Dans le cadre d’un Forum du Front de Gauche le 27 janvier au Théâtre Athénée à Bordeaux, avec André Chassaigne (PCF), Jean-Luc Mélenchon (PG) François Calaret (GU), les organisateurs ont souhaité la participation d’intervenants extérieurs.
Le programme annonçait : « Â Le Front de Gauche a décidé de construire, avec les acteurs sociaux et les citoyens, un « programme partagé » qu’il veut porter dans les élections de 2012.
Il le fait, dans toute la France, notamment autour de 10 thèmes.
Les dirigeants du Front de gauche et les invités de ce forum dialogueront sur les solutions possibles qui fonderont une alternative pour de nouveaux modes de développement ».
Le thème de la soirée bordelaise était : «  Contre le capitalisme vert, unir l’écologie et la justice sociale. »
Maxime Vivas a été pressenti pour Le Grand Soir. Il est intervenu en première séquence dont le sujet à traiter en 15 minutes était : «  A l’échelle européenne et mondiale : quelle rupture mettre en oeuvre ? »
Plusieurs lecteurs du GS présents dans le public ont souhaité recevoir une copie de son intervention. La voici donc.
LGS.
Bonsoir,
D’abord, quelques réflexions, nées de mon vécu de citoyen et d’élu municipal d’un petit village au sud de Toulouse.
Dans mon village, comme dans des milliers d’autres, l’école a fermé, la boulangerie aussi, il n’y a plus de commerce. Le facteur vient d’un village voisin et il passe après midi. Pour avoir du pain frais ou lire le journal du matin il faut faire 10 Km aller-retour.
Et mes chers concitoyens, mes électeurs, sont culpabilisés.
Et d’ailleurs, ils sont coupables, surtout les plus pauvres.
Ceux qui se chauffent avec des radiateurs électriques, ceux qui n’ont pas isolé leur habitat, ceux qui travaillent si loin et à des heures si biscornues qu’ils utilisent deux voitures par ménage, ceux dont les voitures, trop vieilles, polluent et consomment trop essence, ceux qui travaillent trop et qui n’ont pas le temps ou la force de bêcher leur jardin et qui achètent à l’hypermarché leurs légumes qui ont voyagé.
Ils sont coupables puisque les tenants d’un capitalisme vert le leur disent.
On en voit qui, fatigués, passent leurs dimanches à fumer et boire devant leur télé (à regarder Michel Drucker, il paraît que parfois c’est bien) au lieu de se mijoter des repas bios après leur jogging.
Ces braves gens qui n’en peuvent plus, on entend bien, ici et là , et jusqu’à gauche, des gens qui les condamnent, des moralisateurs qui sont prêts à soutenir des lois pour les obliger à une attitude plus verte, plus citoyenne,des lois qui priveraient les fumeurs-buveurs téléphages-sédentaires des remboursements des frais des maladies qu’ils vont avoir,
des lois qui diraient clairement que tel qui ne peut se payer une voiture propre doit opter pour la mobylette, (un vélo serait mieux).
Bref, des lois nécessaires, gravées sur le socle de pierre de nouveaux monuments à ériger dans chaque village ,dédiés aux nouveaux combattants de la «  guerre verte », où l’on pourrait lire : «  Salauds de pauvres ! ».
Va-t-on arrêter de désigner comme planèticides ceux dont l’incivisme revient (c’est une image) à prélever un grain de sable dans la dune du Pyla tandis que des oligarques du monde entier la défoncent avec des bulldozers... dotés de pots catalytiques ?
Va-t-on arrêter de fustiger les petits, les obscurs, les sans-grades, dont parlait Edmond Rostand dans l’Aiglon ?
Va-t-on arrêter de montrer du doigt les jeunes qui usent d’une éducation nationale qui grève le budget de la nation, les chômeurs qui devraient bien accepter les petits boulots de balayeurs de feuilles ou de videurs de bassin à l’hôpital (s’il n’a pas fermé), les vieux qui sont trop malades, les encore plus vieux pour lesquels il va falloir cotiser plus et à qui Alain Minc reproche, même quand il s’agit de son propre père, de trop coûter au pays.
