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Biocarburants : pleins d’essence ou ventres pleins ?












solidaritéS, 16 mai 2007.


Crise énergétique, catastrophes climatiques, l’industrie automobile n’en a cure. Ses profits sont bien trop juteux pour qu’elle daigne planter les freins aux feux rouges allumés par le GIEC [1] et les alarmes, devenues quotidiennes, dans la presse, sur nos écrans d’ordinateurs, de TV et de cinéma, tels le film d’Al Gore, « Une Vérité qui dérange » ou « The Oil Crash »qui vient de sortir ! [2]

Extracteurs, transporteurs et marchands de carburants, fabricants de véhicules de toutes sortes [3], vendeurs, garagistes, assureurs, bétonneurs de routes et d’ouvrages d’art, designer, publicistes... aucun des parrains de la maffia mondiale du marché des moteurs à explosion ne veut renoncer à la moindre paillette d’ or noir. Quand les champs de pétrole seront épuisés, quand les moteurs tomberont en panne sèche, ils voudront pomper des ersatz de l’or noir dans les champs de terres agricoles, ces terres qui leur rapporteront du « blé », quitte à affamer ceux qui en vivent : « food against fuel » [4]

Sourds aux alarmes, aveugles aux avertissements, il foncent, plein gaz, prêts à passer sur le corps de millions d’êtres humains. Mais comme la famine prévisible risque de faire mauvais effet, le marketing automobile prend des allures « écologiques » : quelques touches de vert par-ci, par-là et des fleurs plein les pubs de leurs véhicules à carburant mixte, mus à l’essence « éco ». Il s’agit d’un rajout d’alcool vert au pétrole noir dans les proportions allant de 10 à 85%. Un de leurs slogans est d’ailleurs « 85% flowers 100% power » [5]... Un autre qu’ose proclamer la Vaudoise Assurance ! : « Nous faisons une fleur à tous ceux qui roulent vert ». Toutes les marques se mettent au bioéthanol ou au bioester, issus de cultures de colza, tournesol, maïs, canne à sucre, betterave, manioc... [6] pour continuer à vendre leurs engins décriés. Elles « jouent sans vergogne sur les deux tableaux, avec des pubs vertes d’un côté et la promotion de gros véhicules de l’autre », car « un seul plein d’éthanol pour un gros 4X4 nécessite autant de céréales qu’il en faut pour nourrir une personne pendant une année entière ». [7]


Pétrole vert ou « soleil vert » ?

« Nous sommes en l’an 2022... mais les humains n’ont pas changé. Ils sont prêts à tout pour assouvir leurs désirs. Et ce qu’ils veulent, c’est le SOLEIL VERT ». Voilà ce qu’on pouvait lire sur les affiches du film de Richard Fleisher. Ce chef d’oeuvre de 1973 n’a pas vieilli... plutôt rajeuni : la réalité pourrait rejoindre cette fiction si le seul désir des humains n’était plus que de pouvoir manger le seul aliment qui leur resterait : des comprimés de « soleil vert »... [8]

Il ne fait plus de doute : l’humanité entre dans une phase critique et sans précédent. Parmi tous les malheurs qui la menacent, la faim, cette plaie que le capitalisme promettait d’éradiquer à coup de recherches scientifiques, d’innovations industrielles, de développement économique et de croissance du marché. C’est tout le contraire : « la productivité végétale devrait diminuer dans la plupart des régions du monde dans le cas d’un réchauffement supérieur à quelques°C ». [9] Ceci par ce que le « nombre de ces changements [réchauffement,désertification, cyclones, etc.] a des effets néfastes sur la sécurité alimentaire et ont des incidences disproportionnées sur les pauvres ». [10] Mais ce n’est pas tout. Alors que dans le monde, un enfant sur 3 et un adulte sur 7 souffrent de malnutrition, [11] les besoins alimentaires ne cessent d’augmenter et d’ici 2050 « la production agricole mondiale devra doubler ». [12] Or « Nous allons vers une agriculture au coût énergétique élevé, disposant de peu d’engrais et devant économiser l’eau », trois ressources qui se raréfieront. Comment ose- t- on proposer d’affamer des être humains pour alimenter des moteurs à explosion de l’après-pétrole ? Les opportunistes d’Écologie Libérale feraient bien de s’en expliquer.


