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Brétigny et les pillards de l’apocalypse

Toujours glaçant de constater qu’une approximation peut enflammer un segment de population, comment dire, un peu à cran.

Dans les heures suivant le déraillement meurtrier du Paris-Limoges vendredi dernier en fin de journée en gare de Brétigny-sur-orge, le consommateur d’actualités aura assisté à une énième démonstration de la plaie qu’est devenue la course à l’information continue. (*)

Parallèlement, dans la soirée, il aura également pu constater une multiplication de propos racistes (voir ici) sur les réseaux sociaux (jusqu’aux responsables politiques FN et UMP) au sujet de caillassages sur secouristes et policiers et de vols sur les victimes par des jeunes.

Tout part d’un article sur le site d’Europe 1 publié vers 22h et reposant sur le témoignage d’une policière du syndicat Alliance, et de quelques tweets de journalistes, immédiatement repris sur le site du Figaro puis sur une réacosphère au taquet.

Seulement voilà. C’est faux ou, au minimum, largement exagéré. Caillassages et pillages sont démentis le lendemain par le ministre des transports, les policiers et les secouristes eux-mêmes. En gros, deux connards ont dû piquer un téléphone portable et quelques mecs s’énerver (c’est mal) parce que des policiers leur ont dit de dégager du périmètre de sécurité (c’est normal) et ça a été répété, amplifié, déformé. Mais tu comprends, comme c’est la banlieue donc la zone islamo-occupée terrifiant ces grands penseurs de droite qui donnent, missel et abécédaire de la défiscalisation au poing, des leçons de peur à la France entière depuis le 16e arrondissement, on ne va pas prendre le temps de nuancer. Ça ira bien comme ça, direction Fdesouche en home page. L’info c’est ici et maintenant coco, et si t’es pas content t’as qu’à t’informer sur Gulli.

Ces trois articles reviennent sur le déroulement de l’intox :

 Bretigny, Cacophonie sur les pillages Slate.fr

 D’Europe 1 à la fachosphère, comment la fausse rumeur s’est propagée ? LePlus

et celui-ci, très précis : Rumeurs et propagandes, quand les droites extrêmes surfent sur la mort et la douleur Debunkers de hoax

Deux aspects dans cette histoire :

1 / A ma droite. Le business des chaines d’info continue : hystériser l’actualité en permanence pour capter le spectateur et valoriser l’espace publicitaire. On peut créer du clash, meubler sur du vide. Ici, durant les deux heures de flottement foutraque suivant l’annonce du déraillement le temps pour les équipes d’être operationnelles les chaines useront des témoins anonymes par téléphone (paye ton édition spéciale). On pille à l’antenne de la photo twittée, de l’Instagram non sourcé, les mots "scènes de guerre" et "apocalypse" sont rabâchés par les animateurs d’actualités. Disons qu’à défaut d’informer précisément, ça crée du mouvement et un climat. Nous n’en savons pas plus, mais nous progressons dans l’émotion continue.

2 / A ma droite extrême. Sur ce préchauffage initial autour d’un drame à fort potentiel d’identification, peut s’opérer tranquille une abjecte récupération politique par l’axe FNUMP. Faites entrer les barbares. Ce soir Papy Voise prend l’Intercités.

On doit s’interroger sur ce qui permet à une goutte d’eau (des actes isolés condamnables) de devenir un jet hydropulsé, à une fausse rumeur de se propager aussi efficacement sur internet. Et de pointer nos idées reçues (on y a tous cru au moins un moment), tout autant que la responsabilité des journalistes qui fout d’un grain de sable une tempête de cailloux. Avant même d’avoir la confirmation de la non-survenance des faits (soit le monde à l’envers de l’information), on pouvait légitiment avoir des réserves sur leur véracité. Dans le catalogue d’images amateurs bon marché diffusées dans la soirée, pas une de vol ou de violence. Parmi la poignée d’envoyés spéciaux tweetant avoir vus des échauffourées, pas un pour sortir la moindre vidéo. Des journalistes dont les caméras ne filment pas un tel scoop, pas même capturé avec leur téléphone portable ? De trois choses l’une. Soit ils sont nuls, soit ils ne sont pas sur place, soit ils sont nuls et ne sont pas sur place (en langage technique, faire une Aphatie).

Intox + course à l’info + récupération expresse par le FNUMP pour un impact maximal sur le cerveau reptilien des mononeurones de droite.

Un cas d’école de la manipulation de l’actu. Jusqu’à la prochaine fois. Ce chaos continu de l’info-pulsion favorisant la prolifération des propos haineux décomplexés ayant été, comme à l’accoutumée, un franc succès.

Plus loin, le traitement médiatique de ce drame est aussi la démonstration que pour être mieux informé, mieux vaut parfois ne pas trop s’informer.

Seb Musset

Illustration : Vautourus-Fnumpus, se nourrit exclusivement d’infos en décomposition.

(*) Note de la rédaction du GS : pour compléter cette réflexion : http://www.legrandsoir.info/medias-et-information-il-est-temps-de-tourner-la-page.html

»» http://sebmusset.blogspot.fr/2013/07/bretigny-pillages-rumeur.html
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