des réalisations de la jeune République soviétique, mais met également en garde contre la difficulté du chemin à parcourir. "Notre parti", a-t-il déclaré, "un petit groupe de personnes par rapport à la population totale du pays, s’est attaqué à cette tâche. Ce petit noyau s’est donné pour mission de tout refaire, et il le fera".

Mais ce n’est pas seulement la tâche du parti, mais aussi celle des ouvriers et des paysans, qui considèrent le nouvel appareil soviétique comme le leur. "Nous avons introduit le socialisme dans la vie de tous les jours et nous devons voir ce qu’il en est. C’est la tâche de notre temps, la tâche de notre époque".

L’Union soviétique n’a duré que 74 ans, mais au cours de ces années, elle a expérimenté avec acharnement pour surmonter la misère du capitalisme. Soixante-quatorze ans, c’est l’espérance de vie moyenne dans le monde. Il n’y avait tout simplement pas assez de temps pour faire avancer l’agenda socialiste avant que l’URSS ne soit détruite. Mais l’héritage de Lénine ne se limite pas à l’URSS. Il s’inscrit dans la lutte mondiale pour transcender les dilemmes auxquels l’humanité est confrontée en progressant vers le socialisme.

— 

Vijay Prashad est un historien indien et un intellectuel marxiste. Il est directeur exécutif de Tricontinental : Institute for Social Research et éditeur de LeftWord Books. Idéologiquement marxiste, Prashad est bien connu pour ses critiques du capitalisme, du néocolonialisme, de l’exceptionnalisme américain et de l’impérialisme occidental, tout en exprimant son soutien au communisme et au Sud. Il est l’auteur de Red Star Over the Third World (Pluto Press) et de Washington Bullets : A History of the CIA, Coups, and Assassinations (Monthly Review Press).

 https://italienpcf.blogspot.com/2024/02/cent-ans-apres-la-disparition-du.html
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COMMENTAIRES  

02/02/2024 08:07 par CN46400

"Mieux vaut moins, mais mieux" ou l’art de citer Lénine sans noter le contexte (NEP) comme si le silence imposé par Staline pesait toujours aux Indes comme ailleurs, quitte à négliger Deng Xiao Ping (Chine) et même le Kérala.....

02/02/2024 19:08 par Vania

Très important d’évoquer Lénine, surtout aujourd’hui quand la guerre médiatique essaye d’effacer la mémoire historique des populations lobotomisées. Lénine sera toujours un révolutionnaire exemplaire, intègre, un réveil de la conscience collective du partage des richesses, qui lutta toujours pour la justice sociale de son pays.
Ci-contre un spectacle/hommage organisé par le KPRF (parti communiste russe) à Moscou. Des chansons, des poèmes et presque à la fin les magnifiques danses traditionnelles russes. (à 1:58 )
Si vous aimez les spectacles russes :
https://www.youtube.com/watch?v=3D8PYBowZfI

03/02/2024 08:06 par CN46400

@ vania
En 1927, la NEP disparaît, sans aucune explication des dirigeants de l’époque (Staline et consort). Le "socialisme dans un seul pays" qui prétend construire le socialisme dans une contrée quasi précapitaliste prend la suite. Les pénuries de produits manufacturés vont durer jusqu’à la fin (1991), quitte à avoir recours au travail forcé (goulag) puisque les salaires ne permettent pas, aux travailleurs de base, de l’industrie lourde, d’acquérir les produits recherchés.
En 2024, centenaire de la disparition de Lénine, le silence stalinien sur la NEP dure encore....

04/02/2024 05:14 par T 34

La vidéo de Vania a été mise en non répertoriée à cause d’un mauvais son. Voici le même concert mais avec un son correct : https://www.youtube.com/watch?v=DisEhSPZa_U

PS : Ce n’est pas un spectacle russe, c’est un spectacle soviétique !