« Pétrole contre nourriture »

L’ industrie automobile veut cultiver des biocarburants, pour pouvoir continuer à vendre des pleins « bio » qui brûleront dans les moteurs de leurs voitures à carburant mixte. Leurs pots d’échappement crachent autant de gaz à effet de serre que n’en émettent les carburants fossiles qui sont, rappelons-le, tout autant « bio » ! La différence est que la croissance de la matière première végétale du « bio » absorbe autant de CO2 que sa combustion n’en dégage. Mais ce bilan, apparemment neutre, est négatif puisqu’il faut impérativement, non pas équilibrer l’absorption et l’émission de CO2, mais la réduire de façon draconienne. De plus, de sérieux doutes subsistent quant à l’innocuité de ces carburants pour la santé des humains, de la nature et du climat. « Les biocarburants peuvent présenter un bilan global en gaz à effet de serre qui n’est pas satisfaisant, car d’une part il faut le plus souvent consommer de l’énergie fossile pour cultiver les plantes (essence du tracteur et fabrication des engrais par l’industrie chimique), ensuite il y a des émissions de protoxyde d’azote lors de l’épandage des engrais, et enfin il peut y avoir des émissions de méthane et d’oxyde d’azote lors de la combustion des biocarburants qui sont supérieurs à celles obtenues en brûlant du pétrole. ». [13] Bien qu’elles soient étouffées dans le brouhaha du politiquement correct et tues par les écosocialistes qui devraient les amplifier, les voix autorisées, mais discordantes, ne manquent pas : « L’agriculture mondiale me pourra assurer à la fois l’alimentation, la production en carburants et la préservation de la biodiversité. [...] La montée des biocarburants va se traduire par une compétition pour la terre entre cultures alimentaires et cultures énergétiques. La rareté de l’énergie risque de créer une rareté alimentaire ». [14]

Comme pour les OGM, l’éthanol a été lancé par les USA et le Brésil qui en produisent les 3/4. [15] Comme les conséquences de tels chambardements de la politique agricole mondiale inquiètent, la polémique autour des carburants de substitution au pétrole fait rage. Nestlé les condamne, en rappelant que « pour produire un litre de bioéthanol il faut 4560 litres d’eau »- et pas de son eau minérale ! - et ajoutons, un demi-litre de... pétrole par litre de bioéthanol ! [16]

Mais les oppositions les plus vives montent du Sud menacé de pallier la pénurie énergétique dont souffrira le Nord. Les dirigeants cubains et vénézuéliens, appuyés par les mouvements sociaux doutent fort que Lula puisse concilier son objectif alimentaire « Faim 0 » tout en poursuivant l’extension de ses cultures d’éthanol. Mais le bradage des cultures vivrières n’est pas la seule crainte : cette production implique nécessairement la « concentration de la propriété de la terre,la déforestation, la contamination des sols, de l’air et de l’eau et l’expulsion des paysans ». [17] Quant à la Suisse, sa position actuelle est prudente. [18] Elle le restera si nous avons la volonté de dénoncer ces nouvelles aberrations énergétiques et écologiques. [19]

Aberrations, car pour conserver son pouvoir, le contrôle de la production et de la richesse qui en découle, le capitalisme perd la tête. En réaction aux prévisions alarmantes des climatologues et pétroliers, les entreprises capitalistes explorent et s’égarent dans les voies sans issue de la substitution des carburants fossiles, polluants et envoie d’épuisement. A voir les résultats « prometteurs » de leurs recherches, annoncées à grand renfort de publicité, toutes les solutions de sortie de crise auraient été trouvées, et ceci, en moins d’une décennie ! Avec son « développement durable », le capitalisme veut nous faire croire que son système productiviste, qui a épuisé les ressources naturelles, détruit le climat et trahi ses promesses de satisfaire les besoins élémentaires de l’humanité, serait tout à coup capable de réparer ses dégâts et de poursuivre sa mission. Puits de carbone, nucléaire propre, hydrogène à profusion, éoliennes magiques, cultures de carburants... tous les gadgets censés conjurer les catastrophes à venir y passent. C’est comme s’il nous annonçait triomphalement qu’il venait de découvrir que les métastases du productivisme pourraient le guérir du cancer qui le ronge !


Oser dire la vérité

Confronté à son échec, le capitalisme, pris à son propre piège, préconise des remèdes pires que le mal dont il faut dénoncer le déguisement « éco », qui n’a rien d’écologique, mais tout d’« éco »eurant. Le remplacement des carburants pétroliers par des biocarburants en est un exemple parmi bien d’autres : construction de nouvelles centrales nucléaires, marchandisation du carbone et autres trouvailles de la « géo-ingénierie » telles que la fertilisation des océans ou les filtres thermiques stratosphéri ques dont le GIEC ne se prive pas d’affirmer qu’elles « demeurent largements spéculatives et non prouvées,avec des risques d’effets collatéraux inconnus ». [20]

Le capitalisme productiviste a fait son temps et causé beaucoup de dégâts à la planète que les générations qui nous succéderont devront subir et tenter tant bien que mal de réparer. Le meilleur service que nous puissions leur rendre et de l’empêcher de nuire davantage en entraînant l’humanité dans de nouvelles aventures agricoles et industrielles aussi absurdes que dangereuses. Pour ce faire, il faut oser dire la vérité, aussi dérangeante soitelle. Il faut élaborer collectivement des solutions alternatives, les propager en revendications et mobiliser les opprimé·e·s et exploité·e·s pour les mettre en oeuvre, sachant que rien ne pourra se faire sans avoir licencié préalablement les maîtres autoproclamés du monde pour leur incapacité « durable » à respecter l’humanité et la nature.

