Saviez-vous que les Etats-Unis étaient un pays de fins gourmets ? Certes, à leur manière, mais fins gourmets quand même. Vous ne le saviez pas ? Ben alors, vous faites quoi de vos soirées à part regarder la "ferme des célébrités" à la télé ?
Oui, je sais, devant le rapprochement entre "Etats-Unis" et "fin gourmet", plus d’un sourcil dubitatif se lèvera. Vous avez tort.
Prenez par exemple un méga-whopper-triple-cheeseburger. Vous pensez certainement que je vais me lancer dans une envolée ironique sur ses qualités gustatives. Vous avez encore tort. Car, en vérité, et je vous le dis, j’adore les hamburgers... Lorsqu’ils sont bien préparés, cette viande bien grillée (pardon pour les lecteurs végétariens), coiffée d’une tranche de fromage fondue et assortie de quelques cornichons, miam, le tout délicatement enserré entre deux tranches d’un pain croustillant saupoudré de graines de sésame... miam, miam.
Cela dit, c’est vrai que la plupart du temps, on nous sert le méga-whopper-triple-cheeseburger comme un infâme empilage de produits indéfinissables pour un résultat aussi appétissant qu’un baiser sur la bouche de Robert Ménard. Mais il s’agit là d’un problème de qualité dont on pourrait disserter longuement et là n’est pas mon propos.
Oui, je l’avoue, il m’arrive de craquer et de me glisser subrepticement dans un de ces lieux de débauche calorique qu’on appelle des "fast-food". Et c’est toujours la même chose : après, j’ai honte. J’abandonne les lieux du crime avec le même air coupable qu’un notable de province sortant d’un sex-shop.
Pour ce qui concerne l’états-unien et son art culinaire, je voudrais attirer votre attention sur ce qui se trouve posé sur la table à coté de son méga-whopper-etc. Non, je ne parle pas du fusil à pompe. Regardez bien. Vous voyez la petite bouteille, marquée "Coca-Cola" ? Rien de surprenant dites-vous ? Regardez mieux. Coca Cola, certes, mais "light"... Diététique, quoi. Nous y voilà . Vous, vous avez failli ne rien remarquer. C’est normal. Vous trouvez même que ça ne fait pas très sérieux, et vous avez raison. Vous éclateriez de rire si on vous expliquait "c’est parce que je fais un régime".
Mais pour l’états-unien, c’est à la fois l’expression de son patriotisme (c’est made in chez nous), de son avance technologique (vous avez du coca light en Europe ?), de sa liberté (je peux en boire quand je veux où je veux), et de sa profonde conscience (je fais attention à ce que je mange). Et oui, 33 cl de pseudo-diététique en plein pays des OGM et à 30 cm d’un méga-whopper-triple-cheeseburger et d’un fusil à pompe. Wow !
C’est comme en politique. Derrière le fusil à pompe de la politique étrangère des Etats-Unis, derrière le méga-whopper-trible-cheeseburger de leur prison à Guantanamo, on trouve encore des journalistes pour nous parler sérieusement des préoccupations d’Oncle Sam pour les droits de l’homme. "Regardez," nous disent-ils, "c’est marqué light sur la bouteille. Preuve qu’ils sont pas si bêtes".
Ils se foutent de notre gueule, là , non ?
Mais personne n’est parfait.
Tenez, par exemple, lorsque vous êtes au volant d’une voiture. Vous respectez « presque » toujours les limitations de vitesse. Bien sûr.
Vous êtes au volant et prêt à confirmer votre statut de roi de la jungle d’asphalte. Mais vous avez beau être le roi, vous avez quand même des prédateurs : les méchants radars et leurs méchants propriétaires, les "policiers". Eux et leurs radars sont chargés de vous faire choir de votre trône si vous outrepassez vos droits. Il faut donc les éviter à tout prix. Bien.
Mais vous êtes malin et vos ennemis plutôt mous. Sur le plat, vous roulez légèrement (très légèrement) au-dessus de la limitation de vitesse autorisée. Ca passe. Dans les descentes, vous ralentissez, parce que 90% des radars et des policiers se trouvent en bas d’une descente. N’oubliez pas de les saluer poliment en passant.
Votre patience finit par être récompensée, car voici une montée. Pas de temps à perdre, vous entamez illico la transformation du parfait citoyen Jeckyll en le Mister Hyde qui sommeille en vous depuis que vous avez passé le péage. Vous retournez votre casquette, visière sur le cou, vous vous penchez sur le volant pour réduire la prise au vent, vous enclenchez les boosters et vous écrasez l’accélérateur. Allons, soyez tranquilles, vous avez déjà vu un radar ou un policier au sommet d’une côte ? Moi non plus.