05/02/2024 10:29 par mmmk

Triste voir l’acharnement des "marxistes" français contre Staline (dans un article sur Lénine...). Est-ce qu’on peut analyser Staline sans tomber ni dans l’idéalisation ni dans le démonisation ? C’est justement cette lecture manichéiste qui empêche le socialisme d’avancer. Aucune victoire majeure sur le plan international ou national depuis 40 ans et on reste figé sur la NEP. Comme si les "marxistes" français pourraient nous expliquer en détail comment gérer une économie et un Etat presque anéanti par un empire décadent, des guerres civiles, invasions internationales, etc... Assez facile utiliser la langue (ou les doigts dans ce cas) pour critiquer. La gauche actuelle n’arrive même pas à gérer des simplets projets de combat aux guerres impérialistes, certains veulent expliquer comment gérer le plus grand pays du monde à son époque avec 170 millions d’habitants...
L’intellectualisme classe-moyenne est l’obstacle majeur qui empêche la gauche européenne d’avancer, surtout en France où la French Theory a réussi à transformer le marxisme dans une parodie qui sert aux intérêts de la bourgeoisie. Entre P"C"F, Trotskisme, Mao-Spontex et autres aberrations, la gauche française ferait mieux en revisiter ses propres fondements au lieu de tomber dans les lieux communs de l’anti-stalinisme (qui cache un anti-soviétisme) si populaire dans les universités américaines...

06/02/2024 10:28 par CN46400

@3mk
Si on veut construire un socialisme qui tienne la route, il faut être à jour sur les causes de l’échec soviétique qui m’a désolé autant que quiconque. Sur quoi la contre révolution a vaincu l’URSS : les libertés ? la démocratie ? ou l’économie incapable de tenir les espérances de niveau de vie des prolos soviétiques ?
En clair, la NEP de Lénine ? ou "le socialisme dans un seul pays" de Staline ?
Qui est responsable des pénuries de produits manufacturés qui ont perduré jusqu’à la fin (1991), alors qu’elles ont disparu en Chine suite aux réformes de Deng Xiao Ping ?

07/02/2024 14:36 par mmmk

@CN46400,

J’ai du mal à comprendre qu’est-ce que vous voulez dire par "socialisme dans un seul pays de Staline". Il n’a pas ni théorie ni pratique qui soit "socialiste dans un seul pays". Cette mythologie me semble être assez répandue dans les milieux libéraux mais aussi dans les milieux trotskistes sans aucune base historique. L’URSS n’avait pas une politique autarcique ni isolationniste. Si quelqu’un peut partager une analyse sérieuse qui va dans ce sens je le lirai très volontiers...
Si pour vous, un phénomène complexe comme la prise de pouvoir par la réaction et la chute de l’URSS s’explique surtout car les "prolos" soviétiques n’avaient pas d’accès au même niveau de consommation qu’en Europe occidentale ou aux US ou le Japon, je ne suis pas d’accord. Le phénomène "anti-stalinien" a commencé même avant la mort de Staline, ironiquement, les anti-Staline n’ont pas développé ni la biologie ni l’informatique dans le pays, clairement les points les plus faibles. Ce que vous appelez aujourd’hui en Chine "socialisme de marché" est plutôt un capitalisme d’Etat. Malheureusement, les marxistes révisionnistes semblent être dans le sens qu’une politique à la Deng soit la seule option, quand on voit que Deng sans Mao serait un simple capitalisme très typique du tiers monde comme on le voit en Turquie, en Indonésie ou en Inde... On ferme bien sûr les yeux à la catastrophe démographique promue par Deng avec la politique de l’enfant unique (sans mentionner les énormes erreurs géopolitiques de la Chine, qui justifait toute stupidité par le discours "anti-soviétique", voir Vietnam/Cambodge, Somalie/Ethiopie, Afghanistan). La Chine a bien "réussi" le progrès économique, le prix à payer c’est un degré d’aliénation qui empêche même la reproduction du corps (quelque chose d’élémentaire comme Clouscard avait bien souligné dans son avant-dernier ouvrage). Le "progrès" chinois va curieusement dans la direction de l’individualisme et aliénation tout à fait similaire aux phénomènes sociaux qui on observe dans les pays dits "occidentaux".
Donc je ne suis pas d’accord, l’URSS n’a pas échoué par manque de voitures et électroménagers. Si cela est votre "leçon" principale de l’expérience soviétique, je crains que nos principes philosophiques de base sont en contradiction. Epistémologie, organisation, praxéologie, c’est tout un univers intellectuel et pratique qui doivent être travaillés par les marxistes de nos jours. Les très fréquentes allusions aux "socialisme de marché" comme clef pour le socialisme sont condamnées à l’échec car elles ignorent la critique centrale de Marx qui est précisément la double aliénation du capital, à la fois du travailleur mais également de celui qui "possède" le capital.
Sans surprise, on voit des opportunistes comme les gauchistes US, le PCdoB brésilien ou encore le "géopoliticien" Daniel Estulin faire la promotion du modèle "denguiste".

