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Europe, objectif 393.

Le 06 juin 1944, la coalition formée des armées américaine, anglaise, belge, canadienne, française, néerlandaise, norvégienne et polonaise débarquait sur les plages de Normandie. Alors qu’au même moment, la glorieuse Armée Rouge libérait la Roumanie du joug nazi et s’apprêtait à lancer « l’opération Bagration » qui allait en terminer avec les trois armées de la wehrmacht déployées à l’Est. Le cauchemar du grand Reich nazi, qui devait s’étendre de l’Atlantique à l’Oural, touchait à sa fin.

07 juin 2009, l’Europe en paix s’apprête à se rendre aux urnes pour désigner ses représentants au Parlement Européen. Mais aujourd’hui se souvient-on encore des raisons qui ont motivé la création de la CECA (1) et par la suite de la Communauté Européenne de l’Union européenne.

A l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, alors que l’Europe pansait encore ses blessures, s’imposa l’idée que plus jamais l’Europe ne devrait connaître de période aussi sombre que celle imaginée par les nazis.

La paix au service des intérêts industriels et financiers

C’est avec cette idée en tête que l’on imagina une communauté d’interrelation économique, politique et sociale entre les pays et les peuples d’Europe comme garantie de la paix et de la prospérité. Bien sûr, au fil des années, les idées de communauté politique et de communauté sociale laissèrent place à la seule communauté économique, toujours motivée par l’idée de paix, mais aussi motivée par l’intérêt financier des groupes industriels qui trouvèrent dans cette communauté un terrain propice à leur enrichissement. Il est vrai que jamais la communauté n’a réussi à se débarrasser des intérêts nationaux, chaque pays voulant s’approprier le maximum d’avantages en abandonnant le minimum de prérogatives.

Le difficile équilibre entre « l’Europe » manne financière et « l’Europe » bouc émissaire national

Aujourd’hui, l’U.E. gigantesque « machin », complexe et opaque, sert bien souvent de repoussoir pour les partis politiques nationaux, chacun, tour à tour, accusant « l’Europe » de tous les maux. Mais aussi chacun, de gauche à droite de l’échiquier politique, milite, travaille, complote, négocie à « l’Europe » pour des subventions agricoles, des aides aux industries, des règlementations sanitaires et encore tant d’autres choses qui, d’une manière ou d’une autre, rapportent de l’argent et influencent les législations de chaque pays membre.

Lorsque les choix politiques laissent place aux intérêts nationaux

Au sein du parlement européen, les parlementaires se regroupent par affinités politiques dans ce que l’on nomme les groupes parlementaires européens. Actuellement, on compte huit groupes représentant des tendances politiques aussi diverses que les partis libéraux, écologistes, socialistes, communistes et in fined’extrême droite et ultra nationaliste.

Tendance politique Dénomination Nbr. de sièges Positionnement Gauche / droite
Chrétien Démocrates PPE 288 (D)
Socialiste Européen PSE 217 (G)
Libéraux ADLE 100 (D)
Écologiste V-ALE 43 (V)
Droite Nationaliste UEN 43 (D) euro-sceptique
Communiste Européen GUE 41 (G)
Extrême Droite ni 31 (D) euro-sceptique
Droite Traditionaliste ID 22 (D) euro-sceptique
Total 785
Majorité 393

Comme le montre le petit tableau ci-dessus, aucun des groupes n’a, à lui tout seul, actuellement la majorité au parlement européen, mais deux groupes dominent largement les débats, le groupe des partis démocrates chrétiens (PPE) et le groupe des partis socialistes (PSE). Toutefois, tous ces groupes ne sont pas homogènes et parfois ne reflètent pas, non plus, les clivages nationaux.

Ainsi, l’UMP (France) étiquetée très à droite cohabite au PPE avec le CDH (ex-parti catholique - Belgique), la CDU (Allemagne), The Conservative and Unionist Party (ex-Thatcher - G-B) et le Popolo della Liberta (Berlusconi - Italie).

Dans le groupe libéral (ALDE) on trouve le MR (libéraux - Belgique) mais aussi le MoDem de François Bayrou (France).

On peut voir dans une même famille politique des pro-européens cohabiter avec des euros-sceptiques, mais aussi des partis de droite populiste cohabiter avec de respectables partis chrétiens-démocrates. La complexité de ces regroupements ne rend pas facile l’analyse de ces familles politiques et pour les partis de gauche ce n’est pas plus simple. Pour résumé, on peut dire qu’il n’y a pas réellement de définition commune de qui est libéral économique, chrétien démocrate, socialiste, etc... Le seul critère, qui semble facilement lisible, est le caractère plus ou moins pro-européen ou plus ou moins euro-sceptique des familles politiques et des partis composant ces familles. L’aspect hétéroclite de ces familles explique en partie, pourquoi il est si difficile d’avoir des campagnes politiques au niveau européen.

