Le Courrier, Editorial, mercredi 14 Novembre 2007.
Dans ses discours, Nicolas Sarkozy s’est souvent adressé à cette France fragilisée, dont tout le monde parle mais à laquelle le président refuse aujourd’hui de parler. Cheminots, étudiants et pêcheurs dénoncent le rétrécissement social du pays au moment où le chef de l’Etat réclame et obtient une augmentation de 172% de son salaire. Le décalage présidentiel réussit aussi à frustrer les médecins et les avocats, professions libérales traditionnellement chéries par le pouvoir, désormais passées en partie de l’autre côté de la barricade.
Les mauvais diagnostics sur la société française ont coûté cher aux gouvernants, à Valéry Giscard d’Estaing comme à Lionel Jospin. A peine six mois après son élection, Nicolas Sarkozy se heurte déjà à la ténacité des mouvements sociaux. Leur appel à la confrontation et leur démocratie interne ringardisent les élans bonapartistes d’un président qui avait pourtant fait campagne sous le leitmotiv gaullien de « la rencontre d’un homme et d’un peuple ».
Or le peuple est là . Le même qui, en 1995, a été capable de paralyser le pays. Douze ans plus tard, la vague pointe les inégalités introduites par les réformes sarkozystes. D’autres foyers sont prêts à s’allumer, car les conditions sociales se dégradent dans bien d’autres domaines que la formation, la santé ou la justice. L’état de grâce de la campagne présidentielle a définitivement pris fin. Bien qu’évoquée dans tous les meetings politiques, la France des mal-logés, des délocalisés, des sous-traités se considère comme négligée, trompée, manipulée. Qu’il s’agisse, cette fois-ci, du droit à une formation universitaire équitable, de la réponse à la flambée du prix du brut ou du démantèlement des régimes spéciaux de retraite, les premiers effets d’une politique à courte vue sont plus durement ressentis que jamais.
Le pays est en panne, le gouvernement et la majorité présidentielle dans une impasse. Mais la vitalité de la contestation ne déstabilise pas seulement l’édifice sarkozyste. Elle fossilise un peu plus une gauche - le plus souvent socialiste - assommée par les trahisons et encombrée par les non-dits. Personne n’ose ouvrir le débat sur le rôle de Ségolène Royal dans la mue de son parti. Inédite, cette donne politique vide de sa substance l’action des partis. Il n’y a plus grand-chose à attendre d’une Union pour la majorité présidentielle (UMP) réduite au rang de fan-club de Nicolas Sarkozy. Ni d’une gauche qui se cherche ou d’une frange antilibérale fortement amoindrie. En prenant le pouvoir, le président n’avait plus de raison de dissimuler son libéralisme derrière le pragmatisme convenu du candidat. Ses premières mesures - la baisse des prélèvements fiscaux pour les plus fortunés et la réduction des prestations sociales - l’ont éloigné du peuple. Des réformes jugées iniques sont en passe de l’en couper. Il ne reste plus que les syndicats et les organisations sociales pour parler à cette France fragilisée et inquiète pour son avenir. Que ce dialogue puisse colmater la fracture présidentielle !
Fabio Lo Verso
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch
L’usine à gaz Sarkozy, par Michel Husson.
Casse régimes spéciaux de retraite SNCF, RATP, EDF = début de l’offensive de Sarkozy contre l’ensemble du salariat, par Jean-Jacques Chavigné.