07/02/2024 14:57 par mmmk

PS. J’ai oublié de mentionner dans mon dernier post. Les "pénuries" de certains produits ont été certes un problème dans l’économie soviétique mais rien qui pourrait engender le collapse de l’Etat. C’est la perestroika capitaliste qui va transformer les pénuries en vrai chaos social et économique par la très célèbre subvention du capitalisme par le propre Etat soviétique. Phénomène précoce était celui de la Géorgie, où la subvention de l’Etat avait clairement comme objectif la manutention du marché noir (et des pénuries). Cela n’est pas le résultat de la politique "stalinienne", plutôt de la réaction qui a pris le pouvoir suite à sa mort....

08/02/2024 09:10 par CN46400

@ 3mk
Merci pour votre réponse. Reste à expliquer le pourquoi de quelques particularités soviétiques :
- Une cuvette WC est cassée dans un appartement de Moscou, comment faire ? Trouver un ouvrier plombier qui, moyennant dessus de table, prélèvera un WC neuf sur un chantier....
-Pourquoi le "goulag" et le travail forcé ? Parce que le salaire, même de bon niveau, ne trouvait pas les produits manufacturés correspondant aux besoins ! D’où panne de volontaires remplacés par des colonies de "voleurs de poule" sur les chantiers de l’industrie lourde.....
-Pourquoi les Lada, pour être vendues en Europe, devaient subir une révision poussée à Molsheim (Alsace), sinon pour effacer les malfaçons dues à un travail peu motivé ?
- En fait, le "socialisme dans un seul pays" correspondait à un volontarisme démagogique qui voulait croire que les retards des sociétés arriérées (Russie), précapitalistes, pouvaient se combler par la seule volonté des membres de ces sociétés. C’est d’ailleurs cela qui explique l’autarcie obligatoire qui était imposée aux populations qui, en 1989, se sont précipitées dans les magasins de RFA.
Enfin Lénine, comme Marx, expliquait que le capitalisme est un mode de production qui a dépassé le féodalisme et devrait s’effacer lorsque le communisme en capterait les avantages sans les inconvénients, d’où la NEP pour rattraper, rapidement, le capitalisme développé afin de couvrir les intérêts matériels des prolétaires.
Le socialisme, comme le communisme n’ont d’intérêt que si les prolos y trouvent leurs comptes, aussi bien matériels qu’intellectuels...

08/02/2024 14:22 par CN46400

@3mk (suite)
1 "socialisme dans un seul pays" : thèse de Staline en 1927 qui, sans le dire ouvertement, trois ans seulement après la mort de Lénine, est l’anti-thèse de la NEP qui préconisait d’aller chercher en Allemagne ou USA notamment, les recettes du capitalisme développé. Avec cette idée, qu’il négligera rapidement, il obtient la majorité du PCUS qui perdurera, dans les faits, jusqu’au bout (1953).
2-"Socialisme de marché" ou "capitalisme d’état" : Lénine qualifie lui-même la NEP de recourt au "capitalisme d’état" où c’est l’état qui commande au capital et pas l’inverse comme dans le capitalisme classique. C’est effectivement ce qu’on constate dans la NEP de la Chine actuelle (affaire Jack Ma par exemple).
3- En 1949 la Chine comptait 500 millions d’habitants et un milliard en 1980. Les communistes sérieux se devaient de contrôler cette explosion démographique, Deng l’a fait et réussi !
4- Mao a conduit la révolution, c’est un fait, mais aussi "les cent fleurs", "le grand bond en avant" et la "révolution culturelle", et là : bonjour les dégâts, tout comme la placardisation de Deng Xiao Ping......

12/02/2024 15:18 par mmmk

@CN46400,

Merci de votre réponse. Je me demande pourquoi vous dites "particularités soviétiques". Aujourd’hui, plus de 30 ans après la fin de l’URSS (sans mentionner sa fameuse "perestroika" capitaliste que vous avez simplement ignoré jusqu’au présent). Nous avons selon les organisations bourgeoises, entre 2 à 4 milliards (selon la source) d’êtres humains sans accès aux toilettes ou un système sanitaire jugé décent. Il suffit de comparer la situation avant et après la révolution pour constater les développement malgré les attaques économiques, militaires, diplomatiques et de propagande contre l’Union. Si vous voulez voir le verre demi-vide, c’est votre choix, alors il faut nous expliquer qui a fait mieux.

