RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

L’abstention électorale : espoir ou désespoir ?

Les lendemains d’élection, les experts viennent nous expliquer pourquoi nous avons voté ainsi et ce que signifient nos votes : nous apprenons ainsi que « nous » soutenons majoritairement le président de la République, tout en ayant une sensibilité écologique, voire que « nous » sommes divisés… Le « nous » dont il s’agit est supposé représenter chaque Français. Je le dit tout net, je ne suis pas divisé quand il s’agit de choisir entre le libéralisme et l’antilibéralisme. D’ailleurs, ceux qui se sont abstenus aux dernières élections européennes savent pourquoi, et ce qu’ils savent ne coïncide pas avec l’avis des experts. Certains, autour de moi, assument en toute conscience un « geste » politique (pas de même sens, certes, chez tel étudiant que chez un tel que je suppose très « à droite ») - même si les politiques préfèrent y lire une marque d’indifférence. Cette ambiguïté de l’abstention pose une question que je souhaite partager.

Depuis des mois, la réaction tant à la crise financière qu’à ses conséquences économico-sociales, la mobilisation sociale dont témoignent les manifestations et les grèves, les convergences des luttes et l’Appel des Appels, pouvaient et peuvent laisser croire à un courant fort de protestation contre le capitalisme. Pour certains, du coup, les élections européennes devaient refléter cette situation. Et, en écho, nous arrive les presque 60% d’abstention : faut-il seulement entendre que les luttes et la réflexion anticapitaliste n’ont pas de traduction politique, ou bien que, justement, cette abstention, quelque part, est un juste reflet de la situation qui suscite les mêmes luttes ? Bref, et si l’abstention masquait également une résistance à ce qui tend à nous détruire ? Loin d’y lire (pour ceux qui ont choisi la voix de l’expression politique) une raison de désespérer, il faudrait alors y déceler, quoique nous en pensions, une raison d’espérer ! Evidemment, à condition d’extraire « l’effet révolutionnaire » de ce symptôme…

D’abord un bilan. Après la lutte vaine (si l’on excepte la sortie de Rachida Dati) des magistrats pourtant jamais autant mobilisés, l’université s’est battue presque quatre mois pour rien apparemment, sinon déjà des représailles (…et l’exit de la ministre). Une des caractéristiques de cette dernière lutte me paraît résider dans l’absence de discussion finalement entre les étudiants (mais aussi les personnels grévistes) et l’Etat, voire certaines directions locales qui ont joué l’épreuve de force chaque fois qu’elles l’ont pu. Je mets en regard le fait que les mêmes « autorités » relayée par les médias ont contribué au mythe de la poignée d’étudiants bloqueurs (et minorité de personnels) qui manipulerait l’ensemble de leurs camarades (et collègues).

Première remarque, pourquoi ne pas appliquer à cette situation le raisonnement qui prévaut pour l’analyse du résultat des européennes : 28% en faveur de la liste arrivée en tête sur 40% des inscrits équivalent à moins de 12% des électeurs qui figurent sur les listes ; si ce résultat est démocratiquement acceptable et constitue un succès, alors on appréciera le fait que, dans mon université, ce soit souvent près de 90% des votants - parfois jusqu’à près de 1000 étudiants (pour m’en tenir à eux) sur 20 000 - qui ont décidé du mouvement !

Pourtant, l’essentiel est ailleurs. Malgré la présence des personnels et des enseignants en grève, la lutte a alimenté la pente à considérer qu’il existe une guerre entre ceux qui occupent les postes de responsabilités et les étudiants, voire entre les vieux et les jeunes. Rajoutez à cela l’ensemble des lois qui désignent les enfants et les adolescents comme des ennemis qu’il convient de punir à l’instar des adultes ou dont il convient de se prémunir, ainsi que la précarisation accrue de l’emploi pour eux, et je me demande si nous ne tenons pas l’une des explications au fait que 70% des 18-24 ans et 72% des 25-34 ans se sont abstenus - plus que la moyenne nationale. Lorsque, dans mon université, les étudiants ont été invités à voter contre le blocage de l’université, afin de ne pas compromettre leur année en interdisant les examens, ils ont adopté une position politique significativement et émotionnellement forte : ils n’ont pas pris part au vote - ils se sont abstenus. Au-delà du factuel, n’el’antagonisme des âges ne constitue-t-il pas un signe grave du fait que la génération à venir ne reconnaît pas la légitimité de la génération qui la précède - quand c’est toujours (il y a plus qu’une analogie) de leurs enfants que les parents tiennent leur autorité et d’aucun pouvoir ? Première raison d’une abstention. Il convient de mentionner une seconde remarque au moment où nous apprenons que l’administration européenne a décidé de faire revoter les Irlandais concernant le traité de Lisbonne : sans doute devront-ils voter et revoter jusqu’à ce que leurs « non » s’équivalent enfin à un « oui ».

