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Dette : petite histoire et analyse

Les plans d’ajustement structurel et autres plans d’austérité constituent
une machine de guerre visant à détruire tous les mécanismes de solidarité
collective (cela va des biens communaux au système de pension par
répartition) et de soumettre toutes les sphères de la vie humaine à la
logique marchande.

Passé

Un riche bien établi dit à un ambitieux qui veut le devenir : " Qui paie
ses dettes s’enrichit."

L’autre répond : " Comment puis-je m’enrichir si, pour rembourser ma dette,
je suis obligé de m’endetter de nouveau ? "

Le riche ricane : " On voit bien que tu es un novice. Tu n’as qu’à faire
comme moi : tu prêtes ."

L’autre : " Mais à qui ? "

Le riche : " Retourne-toi, il y a un pauvre derrière toi et il veut
emprunter ; prête-lui. "

L’autre : " Je lui prête ou il m’emprunte ? "

Le riche : C’est pareil. Tu me fais perdre mon temps et tu vas me devoir
davantage. "

L’autre, ahuri : " Pourquoi ? "

Le riche : " Parce que le temps, c’est de l’argent. On ne te l’a jamais dit
 ? "

L’autre : " Non. Le temps fait de l’argent ? "

Le riche : " Oui, à condition qu’un pauvre travaille pendant ce temps-là . "

L’autre : " Je croyais qu’on ne prêtait qu’aux riches. "

Le riche, agacé : " On prête aux riches qui ont beaucoup de pauvres qui
travaillent pour eux et à certains pauvres qui travaillent deux fois plus. "

L’autre : " Mais ce que produisent les pauvres leur appartient. "

Le riche : " Non, si tu as prêté à un pauvre pour qu’il travaille, ce qu’il
produira nous reviendra. "

L’autre : " J’ai compris à qui il faut prêter. Mais avec quoi ? "

Le riche : " Je te l’ai déjà dit. Je te prête. "

L’autre : " Mais toi, d’où tu le tiens ce que tu me prêtes ? "

Le riche : " Ah ça mais, tu ne comprends donc rien. J’ai connu des pauvres
avant toi ! Mais il y en a encore. Dépêche-toi, sinon je vais les prendre.
Et puis, tais-toi maintenant car ils pourraient nous entendre. "

Extrait de : Qui annule sa dette relève la tête. Jean-Marie Harribey. janvier 2001.

Source : CADTM


 Du Nord au Sud :
Crise de la dette et plans d’ajustement

Par Eric Toussaint

Exil

La crise de l’endettement public tant des pays du Tiers Monde et de l’Est
que des pays industrialisés, à partir des années 1980, a été utilisée pour
imposer systématiquement des politiques d’austérité au nom de l’ajustement.
Accusant leurs prédécesseurs d’avoir vécu au dessus de leurs moyens en
recourant trop facilement à l’emprunt, la plupart des gouvernements en
fonction dans les années 1980 ont progressivement imposé aux dépenses
publiques, sociales en particulier, un ajustement un peu comme si il
s’agissait d’ajuster la ceinture en la resserrant de deux ou trois crans.

En ce qui concerne les pays du Tiers Monde et de l’Est, le formidable
accroissement de la dette publique commença à la fin des années 1960 et
déboucha sur une crise de remboursement à partir de 1982. Les responsables
essentiels de cet endettement se trouvent dans les pays les plus
industrialisés : ce sont les banques privées, la Banque mondiale et les
gouvernements du Nord qui ont littéralement prêté à tour de bras des
centaines de milliards d’eurodollars et de pétrodollars.
Pour placer leurs surplus de capitaux et de marchandises, ces différents
acteurs du Nord ont prêté à des taux d’intérêt très bas.

La dette publique
des pays du Tiers Monde et de l’Est a ainsi été multipliée par douze entre
1968 et 1980. Dans les pays les plus industrialisés, l’endettement public
augmenta également fortement pendant les années 1970 car les gouvernements
tentèrent de répondre à la fin des Trente Glorieuses par des politiques
keynésiennes de relance de la machine économique.

Un tournant historique s’amorce en 1979, 1980, 1981 avec l’arrivée au
pouvoir de Thatcher et de Reagan qui appliquent à grande échelle les
politiques rêvées par les néolibéraux notamment en augmentant de manière
extrêmement forte les taux d’intérêt. Cette augmentation obligea les
pouvoirs publics endettés à transférer aux institutions financières privées
des montants colossaux.