Elle vient d’où cette "particularité" ? Vous donnez votre exemple du plombier comme si la corruption était un trait typique de l’URSS, pire, vous voulez donner l’impression que la corruption est une conséquence du socialisme soviétique et pas du capitalisme qui a perduré dans les us et coutumes de la population...d’un pays intégré dans une économie globale essentiellement capitaliste. Ces "anecdotes" sont typiques de la classe moyenne réformiste, surtout en Amérique Latine, Sud de l’Europe et Ex-bloc de l’Est, la vision "essentialiste" ou "culturelle" de la corruption qui vise cacher le problème principal, le capitalisme et la grande corruption qui ne se fait pas à cause des WC mais dans les places financières de Hong Kong, Londres, NY et Zurique... cette mentalité colle bien au complexe d’infériorité de la périphérie économique face au "centre civilisé". Venu de la gauche je ferai référence au concept d’auto-phobie développé par Losurdo.

Franchement, c’est un peu difficile vous réponde car vous parlez de une dizaine de sujets sans analyser aucun en profondeur. Je vais donc "sauter" les allusions aux "Ladas" et au "GULAG" et rester sur la question initiale, la NEP.

Lénine est mort avant l’heure d’un point de vue strictement biologique. Donc vouloir deviner si sa position serait plutôt "capitaliste d’Etat", "socialisme de guerre" ou "socialisme de marché" est à mon avis un effort de science-fiction, futurologie hypothétique où chacun va tenir à sa position. Parlons plutôt des faits historiques concrets :

 Lénine a soutenu la NEP dans une période révolutionnaire d’une énorme instabilité, rien ne nous permet de dire si cette mesure serait prolongée pendant 1 année, 10 ou 100 ans. Et nous parlons de la NEP sans même rentrer dans ses détails techniques...Lénine a aussi soutenu la paix immédiate malgré les critiques de Trotsky et de l’ultra-gauche. Est-ce que Lénine envisageait une paix durable ou une mesure temporaire en raison de la situation extrêmement précaire du pouvoir soviétique ?
 Le fait incontestable. L’URSS, malgré une perte démographique nette de plus de 20 millions d’individus, a réussi à devenir la 2ème économie mondiale sans avoir besoin d’employer le "capitalisme d’Etat". L’existence seule de l’URSS a permis aux travailleurs de l’Europe occidentale a conquérir des droits économiques et sociaux qui même aujourd’hui, malgré les attaques de la bourgeoisie, gardent leur utilité pour la grande partie de la population (systèmes de sécurité sociale, systèmes nationaux de santé).
 Or, ma question est assez simple. L’existence de la Chine "capitaliste d’Etat" ou "socialiste de marché" a un effet comparable à l’heure actuelle ? La réponse est clairement non. Ni en Chine ni à l’étranger le "socialisme avec caractéristiques chinoises" n’est pas perçu comme une menace en tant qu’alternative au système actuel (la Chine est une menace pour les US et vassaux sur le plan purement géopolitique). La situation sociale en Chine est très grave, le fait que la population arrive à s’acheter des biens de consommation (d’une qualité douteuse, il suffit de voir l’adhésion de la Chine "socialiste" aux OGM si prisés en Amérique) ne dit rien de la situation du pays au sens large, les travailleurs ont des droits très limités, ceux de la campagne qui travaillent en ville n’ont même pas le droit de vivre avec leurs enfants, donc vous visitez vos enfants 2 fois par an, voire moins... Et cela c’est juste un exemple, allez voir comment le système de "sécurité sociale" en Chine est performant..
 Le fait que la Chine de Deng soit le pionnier avec les US dans l’industrie qui fait la promotion du trans-humanisme n’est ni une coincidence ni un signe du développent chinois, plutôt le signe du capitalisme tardif dans sa phase de nécrose qui se tourne contre le même organisme qui lui sert de support vital. L’aliénation progresse malgré votre aveuglement menchevique où le capitalisme doit progresser davantage et il nous suffit d’attendre le jour où il va tomber tout seul.
PS. Concernant votre défense de la politique de l’enfant unique, ça parle beaucoup de votre vision du monde. Votre adhésion au malthusianisme pseudo-darwiniste est révélatrice de votre position épistémologique plus large. Je ne peux que faire référence à Patrick Tort pour indiquer une alternative urgente à ce révisionnisme historique et scientifique.

