Lu dans L’Huma d’hier :
En voilà un beau Schmilblick. Quoi, le « prince des loufoques », grand manitou du Parti d’en rire, candidat à l’élection présidentielle de 1965 ? Pour la première fois dans l’histoire, la France s’apprête à élire son président au sufrage universel direct, instaurée par le référendum de 1962. Le grand favori est bien sûr le général de Gaulle, revenu aux manettes en 1958 à la faveur du coup de force dans le contexte de la guerre d’Algérie. La campagne électorale ne devrait être qu’une formalité : d’ailleurs, le général n’en mène pas. Le 11 février, une curieuse conférence de presse est donnée à l’Élysée-Matignon – un night-club de l’époque au nom idoine. Près de dix mois avant le scrutin, un nouveau parti est lancé : le MOU, pour Mouvement ondulatoire unifié.
Son fondateur-candidat ? Un certain Pierre Dac. Son slogan ?
« Les temps sont durs, vive le MOU ! »
« Sonate au clair de l’urne »
Quand il arrive sur la scène, avec deux catcheurs en guise de gardes du corps, l’humoriste a déjà peaufiné son discours. Ce n’est pas la première fois qu’il tourne en dérision les travers de la vie politique : il avait déjà créé le ministère de la Fat a l i té a f i n de pallier les ministères incompétents et composé une « sonate au clair de l’urne ». Mais, cette fois-ci, c’est du sérieux. Pierre Dac est le premier à se lancer, et a déjà commencé à constituer son gouvernement avec, pour ministres, René Goscinny et Jean Yanne. Et son programme comporte déjà quelques mesures phares, notamment en matière fiscale, avec la création d’un territoire suisse dans chaque pays européen, ainsi qu’une grande réforme révolutionnaire qui consisterait à ce que chaque citoyen paie les impôts de celui qui se trouve à l’échelon inférieur. Quant aux affaires étrangères, aucun problème, puisque Pierre Dac se félicite d’être en excellents termes avec les chefs d’État étrangers : « Étant donné que nous ne nous sommes jamais rencontrés, nos opinions sont en parfait état de concorde », lance-t-il devant un parterre de journalistes hilares.
La campagne est lancée. Dans chaque numéro de l’Os à moelle, revue satirique dont il est le directeur, Pierre Dac détaille de nouvelles idées.
Certaines relèvent d’une acuité et d’un à-propos qui ne se démentent pas, près de cinquante-sept ans après : il propose ainsi « des mesures pour relever le Smic avant qu’il ne tienne plus debout », veut que « demain le favoritisme soit accessible à tous ». Quelquefois, cela tourne au génie visionnaire : « pour sauver une circulation parisienne au bord de l’asphyxie », il propose de « développer la pratique du bouche-à-bouche de métro et remplacer les voitures officielles par des trottinettes ».
Un retrait au profit du général de Gaulle
L’imposture prend de l’ampleur.
D’autant que cette élection de 1965 inaugure une nouveauté qui va bouleverser la vie politique : les sondages. Alors que s’approche l’été, la candidature de Pierre Dac fait un tabac dans l’opinion. Les autres candidats entrent en scène : François Mitterrand, Jean Lecanuet, Marcel Barbu, Charles de Gaulle. Ce dernier, chose impensable, est mis en ballottage dans les intentions de vote. Le général et Pierre Dac sont proches : ce dernier, résistant de la première heure, l’avait rejoint à Londres.
Le chef de l’État lui demande de se retirer en septembre : Pierre Dac obtempère. Avec un argument qui résonne bizarrement, cinquante-six ans après : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l’extrême droite, la magistrature suprême.
Il y a donc désormais dans cette bataille, plus loufoque que moi. »
À y regarder de plus près, et comme le fera un certain Coluche quinze ans plus tard, sa candidature n’était pas si loufoque,finalement.
BENJAMIN KÖNIG
« Les temps sont durs, vive le MOU ! »
PIERRE DAC
CANDIDAT DU MOUVEMENT
ONDULATOIRE UNIFIÉ