C’est déjà ce qui est arrivé aux Français : le « non » à la constitution s’est transformé en « oui » au même traité, et ce avec l’appui du parti socialiste. La question n’est pas de savoir immédiatement si ici nous sommes pour ou contre un tel traité, mais de s’interroger sur une politique qui bafoue l’expression populaire au point que si un « non » équivaut » à un « oui », c’est toute la politique qui devient inconsistante : est-ce que alors s’abstenir n’interprète pas de fait, et quelle que soit l’intention de chaque électeur, ladite inconsistance ? S’abstenir devient pour certains la seule façon de conserver la possibilité d’un oui qui soit un oui, et d’un non qui soit un non. Deuxième raison.

A cela j’ajoute une note, plus ambiguë. Si l’on se penche sur les capacités d’analyse des uns et des autres, on ne peut qu’être frappé par la justesse, la nouveauté, la férocité des critiques que l’on peut lire - et notamment, j’y ai souvent fait allusion, ces jours-ci, dans les textes des RAP et SLAM. Jacques Broda a relevé combien les plus jeunes connaissent même ces textes par coeur, alors qu’ils sont parfois jugés inaptes à la chose scolaire. Mais entre l’analyse politique d’un côté, et, de l’autre, l’acte politique et la gestion de la cité, il y a un saut que les mêmes jeunes ne font pas et où s’inscrit l’abstention. Et là , il faut se demander si celle-ci n’est pas également un indice de l’impact de la représentation de soi, de l’anthropologie idéologique suscitée par le capitalisme, qui invite chacun à se penser comme une machine utile, efficace, durable et performante jusque dans ses analyses politiques : mais débarrassée de la responsabilité de sa position rendue impensable. Troisième raison.

Ces trois raisons de l’abstentions fournissent du grain à moudre à l’action politique : déconstruire l’anthropologie capitaliste en inventant les mots qui rendent nos propres analyses opérantes, contribuer à restituer à chacun la responsabilité de sa position en assumant la notre, donner à l’abstention son expression politique, et multiplier les dispositifs qui luttent contre la ségrégation entre les générations - car là il s’agit ni plus ni moins que de la transmission d’un monde dont le refus conduirait la génération à venir à se priver de quoi construire, réinventer le sien. S’il est bien exact que nous recevons la légitimité de notre autorité ’est de la génération qui nous suit et pas de celle qui précède, en obligeant les plus jeunes à récuser cette autorité (arbitraire, intéressée, capricieuse, voleuse, menteuse…), nous les privons de cette fonction d’autorité, essentielle à la construction tant de sa subjectivité que du « vivre ensemble » : et le pire c’est qu’alors on retient cette privation contre eux en engageant des mesures répressives à tous les plans dont éducatifs, judiciaires, législatifs, etc.

Est-ce sans espoir ? Le hasard m’a permis d’entendre un paysan bolivien expliquer que pendant des années, ils n’ont rien obtenu des négociations. La parole en a été disqualifiée. Rien, comme les magistrats ou les étudiants, et peut-être les enseignants « désobéisseurs » et d’autres. Ce rien ne constitue-t-il pas chez nous un fait nouveau ? A un moment donné, expliquait ce paysan, il est apparu nettement qu’il ne restait plus qu’une solution : porter l’un des leurs au pouvoir, quoiqu’il ne se compte pas dans leur rang de spécialiste de la politique. Et ils l’ont fait, avec Evo Morales, se réappropriation d’un coup l’autorité (et non le pouvoir), la parole, la politique….

Il dépend donc de chacun de nous que le processus profite également de l’abstention et aux abstentionnistes ! Ce qui pourrait signifier que la victoire n’est pas exactement là où elle paraît être, et que, pour ne parler que du mouvement universitaire, non, nous n’avons pas perdu sur toute la ligne, et le « rien » obtenu à quoi répond l’abstention pourraient maintenir en réserve quelques unes des conditions nécessaires pour le changement que nous appelons Comment les sortir de la réserve ?

Marie-Jean Sauret
psychanalyste, professeur à l’université de Toulouse-Le Mirail
Signataire de l’Appel des appels. (Dernier livre publié : l’Effet révolutionnaire du symptôme. Éditions Érès, 2008.)

L’Humanité des débats (11 juillet 2009)

URL de cet article 8915
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Roger Faligot. La rose et l’edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945. Paris : La Découverte, 2009.
Bernard GENSANE
Les guerres exacerbent, révèlent. La Deuxième Guerre mondiale fut, à bien des égards, un ensemble de guerres civiles. Les guerres civiles exacerbent et révèlent atrocement. Ceux qui militent, qui défendent des causes, tombent toujours du côté où ils penchent. Ainsi, le 11 novembre 1940, des lycées parisiens font le coup de poing avec des jeunes fascistes et saccagent les locaux de leur mouvement, Jeune Front et la Garde française. Quelques mois plus tôt, les nervis de Jeune Front avaient détruit les (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs.

Malcolm X.

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.