13/02/2024 16:45 par CN46400

@3mk
Pour avoir une idée du "menchevisme de Lénine", parcourir les tomes 35,36,27,45,42,32,33 des OCs qui abritent ses articles concernant la NEP.
La qualité des produits manufacturés chinois, expliquent, autant que leurs prix, leurs succès, dans tous les zones du Monde, où ils sont proposés à la vente. Ce qui démontre une évolution colossale, et sans comparaison sur la période, des savoirs faire et compétences des prolétaires chinois depuis 1979. Et qui, par ailleurs, savent se faire entendre du pouvoir quand c’est nécessaire (Ex : sortie du covid)

14/02/2024 08:54 par CN46400

@3mk,
" Est-ce que Lénine envisageait une paix durable ou une mesure temporaire en raison de la situation extrêmement précaire du pouvoir soviétique ? " Lénine a répondu en 1921 lors du congrès des syndicats de Moscou : " c’est une politique pour plusieurs générations ! "
Au même titre que l’idéologie, le niveau des compétences des prolétaires, fait partie de la puissance politique du prolétariat. En fait, cette politique a été envisagée par Lénine sur la base de l’expérience du capitalisme japonnais de la fin du 19°siècle qui a capté les savoirs industriels occidentaux....

16/02/2024 17:17 par mmmk

@CN46400,

Je ne possède pas les OC, donc la référence assez générique que vous faites à Lénine n’aide pas trop à la discussion...

Par contre, j’ai en ai le pdf "collected works" de Lénine disponible sur Z Library. Une lecture attentive à son discours lors du 11ème congrès, de son entretien au Manchester Guardian (Nov 1922) et à son texte sur les coopératives publié en Jan 1923 montrent très bien les objectifs, limites et risques du capitalisme d’Etat. Une analyse de la situation en Chine nous montre pas seulement comment les limites au capitalisme en Chine pratiquement n’existent pas (la crise immobilière profonde produit de la spéculation en est la preuve), les objectifs ne sont pas définis (Xi lui-même ne parle et n’écrit jamais de socialisme, le modèle coopératif ne se développe pas de tout), et le risque souligné par Lénine (référence à la "prévision" d’Ustryalov) est aujourd’hui une réalité. Vous avez bien fait en mentionner le COVID en Chine, qui loin de montrer la "force" des travailleurs, révèle la politique anti-travailleurs menée par le CPC actuel. Le capitalisme d’Etat promu par Lénine avait pour but nourrir la nation et reconstruire l’industrie. Or, ces objectifs en Chine sont atteints depuis longtemps. Malgré cela, on ne voit aucun développment vers le socialisme. Le capitalisme d’Etat est devenu une fin en soi.
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17/02/2024 08:30 par CN46400

@3mk,
Xi lui-même ne parle et n’écrit jamais de socialisme, le modèle coopératif ne se développe pas de tout),
C’est presque vrai, mais quand en URSS on parlait sans limites de socialisme avec des millions de travailleurs forcés, des magasins spéciaux pour la "nomenclatura" etc... était-on vraiment dans le socialisme ?
Xi parle de la réalité de la Chine, et de l’extraction progressive de millions de prolos de la misère avec une hausse ininterrompue des compétences et savoirs qui permet à la Chine de produire à peu près tous les produits manufacturé existants dans le monde.
En Chine c’est le PCC qui contrôle le capital, et pas l’inverse, comme noté dans divers évènement, Jack Ma, Evergrande, etc... C’est le "capitalisme d’état" décrit par Lénine, rien de plus et rien de moins.
Le capitalisme a mis des siècles avant de supplanter complètement le féodalisme, il en mettra peut-être autant avant de débarrasser complètement le plancher, même si la révolution, basculement du pouvoir de classe, se joue parfois en quelque semaines.