Pas de politique, mais seulement des compromis

Depuis 1973, le parlement européen est dominé par le PPE et le PSE, sans qu’aucun n’ait jamais eu la majorité absolue. Dès lors, tous les votes nécessitent des coalitions de plusieurs groupes parlementaires européens. Avec 393 votes nécessaires pour avoir la majorité, même en regroupant le PSE (217), le GUE (41) et les V-ALE (43) point de majorité !

Le constat est relativement similaire du côté de la droite : PPE (288), ALDE (100). Ils sont obligés de rajouter les votes d’un groupe de la droite nationaliste ou radicale pour avoir la majorité. Dès lors, il s’avère plus commode, souvent, d’essayer de s’entendre entre PPE (217) et PSE (288) pour avoir la majorité. En conséquence, les décisions votées au parlement européen sont toujours le fruit de compromis prenant en compte un maximum d’intérêts, même s’ils sont souvent divergents.

L’Europe la mère de tous les maux

La conséquence de ce système de compromis permanent à des effets sur la lisibilité des politiques de l’U.E.. Personne ne sort vraiment vainqueur, chacun peut prétendre qu’il a dû faire trop de concessions à cause de l’intransigeance de tel ou tel partenaire. Il est alors facile pour des populistes comme Berlusconi en Italie ou Sarkozi en France de commencer à prétendre qu’ils vont mener leur politique au seul profit de leur pays, indépendamment des engagements européens. On entre dans le mythe d’une Italie et d’une France qui prendrait ses décisions seule contre tous, qui retrouverait une autonomie perdue avec « l’Europe ». Mais cette attitude, si elle est efficace dans le cadre d’élection au plan nationale, est une complète illusion au niveau international et financier. Personne dans les milieux entrepreneuriaux ne souhaite perdre la manne financière que représente « l’Europe » ; qu’il s’agisse de transfert direct comme avec la PAC(2) ou des bénéfices que les entreprises tirent du marché commun, les États ont trop à perdre sans l’U.E..

Il reste que le Parlement Européen est la seule institution de l’U.E. dont les membres sont élus au suffrage universel pour un mandat strictement européen. Mais, l’engagement politique y est mis à rude épreuve par la pratique systématique du compromis au nom de la raison. Le Parlement, comme les autres institutions européennes, est alors le terrain de manoeuvres de tous les lobbies et dans ce jeu ce sont les plus riches, les plus professionnels, qui peuvent influencer les votes.

La démission devant la complexité

Le nécessaire compromis permanent, entre les gauches et les droites pro-européennes pour contrer les euros-sceptiques et les nationalistes, fini par brouiller et décrédibiliser l’image de l’Europe à cause des concessions imposées aux différentes parties. Malheureusement, comme nous l’avons vu plus haut, actuellement l’ensemble des partis de gauche ne permet pas d’avoir de majorité au sein du parlement sans l’appui d’au moins un parti de droite, et l’inverse est aussi vrai.

Aujourd’hui, en Belgique, en France ou encore en Italie, les grandes formations politiques n’investissent pas dans le parlement européen. On envoie à « l’Europe » des seconds couteaux, des personnes tombées en disgrâce, des fins de carrières, car un vrai parlement européen pourrait finir par avoir des exigences démocratiques et pourrait même menacer le grand compromis. De toute manière, « l’Europe » est trop compliquée pour être expliquée aux électeurs. Dans les partis politiques, on préfère garder les décisions aux mains des leaders nationaux dans la discrétion des bureaux ministériels.

27 réalités

Dans son état actuel, « l’Europe » c’est 27 pays et autant de réalités historiques et politiques. Pour avoir une vue complète des rapports de force en jeux, on ne peut ignorer les particularités de chacun des pays composant l’U.E.

Par exemple :

En Italie, avec l’avènement du « Popolo della Liberta », Berlusconi va ramener les élus des formations d’extrême droite comme « Allianza National » dans le groupe du PPE. Cela va augmenter le nombre de sièges de l’Italie dans ce groupe, mais cela peut aussi menacer la nature du compromis entre le PPE et PSE. En effet, la question se pose de savoir comment les partis socialistes vont accepter de continuer à négocier avec des partenaires ouvertement (post-) fascistes. Plus généralement, avec les droites européennes qui se radicalisent comme en France, le compromis entre PPE et PSE devrait devenir de plus en plus difficile.

Dans les anciens pays du « pacte de Varsovie »(3) qui aujourd’hui ont rejoint l’U.E., comme la Pologne ou la République Tchèque. On constate une attirance particulière pour la puissance des États-Unis, ce qui influence leur position politique sur la scène internationale. Les effets de cette attirance se sont vus entre autres avec les soutiens à la guerre de G.W. Bush en Irak, et aussi avec le soutien à Israël lors de l’offensive de décembre en Palestine. Mais cela se marque également dans l’intérêt que ces pays ont pour le programme de bouclier antimissile que les Américains veulent implanter en Europe.

