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JE SORTIRAI L’ARTILLERIE LÉGàˆRE. Lettre de candidature au poste de Pdg de TF1

Par Luis de Miranda, auteur et éditeur.

Monsieur le président de la République, monsieur le ministre de la Culture, messieurs les actionnaires, je lis ce matin la lettre que M. Nonce Paolini, l’actuel Pdg de TF1, adresse au député Arnaud Montebourg. La missive, adoptant le ton outré de la vertu bafouée, revient entre autres sur les accusations proférées par le député, qui voit en TF1 une « télé poubelle délinquante ». J’apprends par Nonce Paolini, qui a un joli nom d’évêque du moyen-âge, que « c’est la chaîne de tous les français, quelles que soient leur origine, leurs convictions, leur situation sociale, la couleur de leur peau et ils sont 33 millions à la regarder chaque jour. »

33 millions chaque jour ! Je bondis et manque avaler mon café au lait de travers. C’est plus d’un français sur deux. Voilà donc pourquoi j’ai tant de mal à organiser des sorties en groupe le soir. Une personne sur deux est devant TF1, alors que je n’ai même pas la télé (voilà une lettre de candidature qui commence mal). Mais les bruits courent pourtant que la principale chaîne privée d’Europe voit ses audiences baisser. Il n’est pas impossible que M. Nonce Paolini se fasse licencier plus vite que prévu, ce qui n’est pas tragique, car avec un nom comme le sien, il trouvera toujours à se recaser au Vatican.

Je suis donc candidat au poste de Pdg de TF1. Tout d’abord parce qu’en tant qu’auteur et éditeur, j’aimerais que mes livres soient enfin lus par plus de 3333 personnes (fidèles et exigeantes, certes). 33 millions, c’est mieux. Ensuite je suis candidat au poste de TF1 parce que le jour où M. Montebourg s’est de nouveau attaqué à la chaîne, c’est-à -dire fin septembre, je venais justement d’envoyer, à une amie qui produit depuis longtemps des documentaires pour la télévision privée et publique, l’ébauche d’une lettre ouverte à propos du paysage culturel français. Voici, dans une version écourtée pour cause de prime time, le texte de cette lettre, que je me permettrais de commenter au fur et à mesure pour démontrer que je suis le candidat idéal :

Les mots ont leur puissance, qui n’est pas toujours marchande ; il fut un temps où ceux de civilisation et de culture avaient un sens épique. Certains, comme nous, en gardent plus que la nostalgie : la certitude qu’un monde sans hauteur de vue, sans originalité dans sa production artistique, esthétique, politique est un monde ennuyeux.

Ici nous remarquons d’emblée une certaine solennité du propos. C’est digne, mais également un peu ennuyeux, ce qui est gênant lorsqu’on veut dénoncer l’ennui. On sent déjà qu’on va lire la sempiternelle lettre de défense plaintive du grand art. Pas sûr que ça intéresse 33 millions de personnes. Je propose une alternative :

Quand je dis boum !, c’est un mot simple de quatre lettres. On pense à une explosion. Or il n’y a pas que des explosions qui tuent - il y a aussi des explosions de joie. La vie ! La surprise ! Depuis combien de temps n’avez-vous pas assisté à un petit miracle quotidien ?

Ma lettre de ce week-end continuait ainsi :

Aujourd’hui, nous sommes circonspects. Dans le monde de la production culturelle, télévisuelle, cinématographique, livresque, musicale, où nous officions, nous nous sentons encerclés par la tentation de la vulgarité. Qu’est-ce que le vulgaire ? Étymologiquement, c’est le plus petit dénominateur commun, ce qui est compréhensible par la plupart. Il ne faut pas confondre le vulgaire et la vulgarisation. Celle-ci peut passer pour une noble pratique, éducative, émancipatrice, lorsqu’elle tente de faire comprendre à des non spécialistes de quoi il retourne dans des disciplines complexes. Mais le vulgaire part du connu pour arriver au connu, et en cela il ne crée rien, mais tourne en rond, pour passer le temps. Reproduire ce qui fait de l’audience et du chiffre paraît plus sensé, pour ceux qui veulent engranger des bénéfices, que de risquer des propositions novatrices. Celles-ci peuvent provoquer le ravissement, l’étonnement, l’éveil, mais déstabilisent aussi et ne nourrissent pas son homme. Ainsi, de plus en plus de décideurs, jour après jour, décident qu’il ne vaut plus la peine de favoriser la construction et la diffusion la plus large d’oeuvres inattendues et différentes, c’est-à -dire toujours un peu monstrueuses. Ce renoncement porte un nom, que certains ânonnent comme des somnambules apeurés : « le grand public ». De cette chimère, ils présentent un portrait désolant : le grand public voudrait se nourrir d’une soupe toujours plus « populaire », il aimerait toujours les mêmes plats réchauffés, il aurait horreur de penser, il n’aurait aucun jugement critique, il serait guidé uniquement par une émotivité standardisée, des instincts émoussés et une volonté de satisfaction immédiate. En somme, le grand public ne serait pas grand, mais petit, mesquin.

Là encore, je risque d’avoir perdu bien des lecteurs dès la seconde phrase. Il faut synthétiser. Je dirais donc :

Il y a les trucs dingues et il y a les spaghettis bolognaise. On ne peut tout de même pas manger des spaghettis tous les soirs. Vous avez essayé le risotto sec ? Les épinards sibériens ? Allez un peu de courage !