20/02/2024 09:38 par mmmk

@CN46400

Je ne pense pas que se "tenir" aux défaillances du système soviétique soit la meilleure solution pour justifier l’immobilisme (voire la régression) du socialisme en Chine... Les millions qui sont sortis de la pauvreté est un fait que je ne conteste pas. Cependant, des atures pays ont fait de même (Japon, Corée du Sud, l’Inde est en train de le faire - cela va justifier notre soutient à un modèle "Indien" ?). En tant que socialistes on ne devrait pas oublier que ceux qui sont devenus classe moyenne en Chine le font sur le dos des ouvriers chinois et des travailleurs du tiers monde en général (qui fournissent les matières premières à l’industrie chinoise). Je ne m’attend pas à une sortie magique ou facile du capitalisme, mais je ne tombe pas dans ce futurologisme qui nous autorise à dire que nous avons besoin de X ou Y siècles pour abandonner le capitalisme (qui se rapproche à une lecture menchevique de l’histoire et de l’économie). Les limites du "capitalisme d’Etat" chinois doivent être analysés sans romantisation et sans peurs. En faisant encore fois référence au capitalisme d’Etat selon la formule de Lénine lors du XIème congrès, je pense que vous avez pas pris note d’un aspect très important. Celui de la pratique de gestion (efficace) qui était centrale pour Lénine, je dirais presque un appel praxéologique à son parti et je crains que la plupart n’ont pas compris le message.
Quand Lénine soutient la NEP il se base sur 3 arguments : 1er - L’urgence de nourrir la population, donc donner une certaine liberté commerciale aux paysans, 2ème - apprendre avec les capitalistes, Lénine ne disait pas que l’URSS avait besoin d’une phase plus ou moins longue de capitalisme (cela serait un retour au menchevisme), il disait simplement que les communistes savaient faire de la politique mais pas de la gestion, du commerce, de la logistique, de l’administration, donc du travail pratique pour faire bouger la machine économique et étatique (et fournir les produits et services dont vous avez fait mention). Lénine souligne que l’URSS a le pouvoir politique et les ressources naturelles à disposition ainsi que le monopole de la grande industrie, c’est le savoir-faire qui manque (le texte en anglais utilise le mot "ability"). C’est ce savoir-faire le principal intérêt de la NEP à l’exception de la question agricole qui était urgente, mais temporaire. 3ème - Mettre les capitalistes à travailleur pour l’URSS, il donne une anecdote pour illustrer ses propos, ici on revient à la question de la connaissance technique, du savoir-faire qui doit être appris par les communistes, le pouvoir politique en soi ne leur donne pas accès à ce savoir. C’est le temps et le travail qu’en donnent. Quand je critique Deng et ceux qui l’ont suivi, je critique surtout le fait que la justification d’urgence pour le Capitalisme d’Etat n’est plus d’actualité en Chine et que la question du savoir-faire capitaliste pour la construction du socialisme n’est pas simplement dans l’ordre du jour en Chine. Aujourd’hui les académiciens, fonctionnaires publiques et les membres du parti ont eu assez du temps pour "apprendre" pratiquement tout ce qu’il fallait des capitalistes. Malheureusement, ce qu’on voit aujourd’hui c’est un capitalisme plus papiste que le Pape (exemple, le crédit social chinois conçu pour faciliter la vie aux fintechs selon les propres médias d’Etat en Chine - donc augmenter l’extraction de plus value des travailleurs chinois).
La NEP était nécessaire vu la situation catastrophique en l’URSS à l’époque. La vision "praxéologique" de Lénine fut simplement ignorée par les marxistes actuels. C’est pour cette raison que le "socialisme avec caractéristiques chinoises" a ce bon dos qui permet tous les abus et extravagances par la nouvelle bourgeoisie chinoise (oui, dominé par le parti, le grand mystère qui reste à définir c’est jusqu’à où la nouvelle bourgeoisie n’a déjà infiltré le parti - on sait très bien que la famille de Xi n’a pas un passé forcément "maoïste").