A partir de ce moment, à l’échelle planétaire, le
remboursement de la dette publique constitua un formidable mécanisme de
pompage d’une partie des richesses créées par les travailleurs salariés et
les petits producteurs au profit du capital financier.
Les politiques dictées par les néolibéraux constituent précisément une
formidable offensive du capital contre le travail. Les pouvoirs publics
endettés pour équilibrer leurs comptes ont accepté de réduire les dépenses
sociales et d’investissement et de recourir à de nouveaux emprunts afin de
pouvoir faire face à la montée des taux d’intérêt : c’est le fameux effet "
boule de neige " tel qu’il a été vécu aux quatre coins de la planète durant
les années 1980.

L’effet " boule de neige ", c’est l’augmentation mécanique
de la dette causée par l’effet combiné des taux d’intérêt élevés et des
nouveaux emprunts nécessaires au remboursement des emprunts antérieurs.
Pour rembourser la dette publique, les gouvernements puisent notamment dans
les recettes fiscales dont la structure a évolué de manière régressive au
cours des années 1980-1990. En effet, la part des recettes fiscales
provenant des prélèvements sur les revenus du capital diminue tandis
qu’augmente la part des recettes provenant des prélèvements sur le travail
salarié, d’une part, et sur la consommation de masse via la généralisation
de la TVA et l’augmentation des accises, d’autre part.
Bref, l’Etat prend aux travailleurs et aux pauvres pour donner aux riches
(le capital). C’est exactement l’inverse d’une politique redistributive qui
devrait être la préoccupation principale des pouvoirs publics.

La crise de la dette publique des années 1980 est intimement liée au
processus de déréglementation qui préside à la mondialisation néolibérale.

En effet, l’augmentation colossale de l’endettement public de la fin des
années 1960 au début des années 1980, est liée au développement du marché
des eurodollars qui a constitué une des premières étapes de la
déréglementation du système monétaire international et des marchés des
changes.

Les enjeux stratégiques de l’ajustement structurel dans les pays de la
Périphérie

Les politiques d’ajustement structurel commencent à être appliquées dans les
pays de la Périphérie juste après l’éclatement de la crise de la dette en
août 1982. Elles constituent la poursuite sous une forme nouvelle d’une
offensive qui a débuté quelque quinze ans auparavant. De quelle offensive
s’agit-il ? Il s’agit de la réponse donnée par les stratèges des
gouvernements du Nord et des institutions financières multilatérales à leur
service, à commencer par la Banque mondiale, par rapport au défi que
constitue la perte de contrôle sur une partie croissante de la Périphérie.

Des années 1940 aux années 1960 se succèdent les indépendances asiatiques et
africaines, s’étend le bloc de l’Est européen, triomphent les révolutions
chinoise, cubaine et algérienne, se développent des politiques populistes et
nationalistes par des régimes capitalistes de la Périphérie (cela va du
péronisme argentin au parti du Congrès indien de Nehru en passant par le
nationalisme nassérien). De nouveaux mouvements et organisations se
développent pêle-mêle au niveau international constituant autant de dangers
pour la domination des principales puissances capitalistes.

Les prêts massifs octroyés à partir de la seconde moitié des années 1960 à 
un nombre croissant de pays de la Périphérie, à commencer par les alliés
stratégiques (le Congo de Mobutu, l’Indonésie de Suharto, le Brésil de la
dictature militaire…) et allant jusqu’à des pays comme la Yougoslavie et le
Mexique, constituent les lubrifiants d’un puissant mécanisme de reprise de
contrôle.

