Le Courrier, samedi 1er décembre 2007.
Doté de grosses réserves de pétrole, le pays andin propose qu’’on le paie pour qu’’il ne les exploite pas. Au nom de la biodiversité.
« Nous ne voulons plus dépendre du pétrole. » Derrière son look européen et sa manie peu latine d’’arriver quinze minutes en avance aux rendez-vous, Alberto Acosta a de grands projets pour l’Equateur. Le président de l’Assemblée constituante désignée fin septembre - et virtuel numéro deux du pays, derrière le président Rafael Correa- rêve d’’une « économie développée » : « Ce n’est qu’à ce moment que nous deviendrons un pays intelligent. » De ceux qui produisent eux-mêmes les dérivés des matières premières de leur sous-sol, plutôt que de les importer, comme le fait l’Equateur, explique le politicien depuis le lobby d’un hôtel de Quito. Pour y arriver, Alberto Acosta a un plan. Il n’en est pas l’instigateur, mais s’en fait l’ambassadeur : il veut que l’Equateur renonce à exploiter environ 25% de ses importantes réserves d’or noir - l’équivalent d’un milliard de barils. Le projet peut paraître suicidaire, alors que le cours du brut est au plus haut et que le pays a urgemment besoin de devises pour soigner sa fracture sociale (plus de 60% des Equatoriens vivent dans le besoin). Et paradoxalement, le pays a récemment donné plusieurs signaux rappelant son attachement au pétrole, qui fournit à l’’Etat le 40% de ses revenus : il vient par exemple de rejoindre la puissante Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qu’il avait quittée en 1992. En parallèle, les parts de l’Etat dans le gâteau pétrolier ne cessent d’augmenter, via l’entreprise nationale Petroecuador - en 2006, l’entreprise pesait pour 17,3% dans le PIB national, réalisant plus de 35% des exportations de brut. Enfin, début octobre, le pays a énervé les compagnies présentes en Equateur en annonçant qu’il s’adjugerait désormais 99% des revenus extraordinaires dus à la hausse des prix du carburant, contre 50% auparavant.
Alors, revirement soudain ? Double langage ? Ni l’un ni l’autre, car la non-exploitation ne sera pas un geste gratuit : elle implique une contrepartie. La communauté internationale est en effet invitée à compenser pour moitié ce que rapporterait l’extraction. On parle de 350 millions de dollars par an.
Utopique ? Acosta explique que le pétrole en question se trouve dans le parc naturel de Yasunà, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, dans la province d’Orellana, en pleine forêt amazonienne. Cette zone appelée ITT - pour Ishpingo Tambococha Tiputini - est dotée d’’une exceptionnelle biodiversité, que l’exploitation pétrolière mettrait gravement en danger.
Ne pas toucher à ce pétrole rejoint donc ce que de nombreuses associations écologistes locales et internationales demandent depuis longtemps. L’enjeu, pour le gouvernement équatorien, est désormais de convaincre la communauté internationale que les intérêts dans la balance dépassent les frontières du plus petit des pays andins. Notamment parce que tout ce pétrole représente un potentiel de 111 millions de tonnes de CO2.
Renégocier la dette
Un travail de persuasion qu’Acosta n’est pas seul à effectuer : plusieurs ministres - tous camarades du parti Acuerdo Pais - mouillent eux aussi leur chemise, de même que Rafael Correa. Le président a par exemple présenté le projet à l’ONU en septembre et a invité les pays développés à passer à la caisse, car « ils sont les principaux prédateurs de la planète ». Il y a deux semaines, devant l’OPEP, Correa a expliqué que l’Etat équatorien « veut retrouver son rôle de patron des ressources pétrolières » du pays, tout en appuyant des initiatives destinées à préserver la nature, dont celui de la zone ITT.
Pour l’instant, les promesses de financement sont rares : seule l’Espagne a proposé 4 millions de dollars. De son côté, l’Italie n’exclut pas une renégociation de la dette de l’Equateur, ce qui est l’une des options de financement proposée par le pays andin. Quant à la Norvège - pays pétrolier souvent cité en exemple par l’Equateur parce qu’il a réussi à affranchir son économie de l’or noir -, elle s’est également déclarée intéressée. Enfin, des ONG des Etats-Unis se disent intriguées par l’audace équatorienne et par le précédent que le projet pourrait représenter. Des philanthropes étasuniens ont déjà donné quelques centaines de milliers de dollars pour assurer une plus grande publicité au projet. Et d’autres dons plus conséquents pourraient suivre : ce n’est que mardi dernier que la forme juridique de l’« échange » a été définie formellement, à Quito. Reste qu’il faudra faire vite : si les 350 millions de dollars annuels ne sont pas trouvés d’ici juin prochain, le gouvernement équatorien donnera son feu vert à l’exploitation des réserves de l’ITT. Comme si elle désirait faire monter la pression, la compagnie étatique Petroecuador a annoncé jeudi le lancement du processus d’attribution des zones pétrolières. Inutile de préciser que de nombreuses compagnies nationales et internationales se pressent déjà au portillon...