21/02/2024 08:46 par CN46400

@3mk,
Pour l’histoire, et c’est ce qui finalement nous occupe, "le socialisme dans un seul pays" de Staline n’a pu éteindre toutes les pénuries qui ont perduré jusqu’à la fin (1991) en URSS. Par contre la NEP de Deng les a éliminées en moins de 40 ans, malgré le solde hérité des 30 années volontaristes qui ont précédé. Il parait aussi que la famille de Xi, comme Deng d’ailleurs, ont essuyé quelques désagréments lors de la "Révolution culturelle", et il est possible qu’en URSS aucun des deux n’aurait survécu.
En définitive, la révolution socialiste peut exploser partout, si les peuples la désirent, mais le socialisme ne peut faire l’impasse sur les savoirs accumulés par les modes d’exploitation précédents jusqu’au capitalisme développé. Tout simplement parce que ce qui commande à la fin des fins, c’est le niveau de vie de la majorité des prolos, ceux qui doivent travailler pour vivre. Quand Lénine expliquait à l’allemand SD Kausky que la révolution avait éclaté en Russie parce que c’était là que la chaîne du capital était la plus fragile, il avait déjà, dans son esprit les shémas de la NEP pour la captation des savoirs du capitalisme allemand et US ("Tâches immédiates du pouvoir des soviets-avril 1918-T27 des Ocs)

21/02/2024 09:03 par CN46400

@3mk, (suite)
"Quand je critique Deng et ceux qui l’ont suivi, je critique surtout le fait que la justification d’urgence pour le Capitalisme d’Etat n’est plus d’actualité en Chine"
En fait est toujours posé le pb militaire de l’impérialisme US et de sa "valettaille occidentale". Tant que cette situation perdurera, aucune révolution socialiste ne pourra négliger, ou laisser dépérir, la puissance de l’état, ne serait-ce que pour se défendre.....

22/02/2024 14:44 par mmmk

@CN46400,

Je n’ai pas toujours compris sur quelle base vous faites cette analyse "socialisme dans un seul pays". Cela n’a jamais existé ni en théorie ni dans la pratique. L’URSS a fait du commerce avec une bonne partie de la planète avant, pendant et après la morte de Staline. En termes géopolitiques l’URSS a toujours essayé d’exporter la révolution (exemple du Soviet de Xinjiang car on parle de la Chine, je pourrais parler aussi de la révolution mongole de 1921). Peut-être vous n’êtes pas d’accord avec l’approche choisi à l’époque, mais dire qu’il y avait une politique officielle ou non-officielle de socialisme dans un seul pays me semble erroné.

En plus je trouve assez injuste dire que la Chine a réussi plus que l’URSS. Le bilan géopolitique de l’URSS est clairement plus favorable. La Chine avait une "stratégie" complètement chaotique en matière étrangère (guerre du Biafra, guerre du Ogaden, soutient aux islamistes afghans, soutient au Khmer Rouge et invasion du Vietnam après le départ des US - le point le plus bas de toute la politique étrangère chinoise post-révolutionnaire). En plus déconnecter la révolution maoiste de la révolution léniniste me semble également une erreur. C’est assez facile dire, ouvrez-vous au capitalisme pour faire sortir quelques millions de la pauvreté, on oublie que sans l’URSS peut-être il y aurait même pas de Chine socialiste.

PS. La révolution culturelle a connu un bon lot de excès et sottises (comme dans n’importe quelle révolution). Mais comme dans les procès de Moscou, une bonne quantité de contre-révolutionnaires ont été punis. C’est le cas de Xi et sa famille qui sont à l’aile droite du parti.

22/02/2024 16:48 par mmmk

PS. On ne peut pas s’attendre au jour quand il y aura plus de menace géopolitique US pour commencer à mettre de la pression sur le PCC.. Ce jour n’arrivera pas dans notre génération de toute façon et en tant que socialistes / communistes, c’est clair que l’impérialisme est lié aux intérêts de classe donc il y a pas de sens de dire que on ne doit/peut critiquer la Chine à cause des menaces géopolitiques. Je critique le PCC actuel par des raisons économiques, politiques, etc. Je ne fais pas apologie au séparatisme Tibétain, Hong Kongais ou Taiwanais...

22/02/2024 17:48 par CN46400

@3mk,
"Le socialisme dans un seul pays" est une formule qui n’a servi qu’en 1927 lors de la prise de pouvoir total par Staline, juste le temps d’évacuer la NEP déclarée obsolète puisque le socialisme était considéré non comme un mode particulier de fonctionnement d’une société, mais comme une construction sociale, dans un pays, indépendamment de tous les autres. En fait la formule a fait long feu....
"En plus je trouve assez injuste de dire que la Chine a réussi plus que l’URSS." Le marxisme c’est aussi l’objectivité. Il suffit de comparer la force de travail actuellement disponible en Chine par rapport avec ce qu’a pu mobiliser l’URSS pour juger. Je reconnais les sentiments que provoque l’échec soviétique parmi les militants mais le plus sérieux, pour dépasser cette situation, est d’essayer de dégager les causes profondes de cet échec, c’est ce que je fait...

