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A Tarnac, le village des « terroristes »

Soupçonnés de sabotages à la SNCF, les inculpés reçoivent du soutien de plusieurs villageois. A Tarnac, ils géraient l’épicerie-bar.

La neige recouvre déjà les toits d’ardoise. Ce jeudi, le village de Tarnac, en Corrèze, est emmitouflé dans la brume. Invisible, presque. « Invisible », comme la « cellule » que 150 policiers sont venus débusquer, au petit matin du 11 novembre dernier.

Dans une ferme isolée, ainsi que dans le village, les policiers ont arrêté des jeunes gens, présentés par la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie comme des militants de « l’ultra-gauche », membres d’une « cellule invisible » ; ces jeunes, parmi lesquels Julien Coupat, sont soupçonnés d’être à l’origine de sabotages sur les lignes SNCF. Du terrorisme pur jus, pour Michèle Alliot-Marie.

Alors, Tarnac village de terroristes ? Bernard Leduc, le maire du village, se rend invisible pour la presse : il ne s’exprime pas sur l’affaire. Son adjoint, Jean Deschamps, fait le va-et-vient entre la mairie et son hôtel -restaurant « Les voyageurs ». Il dit attendre que « la justice passe ».

Dans une ruelle, on entend un bruit sourd. Roland, un retraité de 72 ans, entasse des bûches : « Laissons faire la justice », dit-il. Assénant aussitôt : « Il n’y a pas de fumée sans feu »… Une autre retraitée se presse, un cabas à la main, en direction de l’épicerie, gérée par deux des jeunes inculpés. L’épicerie nourrit ce village isolé de 330 habitants.

Bordé de landes limousines et de forêts de douglas, Tarnac est situé près du lac de Vassivière, à une heure de route de Limoges ou de Tulle. Chaque matin, les Tarnacois font les courses à l’épicerie. Au passage, ils prennent un café et des nouvelles. Les femmes s’asseyent autour d’une table. Debout au comptoir, les hommes boivent un sirop ou l’apéro ; ils lisent « La Montagne ».

Ce jeudi, le quotidien cite des sources policières indiquant que Julien Coupat et ses amis auraient participé à une manifestation violente à Vichy le 3 novembre dernier. « C’est bizarre. Ils ne m’ont jamais parlé de politique. Ils sont peut-être de gauche… Mais moi aussi », commente André.

Bottes aux pieds, ce garde-pêche vient d’entrer dans le café. Il croise des ouvriers venus se restaurer, un père de famille qui porte un bébé, un septuagénaire coiffé d’une casquette. Ce retraité qui salue tout le monde est Jean Plazanet, l’ancien maire communiste de Tarnac.

C’est lui qui a accueilli Julien Coupat et ses amis dans le village en 2004. « Ces jeunes cherchaient une ferme pour y vivre. Je leur ai proposé le Goutailloux, à côté de chez moi. Pendant trente ans, j’ai travaillé ces 40 hectares de terre en tant que locataire. La propriété était à vendre. Et cela m’a fait plaisir de voir ces gens sympas redonner vie au hameau ».

Julien Coupat et ses amis disent vouloir fuir la ville. à‚gé de 34 ans, Julien Coupat a fait une grande école de commerce, l’Essec, à Paris. Son amie Yldune, 25 ans, est archéologue. Benjamin, 30 ans, a obtenu un diplôme de Sciences Po à Rennes. Ils rachètent la ferme du Goutailloux. Puis ils reprennent en gérance le café-épicerie de Tarnac. Au lendemain de l’interpellation de Julien et de ses amis, l’ancien maire Jean Plazanet a participé à la création d’un comité de soutien aux inculpés. Michel Gillabert, tailleur de pierre, est le président de ce comité. Jean-Michel, un jeune Belge venu s’installer comme bûcheron à Tarnac, fait office de porte-parole.

« De la science-fiction »

D’une voix monocorde, Jean-Michel dénonce « la démesure de l’impact policier et médiatique ». Les soupçons de lutte armée qui pèsent à l’encontre des inculpés relèvent selon lui de la « science-fiction ». Jean-Michel ajoute : « les actes de sabotage contre la SNCF ne sont pas des actes de terrorisme : au pire, c’est du vandalisme ».

La justice, du reste, a déjà relâché trois inculpés, dont Benjamin, le cogérant de l’épicerie. Mais Benjamin n’a pas le droit de revenir à Tarnac ; du coup, Paul se retrouve seul à faire les tournées. Le comité de soutien, qui a organisé un bal à Tarnac hier soir, demande la libération de Julien Coupat et de son amie Yldune.

La ministre de l’Intérieur reste persuadée d’avoir sauvé la France en étouffant une révolution dans l’oeuf. Pour MAM, les inculpés sont de la graine d’Action Directe.

« Ils ont adopté la méthode de la clandestinité. Ils n’utilisent jamais de téléphone portable. Ils se sont arrangés pour avoir, dans le village de Tarnac, des relations amicales avec les gens qui pouvaient les prévenir de la présence d’étrangers », a affirmé la ministre.

Au village, cette déclaration fait sourire. L’un des inculpés louait un appartement au-dessus de la mairie. « S’agit-il d’une méthode clandestine ? », interroge Jean-Michel, qui enchaîne : « Peut-on être catalogué de terroriste parce qu’on ne possède pas de téléphone portable ? ». A Tarnac, le portable passe mal.
Pas de bombe, ni de fusil

Dans la ferme perquisitionnée, les policiers n’ont trouvé aucune bombe, aucun explosif, aucun fusil. Seulement des poules, des canards, des livres et des ordinateurs. Cette perquisition menée au petit jour du 11 novembre a réveillé de vieux traumatismes parmi les Tarnacois, d’anciens résistants : « Nous aussi, pour le gouvernement de l’époque, nous étions des terroristes », ont-ils dit.

Tarnac, sur le plateau de Millevaches, fut un lieu de combats pendant la Seconde Guerre mondiale. A la tête d’une « armée » de maquisards, Georges Guingoin sabotait les trains à destination de l’Allemagne nazie… Une photo jaunie de l’instituteur communiste Georges Guingoin, surnommé « le préfet de la Résistance », est toujours accrochée dans la salle du café de Tarnac.

Sabine Bernède


Ce qu’on leur reproche :

11 novembre : à Paris, Rouen et Tarnac, dix personnes sont interpellées dans le cadre de L’enquête sur les sabotages dont la SNCF a été victime. Michèle Alliot-Marie, la ministre de l’Intérieur, déclare que les suspects appartiennent « à l’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome ».

14 novembre : le procureur de Paris ouvre une information judiciaire pour des faits de terrorisme, passibles de 20 ans de prison.

15 novembre : neuf personnes sont mises en examen. Cinq sont placées en détention.

2 décembre : la cour d’appel de Paris ordonne la remise en liberté de trois personnes incarcérées : Gabrielle H., Benjamin R., Manon C. Pour l’avocate Irène Terrel, il s’agit d’un « premier pas fondamental. Un désaveu assez radical de la manière dont l’affaire a été présentée médiatiquement et politiquement ».

Restent en détention Julien Coupat, 34 ans, et sa compagne Yldune L., 25 ans. Julien Coupat est poursuivi pour direction d’une entreprise terroriste et destructions en réunion à visée terroriste.

Publié le 07/12/2008 09:43 | LaDepeche.fr

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