Poursuivons :

Le problème, c’est qu’on ne donne pas vraiment la possibilité aux produits culturels moins standardisés de se frayer un chemin vers les masses : le paysage est bloqué et l’offre n’est diverse qu’en apparence. Car un livre qui est placé en librairie à moins de mille exemplaires restera invisible. Un programme qui passera sur une chaîne à des heures indues aussi. Une pièce de théâtre marginale et sans stars du cinéma dedans, nous n’en entendrons pas parler. En somme, l’argument selon lequel ce qui est de qualité trouve toujours son public est aujourd’hui invalidé par les pratiques de diffusion et de distribution, qui rendent toujours plus visible ce qui est visible et toujours plus invisible ce qui est atypique. Tel est le délit de vulgarité.

Rien de nouveau sous le soleil, dira-t-on ? Oui et non. On pourrait multiplier les exemples et les chiffres pour illustrer la concentration de la puissance de diffusion sur un nombre de plus en plus restreint d’offres, dans tous les secteurs culturels. Mais l’heure est plutôt à l’action et aux propositions originales. Récemment, l’un des inventeurs français de l’audimat, Gérard Ayache, nous confiait qu’il regrettait son idée. Reste que la plupart des tentatives pour introduire du « mieux-disant culturel » dans les plats servis au « grand public » sont tuées dans l’oeuf. Ainsi les éditeurs ont beaucoup de mal à faire lire des romans qui ne soient pas des thrillers à l’écriture standard dont l’auteur aurait un nom vaguement nordique ou américain, bourrés d’effets de réel « près de chez nous » et de sentiments rodés. Si quelque chose est différent, les esclaves de l’hyper-rentable à tout prix diront que c’est froid et distant.

Bon, jusqu’ici, la complainte, dira-t-on, est éculée (a-t-on le droit d’utiliser ce mot en prime time ?). Si on voulait résumer, on dirait :

Il y a des trucs magiques, tellement magiques qu’on ne les voit jamais sans un petit effort.

Ici ma lettre contenait quelques envolées lyriques que je vous épargnerai, du type :

La culture, c’est de la politique : il y va de la grandeur de notre avenir et de la vivacité de notre présence au monde.

Ou encore :

Nos enfants sont de jeunes pousses qui plongent leurs racines dans ce que nos esprits auront produit et créé.

Pour réamorcer la curiosité du public, et lui faire savourer des oeuvres qui remettent en cause ses croyances, nous voyons une première piste : la gratuité. Gratuit. Ca c’est prime time. Voilà pourquoi ça marche TF1 : on a l’impression que c’est gratuit, alors qu’aller à l’opéra, par exemple, ça coûte la peau du postérieur. Si je suis désigné demain comme le successeur de Nonce Paolini, je donnerais aux français du luxe gratuit. S’il le faut, je passerai un opéra à 20h30 avec un chiffre qui clignote en haut de l’écran, montrant au fur et à mesure des minutes qui passent, la somme économisée : 10 euros, 20 euros, et ce jusqu’à 200 euros (le prix d’une bonne place à l’Opéra Bastille) si vous allez jusqu’au bout des quatre heures que dure le magnifique Tristan et Isolde de Wagner. Ou bien je passerai un documentaire qui aura coûté dix millions d’euros à produire. Mettons l’épopée d’Ulysse reconstituée. Et en haut de l’écran, la somme économisée par le spectateur s’il avait lui-même, tout seul, effectué l’Odyssée !

Après avoir lu ma lettre, mon amie productrice me dit : « Lorsque nous proposons un projet pour le prime time, les chaînes, qu’elles soient privées ou publiques, car aujourd’hui la logique de TF1 est contagieuse, nous répondent souvent qu’elles veulent du risque zéro et qu’il faut sortir l’artillerie lourde. » C’est triste, car le risque zéro, c’est la mort. Et l’artillerie lourde, demandez à ceux qui sont en face, on n’en réchappe pas facilement. Quand on prétend avoir 33 millions de personnes devant ses programmes chaque jour, on devrait se sentir responsable devant la vie. Responsable pour les cerveaux et les coeurs, déjà passablement formatés, mais avant tout pour la vie qui circule encore en nous. Cette Vie absolue, vous la sentez ? Je veux que vous fermiez les yeux, tous, vous les 33 millions de personnes qui lisez ces mots en ce moment même. Respirez profondément et sentez en vous la sève bienfaisante de ce flux créatif et aimant, disparate et un peu fou, curieux de mille choses. Oui, vous sentez cette fantaisie créaliste, cette espièglerie sans peur désireuse de naviguer vers des mondes nouveaux, loin de la morosité.
Monsieur le ministre de la culture, monsieur le président de la République, messieurs les actionnaires, nommez-moi Pdg de TF1. Je sortirai l’artillerie légère. Je redonnerai au français le sens de la jouissance durable !

Luis de Miranda

Auteur et éditeur.

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Commentaires
18/10/2010 à 19:46 par Byblos

Personnellement je ne crois pas que les « grands media » comme TF1 prennent le public pour une masse d’abrutis.
Je pense plutôt qu’il s’agit d’une volonté délibérée de transformer les citoyens en moutons bêlants et la Société en troupeau.

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