23/02/2024 08:07 par CN46400

@3mk (suite)
Pour comprendre que la chute de l’URSS n’est pas que le résultat d’un complot pro-capitaliste, il suffit de constater qu’aucun peuple vivant sous le régime capitaliste n’a accepté de revenir au féodalisme. Alors que les peuples soviétiques ont, accepté et même milité, pour revenir, 70 ans après la révolution "socialiste", au retour au capitalisme. La raison profonde n’est pas autre chose qu’un pb de niveau de vie largement sous-estimé par le pouvoir, jusqu’en 91, après l’abandon de la NEP (1927)....

24/02/2024 22:26 par mmmk

@CN46400

Par rapport au "socialisme dans un seul pays". Vous avez répété deux fois une formule, vous n’avez pas presenté des arguments. Je pense qu’on peut laisser tomber ce sujet.

Vous faites une défense assez générique de la Chine et ne rentrez dans le détail d’aucun aspect que j’ai souligné jusqu’à présent. Je pense que le débat reste comme il est. Aucun mot sur les discours ou entretiens de Lénine à propos de la NEP malgré votre référence "globale" aux OC...

Dire que les peuples n’ont pas "choisi" retourner au féodalisme c’est un argument assez bizarre. Tout d’abord, je pense que nous sommes d’accord que l’ambition du socialisme (communisme) est plus radicale que celle du libéralisme bourgeois. En plus "féodalisme" est un modèle assez hétérogène et surtout pertinent en Europe. Le modèle "asiatique" un peu développé par Marx n’est pas féodal. Et je doute que les peuples d’Amérique ou Océanie ont eu un "choix" de aller vers le capitalisme libérale ou le féodalisme. Marx a toujours fait une analyse globale du capital. le "retour au capitalisme" de l’ex-URSS ne se fait pas dans le vide, l’Afghanistan et le Zimbabwe ne sont pas des exemples de pays où le "peuple" peut "choisir" aller vers le libéralisme ou le féodalisme... Tout ça n’a pas de sens... votre argumentation c’est basiquement une défense du consumérisme en Chine en faisant abstraction du capital dans sa globalité, de sa dynamique et des impacts sociaux sur la population chinoise. Je n’ai aucun mal à analyser la chute de l’URSS ni ses défauts. Mais je vais pas adopter la vision de certains trotskistes qui se sont réjouis de la chute de l’URSS...ici en Europe occidentale on voit que la fin de l’URSS était le début de la vague néo-libérale que "l’ascension chinoise" n’a rien fait pour ralentir ni en Chine ni ailleurs... comme j’ai déjà dit avant, la Chine est pionnier du transhumanisme au côté des USA. Si pour vous cela est inévitable / désirable. Félicitations, vous êtes d’accord avec Harari, Zizek et autres relations publiques du système à la mode. Sur un point je suis d’accord avec vous, il y pas de retour au féodalisme (contrairement à ce que dit la "tête pensante" Varoufakis) il y a plutôt une adhésion à un nouveau type de fascisme comme a écrit très clairement Harari et comme a prévu Clouscard.
Mais merci quand même de ces échanges. Toujours intéressant analyser les arguments des pro-Denguistes.

25/02/2024 08:08 par CN46400

@3mk,
"En plus "féodalisme" est un modèle assez hétérogène et surtout pertinent en Europe. Le modèle "asiatique" un peu développé par Marx n’est pas féodal."
Hétérogénéité du féodalisme, ok puisque peu ou pas de contacts entre les zones terrestres concernées contrairement au capitalisme depuis deux ou trois siècles. Reste que le capitalisme d’état chinois, contrôlé par l’état, présente assez de particularités pour inquiéter tout ce que compte la planète de capitalistes classiques, purs et durs, qui ont du mal à admettre que le capital ne domine pas l’état chinois....
Quand à la critique du "consumérisme" chinois, je la laisse aux bobos occidentaux.... Reste que lorsque le mur de Berlin est tombé, les premiers déplacements de la population de RDA, pourtant pays le mieux achalandé de l’Est, l’ont été pour visiter les supermarchés de l’Ouest.....

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