Dans un premier mouvement j’ai dit à Bernard Gensane :
Deux plans séquences qui font d’abord croire qu’il s’agit de games warriors : des espèces de robots hérissés d’antennes et autres bazars, les FM menaçants, se déploient dans un paysage de type africain. Doublés chacun d’une phrase lapidaire.
La seule que j’ai retenue, qui accompagne le premier plan est stupéfiante : « DÉVELOPPEZ VOS COMPÉTENCES ». La deuxième ne l’est sans doute pas moins mais, tout à ma surprise, je ne l’ai pas notée.
En d’autres temps, ce genre de pub était accompagné d’images montrant qu’à l’armée on apprenait un métier : soudeur, ajusteur, dépanneur télé... que sais-je ?
Aujourd’hui la compétence est sans doute de savoir ratisser. En terre inhospitalière.
Puis, je me suis trouvé bien dupé par cette production et me suis ravisé, en invoquant mon esprit de l’escalier.
Alors voici ma thèse :
Les agents recruteurs de l’armée visent dans ce clip un public supposé abruti de jeux vidéos.
C’est donc délibérément qu’ils s’adressent ainsi à lui en singeant les clips publicitaires de ces produits, et non par une simple recherche d’esthétisme qui n’est au fond choquante que pour ceux qui, comme moi, ne sont pas directement concernés.
La métaphore visuelle se trouve donc doublée par celle du : « Développez vos compétences », ce qu’il ne faut pas entendre au premier degré comme je l’avais d’abord fait, c’est-à-dire pour atteindre une utilité sociale, ou apprendre un métier, mais bien plutôt comme on progresse dans la manipulation des manettes des consoles nintendo ou playstation., où l’on atteint effectivement la « compétence ».
Ces petits malins de recruteurs pensent ainsi pouvoir faire croire aux pauvres bougres qu’ils cherchent à appâter que l’armée les invite à entrer dans le virtuel dont ils sont censés être hantés.
Ce qui renvoie en fait à l’Ancien régime :
« Quant a l’autre système de recrutement concernant les soldats de fortune, il est assuré par des sergents recruteurs, véritables bateleurs de foires, qui ne reculent devant aucun expédient pour attirer des jeunes gens en mal d’aventure, souvent poussés par la précarité, la misère de leurs conditions de vie. Ces soldats de fortune se recrutent souvent les jours de fêtes, de foires, dans certains cabarets et tavernes, alléchés par des promesses mensongères. »
(- RECRUTEMENT MILITAIRE A ROUZEDE AU 18ème SIECLE -) Par Mme Fils Dumas-Delage.
Ajoutons qu’on les faisait même boire pour leur extorquer leur signature : avec leur gueule de bois, ils découvraient qu’ils s’étaient engagés. On voit cela dans Fanfan la tulipe.
Ce qui a changé c’est simplement que l’ivresse souhaitée ici est celle de la simulation dans les jeux de guerre vidéos.
Et à la réflexion, la première interprétation méritait quand même d’être maintenue car le message est d’une ambiguïté voulue, même si la violence réelle qu’il reflète et celle qu’il impose à l’esprit en sont absolument dépourvues.
Une question en conclusion : lesquels sont les plus abrutis dans cette campagne de recrutement, ceux qui la reçoivent ou ceux qui la font ?
Mauris Dwaabala