A quel moment précis a-t-on commencé à bafouer le programme du Conseil national de la Résistance, dont Denis Kessler, N° 2 du MEDEF veut détricoter tout ce qu’il en reste ? Se rappelle-t-on que ce programme fut le fruit d’un vaste rassemblement allant des communistes aux royalistes en passant par les gaullistes et les socialistes ?
Je pense ici aux dispositions qui voulaient assurer : «  la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères ».
Que peut-on faire pour que les fléaux de la libre circulation des capitaux, des marchandises, des usines, ne soient pas ad vitam aeternam aggravés par celui de la libre circulation de la désinformation, de la propagande, bref, de ce que Jaurès appelait «  le mensonge triomphant qui passe ? »
J’ai travaillé à la Poste à une époque archaïques où les lettres arrivaient le lendemain de leur expédition.
J’ai travaillé à France Télécom à une époque où la mission était de servir les usagers, ce qui n’empêchait pas de faire des milliards de bénéfices qui étaient reversés, non pas à des actionnaires, mais au Trésor public, c’est-à -dire à vous, indirectement.
Est-ce que les postiers, les télécommunicants, les gaziers et électriciens, les cheminots, les usagers, ont demandé que ces entreprises soient démantelées. Qui l’a imposé ? (Je ne réponds pas aux questions dont vous avez la réponse).
Je connais une ville de 8000 habitants, Grigny, près de Lyon, dont le maire, mon ami René Balme, a proclamé la désobéissance civile.
Ecoutons-le : «  Lorsque la loi est contraire aux intérêts de la population, lorsqu’elle entre en contradiction avec l’intérêt général, lorsqu’elle se heurte au principe de précaution, lorsqu’elle porte atteinte au service public, lorsqu’elle favorise les intérêts de quelques-uns au détriment des intérêts du plus grand nombre, nous ne l’appliquerons pas ou nous freinerons son application ».
Dans cette ville, les panneaux publicitaires sont bannis. Les repas de la cantine scolaire sont préparés sur place, avec des produits frais.
Voulez-vous qu’on prenne le pari que, pour les prochaines élections municipales, de vastes coalitions contre-nature s’emploieront à faire battre ce maire ?
Si l’Europe a renoncé d’emblée à devenir un pôle capable de rompre l’unipolarité du monde, si elle se contente de se poser en clone des USA, d’où peut venir un contre-poids ?
Probablement d’Amérique latine où des pays ont une même histoire,
la colonisation européenne,
les invasions états-uniennes,
les dictatures militaires,
les dictatures civiles,
les droites et les gauches qui se ressemblent et qui se passent le relais.
Ces pays ont ainsi balayé l’éventail des expériences politiques.
Le socialisme du XXI siècle va se bâtir, il se bâtit chez eux,
malgré leur proximité avec la plus formidables puissance militaire, économique, financière, technologique, médiatique que la terre ait jamais connue (Un président mexicain disait : «  Pauvre Mexique si loin de Dieu et si près de l’Amérique ! »).
Plusieurs de ces pays récupèrent leurs richesses naturelles au service du peuple, le gaz, l’eau, le pétrole, développent des politiques nationales soucieuse des intérêts de leur peuple et de l’avenir de la planète.
La plus importante organisation écologique du monde, WWF (vous savez, celle dont le logo est un Panda) a réalisé en 2006, une étude sur les pays qui souscrivent aux conditions pour un développement durable.
Son rapport indique que si les choses continuent ainsi, en 2050, l’humanité consommera les ressources et l’énergie de deux planètes Terre.
Le rapport met sur la liste noire les Émirats Arabes Unis, les États-Unis, la Finlande, le Canada, le Koweït, l’Australie, l’Estonie, la Suède, la Nouvelle Zélande et la Norvège, des pays à forte consommation d’énergie.
Les pays pauvres ont moins d’impact sur la nature, mais à mesure qu’ils se développent certains dépassent la mesure. C’est le cas de l’Inde et de la Chine.
WWF a élaboré un graphique avec deux variables : l’indice de développement humain (établi par l’ONU : niveau d’alphabétisation, espérance de vie, etc.) et ce que l’on appelle l’«  empreinte écologique », indiquant l’énergie et les ressources per capita consommées dans chaque pays. Aucun pays riche, mais également aucun pays pauvre n’a un type de développement qui remplit concomitamment ces deux critères indispensables de durabilité.
Aucun, sauf un.