Sentez toute cette puissance qui se déchaîne sous votre capot. L’adrénaline aidant, vous avez l’impression de débouler au ralenti. Vous planez, littéralement. On entend même les premières mesures de la musique du film "les Chariots de Feu". Et pas un flic en vue.
Vous voilà parti tout droit vers votre Nirvana éthylique. Où se trouve ce Nirvana ? En général dans un virage. A quoi ressemble-t-il ? En général à un piéton ou un cycliste. Comment le reconnaît-on ? C’est simple, c’est ce que tu viens d’écraser, connard. Et pas un témoin en vue.
C’est comme en politique : suffit de connaître l’emplacement des radars. Dans le cas exceptionnel où vous vous faites flasher, présentez-leur toutes les qualités diététiques de votre boisson préférée et regardez les faire des « oh » et des « ah ».
L’administration Bush s’offusque des traitements infligés aux prisonniers Irakiens. Les radars du monde entier sont braqués. "On ralentit les mecs," dit Bush, "on sourit à la caméra". Une petite dizaine de sous-fifres vont être jetés en pâture. L’administration Bush parle de dérapages d’une minorité. Faux, mais est-ce vraiment important ?
Pendant ce temps, le nouveau directeur de la prison d’où est parti le scandale irakien est celui qui commandait la prison de Guantanamo. On n’a pas encore vu des photos de Guantanamo. On n’est pas près d’en voir. Question de discipline, question d’organisation. Le bordel Irakien a permis que des photos sortent ? Il n’en sera plus de même bientôt. Mais une question tourmente le nouveau directeur : trouvera-t-il du coca light dans ce pays de sauvages ?
( Mon ami Carlos vient à l’instant de me rappeler une information que j’avais oubliée. Au Nicaragua, l’armée mercenaire des Contras, soutenue par les Etats-Unis avait fait creuser sa tombe à un jeune Nicaraguayen. Les Contras étaient basés au Honduras. Les Contras, dans une opération de terreur qui leur était coutumière, ont décapité le jeune homme. Ce n’est qu’un exemple, et je ne crois pas que les Contras étaient des musulmans. Ce qui est sûr, c’est que les Contras n’étaient pas qualifiés de "terroristes" par l’administration des Etats-Unis, mais de "combattants de la liberté". Vous pensez que c’est de l’histoire ancienne. Pas si sûr. L’homme chargé de protéger les Contras et d’organiser le silence autour de leurs exactions s’appelle John Negroponte. Retenez bien ce nom. )
L’administration Bush vient de nommer comme futur ambassadeur en Irak un certain John Negroponte, connu surtout pour ses services rendus - en tant qu’ambassadeur au Honduras ? aux escadrons de la mort qui sévissaient dans ce pays dans les années 80. John trafiquait les rapports sur les droits de l’homme au Honduras pour protéger les assassins et faire du Honduras un "non-événement". Et il a fait du bon boulot. Question de discipline, question d’organisation. Mais une question le tourmente : y’aura-t-il suffisamment de coca light en Irak pour tout le monde, dans ce pays d’arriérés ?
A partir du 30 juin, date de la remise des clés aux Irakiens (les Etats-Unis ayant entre-temps changé toutes les serrures), les médias commerciaux, comme toujours, se placeront en bas de la descente et feront semblant de contrôler. Ils se placeront exactement là où l’impérialisme les attendra. En fait, exactement là où l’impérialisme leur donnera rendez-vous pour une conférence de presse. Oncle Sam les saluera poliment en passant. De quoi parlera-t-on alors ? Des " progrès" effectués par le gouvernement marionnette de transition irakien ou du symbolisme du light dans un pays d’obèses ? Il paraît que ça s’appelle "faire du journalisme".
Et l’Europe, dans tout ça ? Ben, pas grand chose, sinon qu’il va falloir embaucher quelques traducteurs supplémentaires pour traduire "Yes, Mister President" en 25 langues. Pas trop compliqué, à première vue.
Et où sont passés les pro-américains bêlants, ces pom-pom girls de l’Empire ? Qu’est devenue leur solidarité avec la plus grande démocratie du monde ? Sont-ils repentis, honteux, tristes, déçus ou juste sortis faire des courses ? Mais soyez-en certains, ils reviendront à l’heure de la soupe. Alors, comme par enchantement, l’Amérique redeviendra le phare du monde, pour mieux nous éblouir.
Jusqu’à nous rendre aveugles ?
Viktor Dedaj
Voyances et divinations en tous genres.
(Uniquement sur rendez-vous)