Nous pouvons aussi nous intéresser au cas de l’Angleterre qui historiquement, a toujours préféré l’alliance Atlantique à ces relations avec le continent. Il y a le cas de la France qui depuis Napoléon a toujours été attirée par les hommes forts comme Pétain, de Gaulle et aujourd’hui Sarkozy. Et puis, il y a l’Allemagne, dont l’histoire pendant la Seconde Guerre Mondial influence encore aujourd’hui sa politique européenne et cela malgré la réunification.

En somme, l’analyse spécifique de chaque pays, si elle est nécessaire, ajoute une multitude de dimensions supplémentaires qui complexifie encore la perception de la politique de l’U.E.. Toutefois, même si la tâche est ardue, on ne peut en faire l’économie si à terme on veut avoir une compréhension des mécanismes à l’oeuvre dans les institutions européennes.

Le défi des gauches pour le 07 juin 2009 : objectif 393

Sachant qu’il faut 393 sièges pour avoir la majorité au Parlement Européen, si l’on prend les élus des partis socialistes d’Europe (PSE), plus ceux des partis communistes et de gauches (GUE), et ceux des verts (V-ALE), on arrive péniblement à 301 sièges. Il manque donc royalement 92 sièges, à répartir parmi tous les pays européens, pour espérer voir une vraie coalition de gauche à l’U.E.

Enfin, « l’Europe » est certainement un formidable projet qui, quotidiennement, influence déjà nos vies. Mais c’est aussi un projet dont les citoyens d’Europe sont dépossédés par leurs propres élites politiques qui ne font aucun effort pour aider à rendre la réalité européenne sensible. Nous entretenons le mythe de nations autonomes alors que nos économies nationales sont complètement interdépendantes. Sur la scène mondiale, chaque pays d’Europe prit séparément n’a plus aucun réel poids politique ou économique que ce soit face à la puissance américaine ou face au marché chinois. Les tensions sur le marché gazier avec la Russie auraient déjà dû nous faire comprendre que « l’Europe » est un partenaire plus influent que la Pologne seule, l’Allemagne seule ou la France seule.

Les élections du 07 juin ne seront pas une révolution, mais peut-être un petit pas vers une Europe plus sociale si nous faisons, dans les urnes, un pas vers la gauche

Pierre Capoue

(1) CECA : Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, premier embryon de ce qui deviendra l’Union Européenne, fondée en 1951 avec l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas

(2) PAC : Politique Agricole Commune, c’est plus de 40 milliards d’euros que se partagent les agriculteurs et les groupes de l’industrie agroalimentaire en Europe. Ce partage profite essentiellement aux grands propriétaires terriens qui n’ont aucun intérêt à voir des réformes démocratiques au sein de l’UE.

REM. : Il est apparemment très difficile de trouver une ventilation par pays des aides financières fournies par l’U.E.. Si quelqu’un trouve des documents plus précis sur le sujet, je l’invite à mettre un commentaire avec les liens concernés, merci.

(3) Le Pacte de Varsovie était une alliance militaire politique composée de 7 États membres (8 au départ) : Union Soviétique, (Albanie), Bulgarie, Roumanie, RDA (République Démocratique d’Allemagne), Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie.

Retrouver aussi la version KoKomaG sur :
http://kokomag.wordpress.com/2009/05/15/nous-travaillons-actuellement-pour-leurope/


Actualités soviétiques de la semaine du 30 avril 1944
http://iconotheque-russe.ehess.fr/film/261/

Wikipédia - Histoire de l’Union européenne
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Union_europ%C3%A9enne

Les groupes politiques au parlement européen
http://www.europarl.europa.eu/groups/default_fr.htm

Les intentions de vote aux élections européennes de juin 2009 au 04 décembre 2008
http://www.ifop.com/europe/sondages/opinionf/europeennes2009.asp

Députés par État-membre et groupe politique // 6ème législature
http://www.europarl.europa.eu/members/expert/groupAndCountry.do?language=FR

Quels sont les enjeux principaux des élections européennes ?
http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/ARTE-info/2615210.html

Le site des élections européennes de 2009
http://www.elections-europeennes.org/la_une/campagne/infos.php

Tour d’Europe des campagnes électorales en vue des élections européennes (4-7 juin 2009)
http://www.robert-schuman.org/question_europe.php?num=qe-136&lg=fr

Petit sondage sur les élections européennes
http://www.robert-schuman.org/sondage.php

Monde diplomatique - Les trois piliers
http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/europe/troispiliers

Combien les agriculteurs reçoivent-ils de la PAC ?
http://observatoiredessubventions.com/2008/combien-les-agriculteurs-recoivent-ils-de-la-pac/

Politique agricole commune : enfin la transparence ?
http://www.euranet.eu/fre/Archives/Actualites/French/2009/April/Politique-agricole-commune-enfin-la-transparence

Entre agence de presse et caisse de résonance pour les lobbies européens
http://www.euractiv.com/fr

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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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