Je vais agacer le dessinateur Plantu et pas que lui, peut-être : ce pays est Cuba.
«  Cela ne veut pas dire que Cuba soit un pays parfait, mais que c’est le seul à remplir les conditions », précise l’un des auteurs de la recherche de WWF.
Ce qu’a mesuré WWF, pourquoi ni nos médias ni nos politiciens estampillés écolos ne nous en parlent-ils pas ?
Pourquoi ne vont-ils pas y voir ? Compte-tenu de l’enjeu planétaire, ne devraient-ils pas prendre le risque de froisser l’Empire, le FMI, l’OMC, la Banque mondiale, notre opinion publique ?
Elargissons le propos à toute l’Amérique latine.
L’Europe est un conglomérat de pays rivaux où se pratiquent les délocalisations, le dumping social à l’intérieur de ses frontières. C’est une foire d’empoigne, les sommets sont des bras de fer nationalistes, les structures administratives sont des bureaucraties amoureuses du FMI.
L’Amérique latine a créé le Mercosur (le marché commun du sud) et l’Alba (Alliance Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique ), des organismes qui concernent plusieurs centaines de millions d’habitants, et qui regroupent, à eux deux une quinzaine de pays membres ou associés.
Au sommet du Mercosur de décembre 2010 au Brésil, Cristina Kirchner, la présidente de l’Argentine a déclaré« Â Nous devons être intelligents pour ne pas tomber dans le piège des divisions et des affrontements entre pays de la région selon la vielle formule : diviser pour mieux régner, qui doit être supplantée par unir et gouverner »
Le Bolivien Evo Morales (premier président indigène en Amérique latine) dit que si un fonctionnaire du FMI atterrit à La Paz, il devra aussitôt remonter dans l’avion.
Le président Hugo Chavez a annoncé hier (mercredi) aux dirigeants d’une grande banque vénézuélienne, que si elle persiste à enfreindre la loi en refusant d’accorder des prêts immobiliers à des mal-logés, elle sera nationalisée.
Le président équatorien Rafael Correa est disposé « Â à ne pas exploiter 920 millions de barils de pétrole afin d’éviter l’émission de près de 111 millions de tonnes de carbone dues à la combustion de matières fossiles. »
Est-ce que l’Union européenne, si elle ne montre pas la voie, va, au moins, suivre et encourager ?
Il faudrait que nous soyons, pour le croire, ce que mon ami Aurélien Bernier appelle dans le titre d’un de ses livres «  des écologistes benêts ».
Ecoutons Karl Marx : «  Le Capital a horreur de l’absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le Capital devient hardi. A 20%, il devient enthousiaste. A 50%, il est téméraire ; à 100%, il foule aux pieds toutes les lois humaines et à 300%, il ne recule devant aucun crime. »Â
Je termine par une information : en 2007 au Venezuela, a été créé le PSUV, le parti socialiste unifié vénézuélien que quelques médias ont aussitôt baptisé «  parti unique ». Le PSUV regroupe une kyrielle de petits partis, naguère autonomes et concurrents. S’ils existaient ainsi, c’est qu’ils étaient différents, avec des programmes différents.
C’est parce qu’ils se sont unis que Chavez est toujours président, que l’argent du pétrole vénézuélien ne sert plus à enrichir des oligarchies locales et les banques des Etats-Unis d’Amérique.
Oligarchies, Etats-Unis d’Amérique, au cas où ces mots de conclusion,paraîtraient hors sujet, j’ajoute ceci :
Dans mon village sans pollution, les électeurs, culpabilisés, ont lavé leurs fautes à l’occasion de l’élection présidentielles de 2007 en donnant deux fois plus de voix aux candidats Verts qu’à l’ensemble des candidats des partis de la vraie gauche.
Dans mon village sans immigration et sans insécurité, mes concitoyens qui veulent que leur vie change ont donné 1 % des voix à Marie-Georges Buffet et 8 % à JM Le Pen.
Peut-être faudrait-il qu’on leur parle, ainsi qu’à tous ceux qui pensent comme eux, qu’on leur dise que d’autres détruisent la planète et bien plus qu’eux et qu’il existe des solutions à leurs problèmes dans le cadre d’un pays, non pas isolé, mais maître de son destin dans le cadre d’une République fraternelle et respectueuse des différences.
Merci.