Le développement capitaliste a eu comme conséquence que les sociétés nanties ne peuvent fonctionner qu’approvisionnées en pétrole, comme de grands malades nourris au sérum vital qu’injectent leurs canules. Le chauffage, l’éclairage, les soins, les transports, la production tomberont en panne dès l’arrivée des premières bulles d’air dans les oléoducs. Ainsi, à la défense des intérêts immédiats et à long terme des travailleurs et travailleuses, il faut dorénavant ajouter celle de leurs intérêts vitaux. Les revendications traditionnelles de la classe ouvrière doivent être étendues et combinées à des revendications d’urgence telles que la réduction radicale de la consommation d’énergies fossiles, la constitution de réserves pétrolières destinées exclusivement aux transports urgents, aux équipements sociaux, au chauffage hivernal des habitations et à la production des biens qui nous sont nécessaires, quitte à ce qu’ils ne procurent plus de profits au capital. Nécrocapitalisme ou écosocialisme, il faut choisir... et vite !

François Iselin


« Il n’y a rien de vert ni de renouvelable dans le biocarburant importé. Au lieu de détruire les terres et les moyens de subsistance des communautés locales et des peuples autochtones du Sud en une nouvelle forme de colonialisme, les pays du Nord doivent

- reconnaître qu’ils sont responsables de la destruction du système climatique de la planète,

- réduire leur consommation d’énergie à des niveaux viables,

- payer la dette climatique qu’ils ont contractée pour n’avoir pas encore fait ce qui précède,

- accroître considérablement leurs investissements en énergie solaire et éolienne ».

Extrait d’une déclaration d’ONG, d’organisations de peuples autochtones et de mouvements d’agriculteurs à la Convention-cadre de l’ONU sur le changement climatique, réunies à Nairobi du 6 au 17 novembre 2006 demandant de suspendre immédiatement les subsides et toute autre forme de soutien injuste à l’importation et l’exportation de biocarburants.


 Source : solidaritéS www.solidarites.ch




Mettez du sang dans votre moteur ! La tragédie des nécro-carburants, par Dominique Guillet.


Affamer les pauvres. L’éthanol et le prix de la tortilla mexicaine, par Noam Chomsky.

Mexique : maïs et infamies, par Silvia Ribeiro.

Dr. Miguel Angel Altieri : "Les biocombustibles sont un mode d’impérialisme biologique", par Roberto Aguirre.


Film - « We feed the word » (Le marché de la faim) d’ Erwin Wagenhofer.

L’empire de la consommation, par Eduardo Galeano.






 Dessin : Payés et Pedro Mendez


[1GIEC : « Groupe d’experts Intergouvernementaux sur l’Evolution du Climat ».

[2« A Crude Awakening : The Oil Crash« , documentaire de Basil Gelpke et Ray McCormack, Suisse 2006, 1h 23.

[3Voitures, motos, camions, engins de chantier, machines agricoles, avions, navires, etc.

[4Food against fuel, en français « pétrole contre nourriture » : nom donné au programme US prétextant satisfaire les besoins alimentaire du peuple irakien après la première guerre d’Irak pour combler la soif de pétrole de son envahisseur.

[5« Le marketing automobile passe au vert« , Le Temps 9.5.07.

[6Pour tout savoir sur ces mixtures, voir ce qu’en dit le site de Wikipédia.

[7Courrier International, » Une nouvelle crise alimentaire menace le monde« 14-20. 9.06.

[8Ceux et celles qui ne savent pas de quoi sont faits ces comprimés ont une raison de plus de voir ce film quatre étoiles ou d’acher son DVD !

[9Troisième rapport d’évaluation du GIEC, Résumé à l’attention des décideurs, p. 35.

[10Ibid p. 32.

[11CADTM 2001.

[12Hervé Kempf, « Nourrir 9 millions de Terriens« , Le Monde 12.3.07.

[13Jean Marc Jancovici « Existe-t-il des énergies sans CO2 ?« , septembre 2003.

[14Michel Griffon, « Une compétition entre cultures alimentaires et énergétiques« , Le Temps 3.4.2007.

[15« Les biocarburants redessinent la carte de l’agriculture mondiale« , Le Monde, 3.4.07.

[16« Les biocarburants ne sont pas assez écologiques pour le patron de Nestlé« , 24 Heures, 30.4.07.

[17Mario Asava, « El alcohol desata pasiones« , IPS, Rio de Janeiro2.4.07.

[18« Carburant d’avenir : le bio-éthanol », Département fédéral des finances, 6.12.06.

[19Voir l’excellent recueil d’articles critiques sur le site d’Alliance Sud : www.alliancesud.ch.

[20Groupe de travail III du GIEC, Quatrième rapport d’évaluation, p. 26.


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Gabriel Péri : homme politique, député et journaliste
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Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.

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