Il s’agit de stimuler par des prêts ciblés (l’abandon des
politiques nationalistes) une meilleure connexion des économies de la
Périphérie au marché mondial dominé par le Centre. Il s’agit également
d’assurer l’approvisionnement des économies du Centre en matières premières
et en combustible. En mettant les pays de la Périphérie progressivement en
concurrence les uns par rapport aux autres et en les stimulant à renforcer
leur modèle exportateur, il s’agissait de faire baisser les prix des
produits qu’ils exportaient afin de faire baisser le coût de production au
Nord (et d’y augmenter le taux de profit). Il s’agissait enfin dans un
contexte de montée des luttes d’émancipation des peuples et de guerre froide
avec le bloc de l’Est, de renforcer la zone d’influence des principaux pays
capitalistes.
Si on ne peut pas affirmer qu’il y a eu de la part des banques privées, de
la Banque mondiale et des gouvernements du Nord, la mise en place d’un
complot, il n’en reste pas moins qu’une analyse des politiques suivies par
la Banque mondiale et par les principaux gouvernements des pays
industrialisés en matière de prêts à la Périphérie, n’était pas dépourvue
d’ambitions stratégiques1.

La crise qui éclate en 1982 est le résultat de l’effet combiné de la baisse
des prix des produits exportés par les pays de la Périphérie vers le marché
mondial et de l’explosion des taux d’intérêt.

Du jour au lendemain, il faut
rembourser plus avec des revenus en diminution. De là , l’étranglement. Les
pays endettés annoncent qu’ils sont confrontés à des difficultés de
paiement. Les banques privées du Centre refusent immédiatement d’accorder de
nouveaux prêts et exigent qu’on leur rembourse les anciens. Le FMI et les
principaux pays capitalistes industrialisés avancent de nouveaux prêts pour
permettre aux banques privées de récupérer leur mise et pour empêcher une
succession de faillites bancaires.
Depuis cette époque, le FMI, appuyé par la Banque mondiale, impose les plans
d’ajustement structurel.

Un pays endetté qui refuse l’ajustement structurel
se voit menacé de l’arrêt des prêts du FMI et des gouvernements du Nord. On
peut affirmer sans risquer de se tromper qu’ont eu raison ceux qui ont
proposé à partir de 1982 aux pays de la Périphérie d’arrêter le
remboursement de leurs dettes et de constituer un front des pays débiteurs.
Si les pays du Sud avaient constitué ce front, ils auraient été en mesure de
dicter leurs conditions à des créanciers aux abois.

En choisissant la voie du remboursement, sous les fourches caudines du FMI,
les pays endettés ont transféré vers le capital financier du Nord,
l’équivalent de plusieurs plans Marshall. Les politiques d’ajustement ont
impliqué l’abandon progressif d’éléments clé de la souveraineté nationale,
ce qui a débouché sur une dépendance accrue des pays concernés par rapport
aux pays les plus industrialisés et à leurs multinationales. Aucun des pays
appliquant l’ajustement structurel n’a pu soutenir de manière durable un
taux de croissance élevé.

Partout, les inégalités sociales ont augmenté :
aucun pays " ajusté " ne fait exception.
Les nouveaux prêts accordés par le FMI depuis 1982 ont trois objectifs :

1)
favoriser les réformes structurelles qu’impose l’ajustement ;

2) assurer le
remboursement de la dette contractée ;

3) permettre progressivement aux pays
endettés d’avoir accès aux prêts privés via les marchés financiers.

En quoi consiste l’ajustement ?

L’ajustement structurel comprend deux grands types de mesure. Les premières
à être appliquées sont des mesures de choc (généralement, dévaluation de la
monnaie et hausse des taux d’intérêt à l’intérieur du pays concerné). Les
secondes sont des réformes structurelles (privatisation, réforme fiscale…).

La dévaluation imposée par le FMI a atteint régulièrement des taux de 40 à 
50%. Elle vise à rendre plus compétitives les exportations du pays concerné
de manière à augmenter les rentrées de devises nécessaires au remboursement
de la dette. Autre avantage non négligeable si on se place du point de vue
des intérêts du FMI et des pays les plus industrialisés : une baisse du prix
des produits exportés par le Sud.
Effets négatifs : une explosion du prix des produits importés sur le marché
intérieur du pays concerné ce qui ne peut que déprimer la production
intérieure parce que le coût de production augmente tant dans l’agriculture
que l’industrie et l’artisanat (ils incorporent de nombreux intrants
importés comme résultat de l’abandon des politiques " autocentrées ") alors
que le pouvoir d’achat des consommateurs stagne (le FMI interdit toute
indexation des salaires). La dévaluation entraîne une augmentation de
l’inégalité dans la répartition des revenus car les capitalistes disposant
de liquidités ont pris soin avant la dévaluation d’acheter des devises
étrangères. Dans le cas d’une dévaluation de 50%, la valeur de leurs
liquidités double.

