Par JESUS RAMIREZ CUEVAS, MASIOSARE
Le MST est aujourd’hui le mouvement social le plus important du
Brésil. Durant plus de 20 ans, il a mobilisé des milliers de paysans sans
terre pour combattre l’injustice dans le domaine agraire dans une nation où
1% des propriétaires accaparent 43% du territoire. Jusqu’à maintenant, il a
récupéré la terre pour plus de 350 000 familles. Le MST, organisé
démocratiquement à la base et de façon autonome des partis, a aussi gagné
des espaces institutionnels. Face à la victoire de Luis Inacio Lula da
Silva, qui a été son allié historique, le MST affronte le défi d’appuyer son
gouvernement sans renoncer à la mobilisation et à la lutte. Pour cela, un
des ses dirigeants , Sergio Gorgen affirme « Nous avons gagné le
gouvernement, mais pas le pouvoir. »
La vie de Sergio Antonio Gorgen, un religieux franciscain qui a opté
pour les pauvres, est liée à l’histoire du Mouvement des Sans Terre du
Brésil (MST) dont il est un des fondateurs. Il fut nommé par le mouvement
pour participer comme directeur de la réforme agraire du gouvernement de
Olivio Dutra dans le Rio Grande do Sul. Actuellement, il est député du Parti
des Travailleurs dans cet État. Il y a quelques jours, il a visité le
Mexique et il a donné une entrevue à Masiosare, dans laquelle il aborde la
trajectoire de ce mouvement social, une des plus importants du continent.
Le Brésil connaît une des concentrations de la terre les plus
importantes du monde : si bien qu’un pour cent des propriétaires possèdent
43% du territoire du pays. Pour cette raison, les luttes pour la terre ont
marqué le vingtième siècle. Les paysans ont cherché à se réapproprier des
terres de l’État, mains quand ces dernières se sont épuisées, ils ont
commencé à envahir les grands propriétés terriennes (latifundios).
Sergio Gorgen explique qu’en 1964, la dictature militaire a étouffé le
mouvement paysans ; nombre de ses dirigeants ont été assassinés ou sont
partis en exil. Mais en 1975, sous un régime militaire, un groupe d’évêques
et de prêtres de l’Église catholique ont créé une Commission pastorale de la
terre. Cette instance a appuyé les luttes de la paysannerie sans terre et
des petits agriculteurs.
En 1979 un groupe de paysans ont réalisé la première occupation des
terres dans le Rio Grande do Sul. « Malgré la persécution des militaires,
l’Église catholique a protégé les sans terre, qui ont fini par gagner leur
lutte, se rappelle le moine franciscain.
De ce campement -Encrucijada Natalino- a surgi le MST il y a 24 ans.
« D’abord à l’intérieur de la Commission pastoral ; ensuite, il a déclaré
son autonomie, mais il a maintenu de bons rapports avec les religieux » .
Depuis lors, le MST s’est développé dans tout le pays. « Les luttes
urbaines, importantes au début des années 80, ont pratiquement disparu à
cause de la crise économique, du chômage et des pressions exercées contre
les syndicats. Cela a permis au MST d’avoir une grande visibilité dans les
médias et dans la société brésilienne. Et aussi quand les grands
propriétaires terriens nous ont réprimé » affirme Gorgen..
En 1996, le massacre de 19 paysans sans terre s’est produit à Dorado
de Carajas, dans l’État de Para. « Ceci a provoqué une révolte nationale. Le
MST a réalisé une longue marche de Sao Paulo à Brasilia (2 500 kilomètres).
En entrant dans la capitale, nous étions plus de 100 000 personnes ; ceci a
eu un grand impact national. Le mouvement s’est consolidé et a élargi sans
présence à 22 des 27 États de la fédération.
Durant ces années, le MST est parvenu à réaliser l’établissement et la
relocation de plus de 350 000 familles paysannes des 5 millions qui n’ont
pas de terre dans le pays.
Les pauvres font de la politique
Darcy Ribeiro, un des anthropologues brésiliens les plus connus, a
écrit que le MST est la « la première irruption des exclus dans la politique
nationale, un volcan soudainement apparu. »
A ce sujet, Sergio Gorge affirme que « dans le MST la politique est
faite par des personnes pauvres, par une citoyenneté populaire ». A la
différence des partis politiques, y compris ceux de gauche « où les
intellectuels de la classe moyenne détiennent le pouvoir interne, le MST est
construit et dirigé par les sans-terre eux-mêmes. »
En peu d’années, des centaines de paysans ont acquis une formation
politique notable » soutient Gorgen. « La société est impressionnée quand
elle voit de simples paysans discuter avec le président, les fonctionnaires,
les députés ou des intellectuels. C’est ainsi que les classes populaires
vont entrer sur la scène politique ».
