L’engagement pris le lundi 24 juin par Bernie Sanders et ces extraordinaires députées de la gauche radicale que sont Ilan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez et Parfila Jayapal, a de quoi galvaniser et mettre en mouvement des dizaines sinon des centaines de millions de citoyens étasuniens qui croulent sous le fardeau d’une dette étudiante astronomique qui approche les 1 600 milliards de dollars : effacer l’ensemble de cette dette dans les six mois qui suivront l’élection de Sanders à la présidence des États Unis en 2020. Et tout ça selon un plan d’ensemble garantissant la gratuité de l’enseignement, contenu dans un paquet de projets de loi consignés par Bernie et ces trois députées ! (1)
Pure produit des politiques néolibérales de ces 40 dernières années qui ont institué un enseignement de plus en plus cher, cet endettement monstrueux concerne directement 44 millions d’Étasuniens qui ne peuvent pas rembourser leur dette et, indirectement, d’un nombre bien plus élevé si on tient compte du fait qu’il gangrène aussi la vie de leurs proches. Les conséquences en sont multiples et désastreuses : devant rembourser mois après mois une dette qui dépasse en moyenne les 45 000 dollars, les jeunes se trouvent dans l’incapacité de programmer et de mener une vie normale, fonder une famille, avoir des enfants, acheter une maison, prendre des vacances, et surtout, ne pas crever au travail (d’habitude peu qualifié et sous-payé). Mais, il ne s’agit pas seulement des jeunes. Par exemple, se trouvant dans l’impossibilité de rembourser leur dette étudiante, 37% des étasuniens de plus de 65 ans sont déclarés en faillite, 40 000 ont perdu leur sécurité sociale, tandis que d’autres voient leur biens saisis ou même sont condamnés à des peines de prison ! En somme, des dizaines de millions de citoyens « du pays le plus riche de l’histoire de l’humanité », comme aime le dire Bernie Sanders, voient leur vies gâchées de façon irréparable à cause de leur dette étudiante qui souvent les suit jusqu’à la fin de leurs jours, les réduisant à l’état de véritables esclaves...
Évidemment, il n’est pas surprenant que la dette étudiante, qui gangrène l’économie du pays, a une claire dimension de classe, vue que seuls les riches peuvent couvrir sans problème les frais de scolarité de leurs enfants. C’est ainsi que l’endettement des étudiants, qui n’épargne pas la classe moyenne, fait des ravages parmi les couches des plus déshérités, ciblant en toute priorité les femmes, les Afro-américains et les latinos. C’est d’ailleurs pourquoi il contribue énormément à l’accroissement vertigineux des inégalités sociales observé ces dernières décennies, sans oublier que la dette étudiante forme une bulle de plus en plus grande qui menace d’exploser provoquant un nouveau krach financier dans un avenir pas si lointain.
Étant donné qu’environ 95 % de cette dette est détenue par l’État fédéral, son annulation est possible en vertu d’une disposition de 1965 (Higher Education Act) qui permet au ministre de l’éducation de le faire unilatéralement ! Quant au reste de la dette qui ne dépasse pas les 70 millions, le ministère de l’Éducation peut faire de même après l’avoir racheté. Donc, l’annulation de la dette étudiante est parfaitement réalisable sans qu’il y ait besoin de voter une nouvelle législation...
Mais, aussi importante que l’annulation de la dette étudiante est la décision hautement politique de Bernie et de ses trois députées de faire payer Wall Street pour financer cette annulation. Comment ? En taxant ses transactions financières à hauteur de 2.200 milliards de dollars en 10 ans ! Car, comme Bernie le répète inlassablement, « Nous avons renfloué Wall Street en 2008. Il est temps qu’on taxe l’avidité des spéculateurs de Wall Street pour aider le peuple américain ».
Cependant, loin de Bernie et de ses amies l’idée qu’il suffirait un peu de bonne volonté de la part de Wall Street et de l’establishment (Républicain et Démocrate) pour que ses propositions deviennent réalité. Tant lui que les autres participants à la conférence de presse du lundi 24 juin (dont la présidente de la Fédération des enseignants qui compte 1,7 million de membres), ont martelé que tout est question de rapport de forces et que seul un mouvement radical et de masse des intéressés et de de ceux d’en bas peut imposer la réalisation de cette proposition que Bernie – à juste titre – de « révolutionnaire ».
Bernie contre le système dette
Ceci étant dit, il ne faut pas croire que c’est seulement maintenant que Bernie Sanders se confronte à l’épineuse question de la dette, privée ou publique. En réalité, Bernie Sanders est non seulement un fin connaisseur de la question, mais aussi et surtout un défenseur de plus en plus radical de la position qui met la satisfaction des besoins essentiels des citoyens bien avant la satisfaction de leurs créanciers. La preuve ? Voici ce qu’on écrivait il y a déjà presque 4 ans, en novembre 2015, (2) sur ce que disait – et faisait – à l’époque le sénateur Bernie Sanders concernant les dettes publiques « explosives » de Porto Rico et de Grèce :
« Au moment où le nouveau Président du Parlement grec, M. Voutsis, décide et ordonne la dissolution de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque, sans même prendre la peine de nous expliquer le pourquoi de son acte, de l’autre coté de l’océan, un homme politique qui brigue la Présidence des États-Unis, propose la création d’une commission indépendante de vérité sur la dette (du protectorat américain) de Porto Rico, et de surcroît nous explique l’importance d’une telle commission d’audit !
