Juin 2007 : après la prise du pouvoir par le Hamas, les autorités israéliennes renforcent leur siège de manière drastique. Le territoire est bouclé, les postes frontières fermés, plus rien ne passe, à l’exception des biens humanitaires les plus basiques.
Les raisons sécuritaires invoquées par Israël ne résistent pas à l’épreuve des faits. Le siège témoigne d’un véritable acharnement contre la population de Gaza. La liste des produits interdits, révélée en 2010 par l’ONG israélienne Gisha, est ubuesque : sauge, cumin, coriandre, gingembre, chips, fruits secs, plâtre, bitume, ciment, fer, glucose, tissus pour vêtements, cannes à pêche, filets de pêche, papier format A4, instruments de musique, jouets, machines à coudre…
Qui pourra sérieusement prétendre que de telles restrictions peuvent être justifiées par des considérations sécuritaires ? Il s’agit en fait d’une sanction collective, illégale au regard du droit international, en contradiction flagrante avec la résolution 1860 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui appelait en janvier 2009 "au libre approvisionnement et à la libre distribution à travers Gaza de l’aide humanitaire, y compris de la nourriture, du carburant et des médicaments".
Cette punition est infligée à une population qui a été déclarée "entité hostile" par l’Etat d’Israël. L’enfermement, imposé, de la société gazaouie a aujourd’hui engendré un véritable repli sur soi et exacerbé les violences et la radicalisation de la société. Le blocus a non seulement des implications sur la vie économique de Gaza, mais surtout des conséquences désastreuses en termes de développement. Sans ciment pour reconstruire, après l’attaque israélienne "Plomb Durci", qui a fait plus de 1 400 morts, les hôpitaux et les écoles restent à l’état de ruines, et les droits fondamentaux d’accès à la santé et à l’éducation ne sont plus que chimères.
Depuis quatre ans maintenant, ce blocus est régulièrement dénoncé par des dizaines d’ONG internationales, y compris israéliennes, mais aussi par de nombreuses agences de l’ONU dont l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), chargée des réfugiés palestiniens, ainsi que par diverses personnalités morales. Ecoutons-les, pour une fois : "Mon message à la communauté internationale est que notre silence et notre complicité, en particulier sur la situation à Gaza, est une honte pour nous tous" (Desmond Tutu, combattant anti-apartheid, prix Nobel de la paix en 1984) ; "Il faut briser le blocus de Gaza en envoyant des navires pour procurer des approvisionnements à la population" (John Ging, coordinateur de l’UNRWA à Gaza)…
A la fin du mois de mai 2010, la première "flottille de la liberté", chargée d’aide humanitaire et de matériaux de construction, a été violemment interceptée par l’armée israélienne. Les réactions internationales à cet abordage qui a fait 9 morts et 28 blessés parmi les passagers, ont été nombreuses. L’attaque israélienne a été condamnée, parfois du bout des lèvres, et nombre de voix se sont élevées pour exiger la fin du blocus. Aujourd’hui, un an plus tard, les agences de l’ONU et les ONG confirment que "l’allègement" du blocus est essentiellement cosmétique.
Les restrictions draconiennes sur les importations de ciment et de produits chimiques sont maintenues, les infrastructures détruites en 2008-2009 comme les stations de traitement des eaux usées, n’ont pu être reconstruites. Les centrales électriques fonctionnent très irrégulièrement et la distribution d’eau potable est des plus problématiques. Les plus récents chiffres de l’ONU indiquent qu’au moins 70 % des Gazaouis dépendent des aides alimentaires internationales, que plus des 2/3 d’entre eux vivent avec moins d’un dollar par jour.
Les dirigeants des pays occidentaux déplorent régulièrement "l’impasse" des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Ne devraient-ils pas cesser de s’émouvoir et agir concrètement pour que le droit international soit enfin respecté, en exigeant la mise en oeuvre de leurs propres déclarations ? Les gouvernements européens, France en tête, doivent faire réellement pression sur Israël, pour qu’enfin cet Etat se conforme au droit international, respecte les conventions de Genève et applique les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. "Condamner" régulièrement l’Etat d’Israël, sans mettre en place des sanctions, est vain.
Il faut des actes.
C’est parce qu’ils ne supportaient plus cette passivité que les passagers de la première flottille ont embarqué pour Gaza. C’est parce que l’inaction perdure qu’une deuxième flottille fera route, dans quelques semaines, vers l’enclave palestinienne, à laquelle se joindra pour la première fois un bateau français.
Nous, membres de la société civile française, soutenons sans réserve cette deuxième flottille de la liberté, pacifique et non-violente, et le signe d’espoir qu’elle représente pour la population palestinienne de Gaza. Nous demandons au gouvernement français de confirmer l’élan que représente cette initiative citoyenne.
Bertrand Badie, politologue, professeur à Sciences-Po ;
Didier Billion, chercheur spécialiste du Moyen-Orient ;
Sonia Dayan-Herbrun, sociologue, professeure de sociologie à Paris-VII ;
Vincent Geisser, sociologue, chargé de recherches au CNRS ;
Nacira Guénif, sociologue ;
Alain Joxe, directeur d’études à l’EHESS ;
Rachid Benzine, islamologue ;
Julien Salingue, enseignant en sciences politiques et doctorant à Paris-VIII.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/16/une-flottille-pour-lever-le-blocus-de-la-bande-de-gaza_1536344_3232.html