Tout cela a été possible, déclare son dirigeant, parce que le MST est
une organisation décentralisée. Chaque campement décide de sa forme
d’organisation politique, économique et communautaire. C’est un réseau
cimenté par la démocratie à la base qui s’articule dans une structure au
niveau de l’État et au niveau national.
Mais la croissance du mouvement, dit Gorgen, l’a obligé « à comprendre
que la mobilisation ne suffisait pas, qu’il était nécessaire de combiner la
lutte sociale directe avec la recherche d’espaces institutionnels plus
importants pour augmenter sa capacité d’influer sur les centres de
décision. »
Pour cela, le MST le MST fournit des responsables, des maires, des
députés et des sénateurs « pour défendre ses positions sur la scène
nationale » souligne-t-il. Le MST fournit aussi des fonctinnaires aux
gouvernements de gauche quand ils vont appliquer des programmes qui sont «
d’intérêt stratégique pour le mouvement, comme la réforme agraire. »
Conscient des risques que cela implique, Sergio Gorgen souligne « que
c’est une nouvelle façon de faire de la politique, qui s’oppose au schéma
classique. Pour le MST, les mouvements ne doivent pas être la courroie de
transmission d’aucun parti, encore moins de l’État. Ils doivent maintenir
leur autonomie, et de là , négocier leurs revendications. Qu’il existe des
membres du MST qui participent aux partis ou qui sont députés ou
fonctionnaires ne signifie pas une cooptation du mouvement. Ces derniers ne
sont pas traités comme des camarades, mais comme des cadres de l’État. Et
cela est complètement nouveau, souligne le dirigeant brésilien.
« Construire un contrôle populaire sur le pouvoir national »
Depuis le triomphe de Luis Inacio Lula da Silva, allié historique du
MST, celui-ci fait face à plusieurs dilemmes. « Lula a gagné le gouvernement
en s’alliant à des secteurs libéraux et entrepreneuriaux ». Ce ne fut pas
une simple victoire de la gauche. Quoique le MST l’ait accompagné dans ses
quatre campagnes, il ne va pas abandonner les mobilisations » avertit
Gorgen.
« La lutte du MST n’est pas contre le gouvernement, mais contre la
structure sociale, économique et culturelle du Brésil : le grande propriété
terrienne. Et nous allons continuer à prendre des terres et à faire des
marches. La pression populaire est aussi une partie de la démocratie. »
Parmi les contradictions qu’affronte le MST, Gorgen signale que « la
gauche a connu une énorme avancée avec Lula, mais il ne pourra faire les
grandes transformations promises au départ, sa marge de manoeuvre est petite.
C’est un paradoxe : Nous sommes au gouvernement, mais nous ne sommes pas au
pouvoir. Nous ne nous faisons pas d’illusions ».
« La démocratie dans le cadre du néolibéralisme est une farce » assure
Gorgen. « Quoique nous élisions un président, ceux qui décident c’est la
Banque mondiale et les grande transnationales . C’est pourquoi, le MST
cherche à construire un contrôle populaire sur le pouvoir national. Il ne
s’agit pas de siéger au gouvernement pour faire les mêmes choses que les
autres ont toujours faites. Notre proposition est de construire des espaces
de décisions contrôlées démocratiquement par la population.
Dans ce cadre, dit Sergio Gorgen, la réforme n’est pas seulement une
question économique ; elle implique la défense d’un mode de vie,
l’agriculture paysanne. En même temps, c’est une autre forme de pouvoir,
parce que les multitudes paysannes s’approprient la terre qui était entre
les mains des grands propriétaires terriens.
En bref, conclut-il, « c’est que défendent les mouvements comme le MST
et les indigènes du Chiapas : nous proposons des alternatives démocratiques
et une résistance organisée contre un modèle économique qui exclut les
pauvres. C’est le défi auquel nous faisons face maintenant ».
(Traduit par La Gauche)
(Tiré de Rebelion) 20 mai 2003
Source : La Gauche www.lagauche.com