Si l’on reste méthodique, il faut se garder de passer trop vite des différences numériques dont nous parlons à la conclusion que, pour utiliser les mots de Georges Rodi, "ils ne manipulent pas les données". Pour ma part, je n’emploierais pas ce "ils". Comme l’a souligné Auguste Vannier, les statistiques sont le produit d’opérations complexes qui s’effectuent à différents niveaux avec des personnes qui ont dans la collecte de données des intérêts divergents (les opérateurs de terrain étant plus conscients de la part d’incertitude que recèle ce genre d’activité administrative et moins convaincus de leur utilité par exemple).
En fait, il n’est pas du tout clair que le MAE chinois se soit abstenu de jouer avec l’ambiguïté des chiffres dont il disposait.
Comme vous le constaterez en lisant l’article du Global times cité dans le précédent commentaire, il y a une différence non-expliquée entre le chiffre indiqué par le corps du texte (12,71 millions de Ouïghours pour 2018) et celui que montre le graphique illustratif de ce propos (qui indique un chiffre sous la barre des 12 millions) et qui est basé sur les almanachs statistiques du Xinjiang.
Ce dernier chiffre est en effet clairement sourcé alors que celui au-dessus de 12 millions ne l’est pas.
https://www.globaltimes.cn/page/202101/1212073.shtml
En relisant cet article de Grayzone, traduit par le Grand Soir,
https://www.legrandsoir.info/l-accusation-de-genocide-de-la-chine-portee-par-le-departement-d-etat-americain-repose-sur-l-utilisation-abusive-de-donnees-et.html
on remarque d’ailleurs que cette différence était signalée par Max Blumenthal et Gareth Porter : "Les chiffres de Zenz montrent une augmentation de la population ouïghoure de 10,1 millions à 11,8 millions au cours des années 2010 et 2018, tandis que les chiffres du gouvernement chinois montrent une augmentation encore plus importante de 10,1 à 12,7 millions. Cela signifie que la population ouïghoure du Xinjiang a augmenté de 25,04 %, un chiffre stupéfiant."
Cette différence ne fait l’objet d’aucune explication.
Il est intéressant de noter que l’article met en parallèle deux graphiques, l’un issu de l’article déjà cité de Global Times et l’autre du "rapport" de Zenz sans remarquer qu’ils présentent, non des données différentes mais des données, vraisemblablement identiques, qui indiquent une population ouïghoure sous la barre des 12 millions en 2018.
La même incohérence se retrouve d’ailleurs au niveau de la population Han : le texte indique environ 9 millions et le graphique environ 8 millions.
La source pour le graphique du Global Times et pour celui de Zenz semble être la même (le "statistical yearbook of Xinjiang").
Pour justifier ces différences, il faut supposer une autre source que les almanachs statistiques du Xinjiang, source à laquelle se réfère Wang Wenbin dans la conférence de presse du 28 octobre 2020. Par économie, on peut aussi faire l’hypothèse que cette source est également celle qui donne le chiffre de Bruno Guigue et de Théophraste pour 2017 (12,3 millions). De ce point de vue, il serait d’ailleurs intéressant de connaitre l’origine de ce dernier chiffre.
Pour ma part, je n’exclurais pas l’hypothèse suivante : les almanachs statistiques dans les sections consacrés aux décomptes "ethniques" ne répertorient pas l’ensemble de la population de la région. Quand on additionne grossièrement les populations ouïghoure (+/- 11,7 millions) et han (+/-8 millions) telles que les présentent les graphiques, on obtient un total aux alentours de 19,7 millions de personnes alors que l’on devrait trouver, selon ce que nous dit le texte, 21, 7 millions (12,7 millions de ouïghours et 9 millions de hans). Le texte indique par ailleurs une population totale de la région de 24,8 millions avec le groupe composé par les autres minorités aux alentours de 3 millions.
Entre les chiffres de l’almanach et ceux de l’article, il y a donc une différence de 2 millions de personnes.
Almanach : Ouïghours : 11,7 millions Hans : 8 millions Autres minorités : 3 millions* Total : 22,7 millions
G Times : Ouïghours : 12,7 millions Hans : 9 millions Autres minorités : 3 millions 24,7 millions
(*par hypothèse)
Comment pourrait-on expliquer l’existence de ce solde de 2 millions de personnes ? Peut-être par le fait que le Xinjiang étant une région d’assez importante immigration depuis le reste de la Chine, une partie significative de la population de la région n’est pas encore complétement enregistrée (Elle n’a pas par exemple de hukou).
On peut penser que la conférence de presse répartit équitablement ce solde de 2 millions de personnes entre les ouïghours et les hans alors que le recensement de 2020 semble indiquer qu’en réalité une plus grande partie, sinon l’ensemble de ce solde devait être attribué aux hans. Le nombre de ouïghours aurait été surestimé à des fins démonstratives (montrer une augmentation de 25% sur 8 ans alors que le recensement la situe aux alentours de 15%) et inversement celui des Hans sous-évalué dans des proportions tout à fait remarquables (l’article parlant d’une augmentation de 2% sur 8 ans alors que le recensement fait état d’une augmentation de 25% par rapport à 2010).