Il s’agit du sénateur Bernie Sanders qui, dans une lettre adressée au ministre des finances des États-Unis, Jack Lew, fait entre autres les propositions suivantes, lesquelles ne devraient pas étonner les citoyens grecs :
Non à plus d’austérité : « La situation économique au Porto Rico ne va pas s’améliorer en éliminant encore plus d’écoles publiques, en diminuant les pensions, en licenciant des ouvriers, et en permettant aux entreprises de payer des salaires de faim suite à la suspension du salaire minimum et la mise en veilleuse des lois du travail ».
Auditer la dette : « On a besoin de mettre sur place un audit indépendant et transparent de la dette de Porto Rico. Si une dette a été contractée en violation de la constitution de Porto Rico, il faut la mettre tout de suite de côté.
On s’arrête ici en omettant les autres propositions du sénateur Sanders pour résoudre le problème de l’énorme dette de Porto Rico (plus de 70 milliards de dollars), non pas parce qu’elles ne nous intéressent pas (protection de la loi sur les faillites, couverture maladie universelle), mais parce que M. Sanders a pas mal de choses à nous dire sur la dette... grecque. Et en effet, c’est un vrai scandale que les maintes prises de position et les actions publiques contre la Troïka et en faveur de la libération des citoyens grecs du joug de la dette, de la part d’un homme politique américain de l’envergure du sénateur Sanders, non seulement n’ont pas fait l’objet de la moindre mise en valeur de la part des gouvernements grecs, mais restent totalement inconnues en Grèce, au moins depuis un an !
(...) La conclusion est simple : le sénateur Sanders n’est pas n’importe qui et c’est pourquoi est encore plus scandaleuse la persistance des autorités, mais aussi des médias grecs, de l’ignorer, surtout lorsqu’on se souvient qu’il est un des rares hommes politiques étrangers qui soutient le peuple grec en proposant des solutions progressistes à son martyre.
Par exemple, M. Sanders a fait sensation aux États-Unis quand il s’est empressé d’accueillir avec enthousiasme la victoire du Non au référendum du 5 juillet, en déclarant : « J’applaudis le peuple de Grèce qui a dit « non » à plus d’austérité pour les pauvres, les enfants, les malades et les personnes âgées », avant d’ajouter : « Dans un monde d’énormes richesses et d’inégalités de revenus, l’Europe doit soutenir les efforts de la Grèce à construire une économie qui crée plus d’emplois et plus de revenu, et pas plus de chômage et de souffrance ». Quelques semaines plus tard, le 20 juillet, le sénateur Sanders organisait, à l’intérieur du Sénat, une conférence publique sur la crise de la dette grecque et ses conséquences internationales avec la participation d’économistes bien connus comme Stiglitz et Galbraith !
Désacralisant la vache sacrée de la dette (privée et publique) et battant en brèche la “logique” illogique du néolibéralisme, Bernie Sanders fait œuvre de salut public quand il démontre en actes combien évident, naturel et... rationnel est de donner – enfin – la priorité non pas à l’odieuse avidité des créanciers et autres spéculateurs parasitaires et fonds vautours mais aux humains et à leurs besoins. (3) Et ce faisant, Bernie l’internationaliste – dont le champ d’action s’étend des États Unis au Porto Rico et même à la lointaine petite Grèce, devient de fait le fer de lance du combat planétaire de ceux d’en bas et appelle nous tous et toutes non seulement à suivre son bon exemple mais aussi et surtout à faire front commun car le temps presse désormais désespérément. Saurons-nous enfin l’écouter ?...
Notes
1. Pour voir la video (40mn) de la présentation par Bernie, Omar, AOC, Jayapal et d’autres du plan d’annulation de la dette étudiante : https://www.facebook.com/PeopleForBernie/videos/2386381958318110/UzpfSTE1ODYxMTM5ODQ5ODI0Nzk6MjEzNjY5MTIyOTkyNDc0OQ/
2. http://www.cadtm.org/Bernie-Sanders-M-Voutsis-et-la
3. Tous les événements et développements au sommet et – surtout – à la base de la société étasunienne, ainsi que tout ce qui se passe dans les mouvements sociaux et la gauche des États-Unis, sont couverts avec des informations, de articles, des analyses, des études, et des vidéos de première main, renouvelés heure après heure au Facebook : https://www.facebook.com/EuropeansForBerniesMassMovement/