Communautés Déséquilibrées
Dans la région amazonienne de l’Equateur, à l’est des Andes, se concentre l’essentiel de l’industrie pétrolière du pays. On n’y observe aucune croissance, malgré le brut. Au contraire : la région concentre les plus hauts indices de pauvreté, de violence et de maladies du pays. Car les problèmes s’aggravent lorsque les Repsol, Agip ou Petroecuador s’installent sur les territoires où se trouvent des communautés indigènes. C’est aussi ce qu’a constaté la Croix-Rouge suisse et son antenne équatorienne RIOS, active dans la zone amazonienne avec divers programmes de santé combinant médecine ancestrale et occidentale (lire Le Courrier du 13 octobre).
« Longtemps, nous n’avons pas voulu nous rendre dans les territoires des indigènes huaoranis, proche de l’ITT », explique le docteur Alfredo Amores, coordinateur de RIOS à Loreto, dans la province d’Orellana. Parce que leurs communautés sont très éloignées et difficiles à joindre, mais aussi parce que ce sont celles qui posent le plus de problèmes. Homicides, prostitution ou maladies sexuellement transmissibles : davantage que les communautés quechuas voisines, celles des huaoranis souffrent des effets collatéraux de l’arrivée des compagnies pétrolières sur leurs terres reculées.
En acceptant finalement les invitations répétées des Huaoranis à se rendre sur leurs terres, RIOS a pu constater l’étendue des dégâts. Bien souvent, les compagnies achètent en dollars la bienveillance des indigènes, ce qui s’avère tragique pour le fragile équilibre des communautés.
Toutefois, les indigènes tentent depuis plusieurs années de surfer sur la vague de l’écotourisme : des tours organisés passent désormais par certains de leurs villages, avec au programme dégustation de singe bouilli et autre séances de tir à la sarbacane.
L’affaire Texaco, calamiteux précédent
Lorsqu’il évoque le « projet ITT », Luàs Yanza est plutôt réservé. S’il pense « qu’il ne devrait pas y avoir d’extraction dans les zones protégées », le coordinateur du Front de défense de l’Amazonie (FDA) doute toutefois qu’il sera possible de trouver l’argent nécessaire pour financer le projet. Le FDA connaît par coeur le sujet de l’atteinte à l’environnement amazonien par l’extraction du pétrole : l’organisation est à l’origine d’une célèbre plainte pénale contre Texaco - une action en justice qui a débuté aux USA en 1993 et qui se poursuit aujourd’hui en Equateur. « La plus grande action de ce type jamais menée par le Sud », sourit M. Yanza. A la clé, si le FDA gagne, des centaines de millions de dollars, qui seraient investis dans le nettoyage de la zone de Sucumbios abandonnée par Texaco en 1990, au nord-est de l’Equateur. A cause de la technologie obsolète utilisée par la compagnie étasunienne, c’est l’équivalent de 30 naufrages du pétrolier Exxon Valdez qu’il faut expurger... Sans parler des dizaines de cancers et autres leucémies à guérir, lorsqu’il est encore temps. « C’est en 2008 que tout pourrait se jouer », explique Luàs Yanza depuis son petit bureau de Quito, gardé par un agent privé - des militants du FDA ont reçu des menaces de mort et les ordinateurs de l’organisation ont un jour « disparu ». La victoire en justice n’est pas impossible, surtout que « pour la première fois depuis 1993, le gouvernement soutient notre combat ». Si Texaco passe à la caisse, le défi sera de gérer les millions gagnés : « Autant d’argent dans une seule zone peut être synonyme d’inflation et de corruption. Nous en sommes conscients et nous nous préparons au mieux. » (Rens : www.texacotoxico.org)
Samuel Schellenberg, de retour d’Equateur.
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch
C’ est une première : l’Équateur renonce à exploiter une partie de ses réserves pétrolières !
Equateur : raz-de-marée « bolivarien » à l’Assemblée constituante, Hans-Peter Renk.