Par ailleurs, une politique de taux d’intérêt élevés ne fait qu’accroître la
récession intérieure (le paysan ou l’artisan qui doit emprunter pour acheter
les intrants nécessaires à sa production, hésite à le faire ou réduit sa
production par manque de moyens) tout en permettant au capital rentier de
prospérer. Le FMI justifie ces taux d’intérêt élevés en affirmant qu’ils
attireront les capitaux étrangers dont le pays a besoin. En pratique, les
capitaux qui sont attirés par des taux d’intérêt élevés, sont volatils et
prennent la direction d’autres cieux au moindre problème ou quand une
meilleure perspective de profit apparaît.

Autres mesures d’ajustement spécifiques aux pays de la Périphérie : la
suppression des subsides à certains biens et services de base et la
contre-réforme agraire. Dans la plupart des pays du Tiers Monde, la
nourriture de base (pain, tortilla, riz…) est subventionnée de manière à 
empêcher de fortes hausses de prix. C’est souvent le cas également pour le
transport collectif, l’électricité et l’eau. Le FMI et la Banque mondiale
exigent systématiquement la suppression de tels subsides. Ce qui entraîne un
appauvrissement des plus pauvres et quelques fois des émeutes de la faim.

En matière de propriété de la terre, le FMI et la Banque mondiale ont lancé
une offensive de longue haleine qui vise à faire disparaître toutes formes
de propriété communautaire. C’est ainsi qu’ils ont obtenu la modification de
l’article de la Constitution mexicaine protégeant les biens communaux
(appelés ejido). Un des grands chantiers sur lequel travaillent ces deux
institutions, c’est la privatisation des terres communautaires ou étatiques
en Afrique subsaharienne.

Mesures d’ajustement communes au Nord et au Sud

La réduction du rôle du secteur public dans l’économie, la diminution des
dépenses sociales, les privatisations, la réforme fiscale favorable au
capital, la déréglementation du marché du travail, l’abandon d’aspects
essentiels de la souveraineté des Etats, la suppression des contrôles de
change, la stimulation de l’épargne-pension par capitalisation, la
déréglementation des échanges commerciaux, l’encouragement des opérations
boursières… toutes ces mesures sont appliquées dans le monde entier à des
doses variant selon les rapports de force sociaux.

Ce qui frappe, c’est que
du Mali à l’Angleterre, du Canada au Brésil, de la France à la Thaïlande,
des Etats-Unis à la Russie, on constate une profonde similitude et une
complémentarité entre les politiques appelées " d’ajustement structurel " à 
la Périphérie et celles baptisées au Centre " d’assainissement ", "
d’austérité ", ou " de convergence ".

Partout, la crise de la dette publique a servi de prétexte au lancement de
ces politiques. Partout, le remboursement de la dette publique représente un
engrenage infernal de transfert des richesses au profit des détenteurs de
capitaux2.

Les plans d’ajustement structurel et autres plans d’austérité constituent
une machine de guerre visant à détruire tous les mécanismes de solidarité
collective (cela va des biens communaux au système de pension par
répartition) et de soumettre toutes les sphères de la vie humaine à la
logique marchande.

Le sens profond des politiques d’ajustement structurel, c’est la suppression
systématique de toutes les entraves historiques et sociales au libre
déploiement du capital pour lui permettre de poursuivre sa logique de profit
immédiat quel qu’en soit le coût humain ou environnemental.

Il faut rompre avec cette logique, abandonner les politiques d’ajustement
structurel quel que soit l’endroit où elles s’appliquent, et reconstruire un
ensemble de mécanismes de contrôle du capital de manière à donner la
priorité à l’Humanité.

De là l’importance de créer collectivement grâce à 
des solidarités Nord/Sud, Est/Ouest, de nouveaux réseaux de lutte citoyenne.
Les multiples résistances dont ce livre est l’écho, peuvent déboucher sur un
nouveau projet émancipateur.

Source : Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde -
CADTM

 Peinture Margari

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Eugenio Balari
in Medea Benjamin, "Soul Searching," NACLA Report on the Americas 24, 2 (August 1990) : 23-31.

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